pop cultureJack Peñate : "Je n’ai jamais considéré clairement que j’étais hétéro !"

Par Sophie Rosemont le 30/11/2019
Jack Peñate

Après dix ans d’absence, le chanteur anglais revient sans préavis avec un album sans entraves, entre pop, soul et house. La bonne surprise de l’hiver. Interview.

Quel bonheur de retrouver Jack Peñate ! On n’y croyait plus, pourtant, après une disparition quasi-totale depuis la parution de son second album, Everything is new, en 2009. Certes, on l’avait entrevu sur un single (No One Lied, 2012) et commencé à espérer un retour lors d’une mixtape de 20 minutes parue en 2018, A Thousand Faces, tout en appréciant sa participation au dernier album de David Byrne, American Utopia.

Aujourd’hui déboule After You, où sont convoqués la house de Chicago, le gospel, Arthur Russel ou Todd Rundgren. Peñate y chante avec une fièvre nouvelle, danse avec ferveur dans les vidéos qui accompagnent les (imparables) singles « Murder » et « Prayer ».

A propos de clips, on se souvient de celui où il embrassait un garçon. Actuellement en couple avec l’actrice Daisy Lowe, Jack est un garçon qui ne manque pas d’afficher sa sensibilité. Lorsqu’on le rencontre dans le salon de son label parisien, il ne cesse de répéter que Le Ballon rouge, qu’il a vu la veille, l’a fait pleurer. Comme beaucoup d’autres films, nous glisse-t-il avec un sourire complice avant le début de l’interview…

Une décennie sans sortir un album, c’est un pied de nez à une période où tout va trop vite ou une longue panne d’inspiration ?

Ce n’était pas du tout intentionnel. En 2011, j’ai réalisé que j’avais besoin d’espace créatif. J’avais donné trop de concerts, m’étais dissipé ici et là. En tant qu’artiste, chanteur, musicien, auteur, compositeur et producteur, j’avais beaucoup à apprendre. J’ai déménagé à New York, je cherchais le style d’un nouvel album. J’avais envie de mêler house, garage, musique classique, psychédélique, piano-voix… Un puzzle qui m’a pris un temps fou à reconstituer.

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Et comment avez-vous réussi ?

Une amie possède une maison dans la campagne, près d’Oxford, et j’ai fait de son garage un studio. Pour dormir, j’avais une petite annexe, sans salle de bains ni toilettes. Je pissais par la fenêtre ! (rires) Là, tout est devenu clair. La musique a coagulé. Après cinq années en tête à tête exclusif avec cet album, j’ai compris que je ne mettrai pas de point final sans aide extérieure. Trop de liberté, trop de possibilités, pas assez d’objectivité. J’ai appelé Alex Epton et Paul Epworth, des personnes en qui j’avais une entière confiance, j’ai rencontré Inflo, bref, je me suis entouré et ça m’a permis de sortir d’un très long huis-clos.

"J’ai grandi à Londres. Une ville mixte et ouverte à toutes formes de sexualités."

After You résonne d’une vraie déclaration d’amour au gospel, qui a toujours traversé vos disques, mais plus fort que jamais ici !

Je me revois, enfant, écouter avec passion les disques religieux de Sister Rosetta Tharpe ou le Amazing Grace d’Aretha Franklin, dont ma mère était dingue. Récemment, j’ai adoré Jesus is King de Kanye West, j’ai aussi découvert les disques de T.L. Barrett. Connaissez-vous ce titre, « Like a ship… without A Sail » ? (il nous le fait écouter en sautillant sur le canapé, et chante par-dessus, ndlr) Oui, je suis un petit mec blanc, pas pratiquant, mais le gospel m’a aidé à trouver la vérité dans ma musique. D’après moi, la pop dans ses grandes largeurs a vraiment le rôle de rassembler, quelque que soit l’âge, la couleur, la classe sociale de ses auditeurs. Lorsqu’elle y parvient, je suis bouleversé.

Donc la pop doit servir les théories universalistes ?

Absolument. Elle doit également être sincère et courageuse… Ce n’est pas une musique facile comme certains le pensent. Avec mes chansons, je raconte ma propre histoire, fictionnalisée ou pas, même si j’use de symboles ou de métaphores. Je suis un grand fan de Kate Bush et David Bowie, et tous deux se sont inspirés de la littérature. Moi aussi, j’ai beaucoup lu, surtout Herman Hesse et Rainer Maria Rilke.

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L’année dernière, vous avez collaboré à American Utopia de David Byrne. Qu’avez-vous tiré de cette expérience ?

J’ai appris à me faire confiance. Forcément, lorsqu’on dispose de 48 heures pour écrire plusieurs chansons à destination du Dieu David Byrne, on doit se dépasser ! En appréciant mes propositions, il m’a réconforté moralement et par sa grande liberté artistique, il a aussi confirmé mon refus d’être rangé dans des cases.

"Mon père, qui adorait l’électro, m’emmenait en pleine forêt où je dansais sur du Frankie Knuckles !"

Qui dit David Byrne dit aussi danse. Elle fait partie de votre vie depuis longtemps ?

Depuis tout petit. Ma mère m’avait inscrit à un cours de ballet, où je suis resté jusqu’au milieu de l’adolescence. J’étais le seul garçon, bien sûr… Quand j’ai sorti mes deux premiers albums, je ne mettais pas en avant mon amour de la danse. J’étais trop concentré sur la musique, alors qu’au contraire, tout se complète ! Pour les clips de « Prayer » et « Murder, » j’ai voulu laisser place à une chorégraphie libre, improvisée. Lâcher prise, comme lorsque j’étais enfant et que mon père, qui adorait l’électro, m’emmenait en pleine forêt où je dansais sur du Frankie Knuckles. L’acid house est un mouvement majeur pour moi, c’est pour cela qu’on la retrouve dans After You. Les problèmes sociaux-politiques traversent les océans, mais la bonne musique aussi…

Dans le clip de « Tonight’s Today », vous embrassiez un homme. Vous êtes hétéro, mais clairement ouvert à une autre conception que celle de la masculinité virile, n’est-ce pas ?

J’ai grandi à Londres, ville mixte et ouverte à toutes formes de sexualités, j’ai été élevé par une famille ouverte d’esprit. Pour mes parents, l’amour n’avait pas de genre. D’ailleurs, je n’ai jamais considéré clairement que j’étais hétéro, c’est juste que je préfère les filles aux garçons. Plus jeune, c’était même agaçant de ne pas être attiré par les mecs ! Je me souviens d’être tombé sur un livre avec des photos de mecs nus, tous très beaux, j’ai essayé de me masturber… Hélas, rien à faire, je n’y arrivais pas ! (rires)

C’est quoi, pour vous la recette d’un amour véritable ?

Apprendre à aimer les imperfections de l’autre. C’est le plus grand challenge de tous les couples du monde.

Jack Peñate, After You, XL / Wagram.