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EurovisionConchita Wurst : « Je n’ai pas créé Conchita pour les autres. Je l’ai créée pour moi ! »

Par Romain Burrel le 12/12/2018
Conchita Wurst

[PREMIUM] C’est la femme à barbe la plus connue de la planète. La drag queen la plus élégante d’Autriche. En gagnant le concours de l’Eurovision en 2014, Conchita Wurst s’est vue bombarbée cheffe de file d’un mouvement LGBT mondial. Quatre ans après son triomphe à l'Eurovision, le chanteur revient avec un album de reprises enregistré avec l'orchestre symphonique de Vienne. Interview en exclusivité pour nos abonné.e.s.

La drag queen n'a pas chômé. Depuis sa victoire à l'Eurovision, Conchita Wurst, de son vrai nom Thomas Neuwirth, a sorti un premier album (« Conchita », paru en 2015), défilé pour Jean-Paul Gaultier, posé en nuisette pour Karl Lagerfeld et livré un vibrant plaidoyer pour la diversité et la tolérance au Parlement européen.

Le chanteur - il préfère qu'on parle de lui au masculin désormais (voir plus bas) - revient avec "From Vienna with Love", un album de reprises mis en boîte avec l’orchestre symphonique de Vienne. Au programme : des standards de Shirley Bassey ("Where Do I Begin"), de Sam Smith ("Writing's on the Wall") ou de Barbara Streisand ("The Way We Were"). Un disque un tantinet kitsch (juste ce qu’il faut). Souvent touchant. Et totalement gay !

Quatre ans après son irrésistible triomphe à l’Eurovision, on retrouve le performer le temps d’un entretien soumis à une seule condition (que l'on respectera) : ne pas évoquer pendant l'interview la séropositivité de Conchita. En juillet 2018, en ouverture de conférence internationale sur le sida, Wurst a pris la parole pour révéler son statut sérologique. Une parole forte et difficile pour mettre un terme au chantage d’un ex-petit ami qui menaçait de vendre l’histoire aux tabloïds. Le mufle.

Pour TETU.com, la drag queen évoque ses allers-retours entre masculin et féminin, sa passion dévorante pour Céline Dion et son admiration pour RuPaul. Mais aussi sa capacité à se réinventer. Tel un phénix. Evidemment.

C’était un fantasme de chanter avec un orchestre symphonique ?

Conchita Wurst : Totalement ! Et c’était un orgasme aussi ! (rires) J’ai bossé super dur pour me hisser au niveau  de cet orchestre. Le symphonique de Vienne a une réputation mondiale ! J’étais fier qu’ils acceptent d’enregistrer cet album avec moi. J’ai dû me remettre en question en tant que chanteur pop. Tu sais, les chansons que j’ai choisies pour ce disque, c’est la bande originale de ma vie ! Chacun de ces titres a une connexion profonde avec des moments de mon existence, des émotions que j’ai ressenties. C’est un album très authentique. Même si la plupart de ces chansons sont des reprises, elles sont très proches de moi. Plus encore que celles de mon premier album.

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Il y a deux reprises de chansons de James Bond, dont celle de Sam Smith. Que cache cette fascination pour 007 ?

J’essaie juste de faire en sorte que de James Bond vire de bord ! (rires) Plus sérieusement, j’adore les chansons de James Bond mais je n’aime pas trop les films… Je les trouve assez ennuyeux et beaucoup trop machos pour moi.

Conchita Wurst : « Je n’ai pas créé Conchita pour les autres. Je l’ai créée pour moi ! »

L’album symphonique est un classique du répertoire des divas. Tu en avais une à l’esprit en particulier au moment d’enregistrer cet album ?

Pas vraiment. J’ai surtout cherché dans mon passé. J’ai revisionné des vieilles vidéos de moi sur  YouTube tournées lorsque j’avais 17 ou 18 ans. Tu sais, quand j’avais peut-être 12 ans, la femme à qui je voulais ressembler le plus au monde, c’était Pocahontas ! Avec ses cheveux dans le vent !  Je voulais tellement être elle. D’une certaine façon, je suis devenu Pocahontas ! (rires) Chanter avec un orchestre symphonique me fait me sentir aussi libre qu’elle. Plus sérieusement, la majeure partie de ma carrière, j’ai toujours aimé cette musique grandiloquente, glamour et pop. Les grandes histoires et la mélancolie, j’adore ça. Il faut que j’évolue. Sinon, je meurs. Je voulais expérimenter quelque chose de nouveau avant un nouvel album qui sortira l’année prochaine. Ça sera très différent de ce projet. Mais ce disque, c’est tellement moi.

Justement, il semble que tu prennes des distances avec le personnage que tu as créé et qu’on a tous découvert à l’Eurovision il y a 4 ans. Ton look en tant que Conchita Wurst a énormément changé ces derniers temps. Tu sembles cultiver une apparence plus masculine. Veux-tu être davantage Tom et un peu moins Conchita, désormais ?

De mon point de vue, c’est une question étrange. Je ne sépare pas ma vie comme ça. Je comprends que la Conchita que tu as connu en 2014 soit différente de celle d’aujourd’hui. Mais je suis toujours la même personne ! Je n’ai pas envie d’être moins ceci ou plus cela. Je vis dans l’instant. Et voilà qui je suis maintenant ! Tu sais, je n’ai pas vraiment de plan de carrière. (rires) Je fais seulement ce qui me semble bon pour moi. Et je déteste me répéter. J’aime aller de l’avant, évoluer, expérimenter de nouvelles choses. Ce disque marque un peu la fin d’un voyage. J’ai versé dans ce style de musique pendant tellement d’années, ça m’a apporté beaucoup de bonheur. Maintenant, je dois proposer autre chose.

"Les gens me disent parfois 'Tu sais, tu devrais rester fidèle à la Conchita qui t’a fait connaitre. Parce que c’est ce que veulent les gens !'. Mais je n’ai pas créé Conchita pour les autres."

Tu ne te sens pas prisonnier de ton personnage ?

Je peux comprendre que ça puisse être le cas pour d’autres. Qu’ils ou elles ressentent le besoin de tuer leur alter ego pour exister. Mais pas moi. Du côté du showbiz, beaucoup de gens viennent me voir en me disant : « Tu sais, tu devrais rester fidèle à la Conchita qui t’a fait connaitre. Parce que c’est ce que veulent les gens ! ». Mais je n’ai pas créé Conchita pour les autres. Je l’ai créée pour moi. Je ne me sens pas pris au piège. Je fais ce que je veux. Et c’est ce qui a toujours marché pour moi. Pour toutes les décisions que j’ai prises. Tu sais, quand j’ai décidé d’être une femme à barbe, tout le monde me disait « non non non ! Ne fais pas ça ! Surtout pas ! ». Et t’as vu combien ils avaient raison ?

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Conchita Wurst : « Je n’ai pas créé Conchita pour les autres. Je l’ai créée pour moi ! »

Du coup, pour se référer à toi, doit-on dire « il » ou « elle » ?

Au début, tout le monde disait « elle » parce que Conchita était très féminine à l’époque. Ça semblait approprié. Mais maintenant, Conchita est plutôt… un homme, je dirais ! Plus masculine ! Dans mon équipe, on parle de « lui ». « Que va-t-il faire ? Que va-t-il chanter ?»… Beaucoup de gens m’ont confié être perdus parce qu’ils ont encore à l’esprit la Conchita de 2014. Mais maintenant, je suis plus masculin. Disons qu’aujourd’hui, je préfère que les gens parlent de moi en disant « il ». Mais comprends-moi bien, toutes tes questions sont flatteuses ! Les gens pourraient s’en contre-foutre ! (rires)

"Ça a été tout de suite clair que je devais saisir cette opportunité qui m’était offerte pour parler de choses importantes, comme le sort des personnes LGBT+."

Ta victoire à l’Eurovision a parfois été décrite comme une consécration pour les combats des personnes LGBT+ à travers le monde. Sens-tu une responsabilité peser sur toi ?

Ça ne me dérange pas quand les gens disent des choses comme ça, mais je n’oserai jamais réclamer ce rôle. Jamais je n’oserai prétendre que j’ai fait quelque chose d’important, d’inspirant ou que sais-je ! J’ai toujours avancé à l’instinct et j’ai de la chance que les gens me suivent et me fassent confiance. Ma victoire à l’Eurovision a été l’une des expériences les plus intenses de ma vie. Ça a été tout de suite clair que je devais saisir cette opportunité qui m’était offerte pour parler de choses importantes, comme le sort des personnes LGBT+. Et à chaque fois que je suis sur scène et que je chante "Rise like a phoenix", je suis chaviré émotionnellement. Car je comprends que cette chanson signifie beaucoup pour des tas de gens. Pas seulement pour moi.

Sur ton nouvel album, tu reprends « All By Myself ». C’est la version de Céline Dion qui t’as inspiré, non ?

Quand j’avais 17 ans, j’ai gagné un télé-crochet en Autriche. Chaque semaine, on faisait une chanson. Un jour, ils m’ont filé cette chanson, « All By Myself », mais la version d’Eric Carmen. Et au départ, je me disais : « Oh mon Dieu que c’est chiant ! ». Je ne captais pas cette chanson. Et ma coach vocale m’a dit : « Attends un peu, est-ce que tu connais la version de Céline Dion ? ». Non. Elle me l’a faite découvrir. Et pour moi, c’est la plus fabuleuse réinterprétation dans l’histoire de la pop. Elle m’a donné la chair de poule comme jamais ! Je suis devenu un énorme fan de Céline Dion. J’admire sa façon de chanter, sa technique… Tu sais, je l’ai même rencontrée à Berlin. C’était dingue !

Elle t’a donné des conseils ?

Ah non. Notre rencontre a été disons… brève ! On a dansé un peu (rire). Elle ne m’a pas vraiment donné de conseils. Elle m’a juste dit : « Continue de faire ce que tu fais ! ».

Conchita Wurst : « Je n’ai pas créé Conchita pour les autres. Je l’ai créée pour moi ! »

Parmi toutes ces reprises, il y une chanson originale, que tu as d’ailleurs co-écrite, qui s’appelle « Have I ever been in love ». Elle est autobiographique ?

C’est une chanson que j’ai écrite avec deux auteurs anglais. Ce morceau a une place particulière dans mon coeur. Pas seulement en raison de son message intime. Tu sais, je suis nul pour écrire des chansons. Je suis un interprète. Alors quand j’ai réussi à écrire la mélodie et les paroles de « Have I ever been in love », j’étais tellement fier ! Et d’entendre l’orchestre la jouer, c’était totalement surréel. Mais douloureux, aussi. Car écrire des chansons, c’est un peu comme exposer son journal intime sur la place publique. Dans cette chanson, je me demande : « Est-ce que j’ai déjà aimé ? ». Et c’est une vraie question pour moi… Bien sûr, j’ai eu des relations amoureuses. Mais je ne sais pas si j’ai déjà ressenti cet amour dont les gens parlent.

Tu n’as personne dans ta vie ?

Je suis amoureux de la vie. Et c’est déjà pas mal ! (rires) Mais pour te répondre honnêtement : non, je ne suis pas en couple. Et je ne cherche pas l’amour. Je trouve ça toujours assez triste quand les gens cherchent un partenaire à tout prix. Je ne sais pas s’ils savent que pour être heureux avec quelqu’un, il faut d’abord apprendre à être heureux avec soi-même. Personne d’autre ne peut t’offrir du bonheur. RuPaul l’a dit mieux que moi : « Si tu ne t’aimes pas toi-même, comment veux-tu aimer quelqu’un d’autre ? ». Et ben c’est putainement vrai ! Alors voilà, je suis sur le bon chemin pour m’accepter totalement.

Tu devrais être juré dans "RuPaul’s Drag Race" !

Oh non ! Ces filles excellent tellement dans leur art ! Elles peuvent faire tellement de trucs différents : danser, chanter, jouer la comédie, dire des vannes ! Je ne me sens pas qualifié. Vraiment. Quand je les vois tomber en 'death drop', oh mon Dieu ! RuPaul a tweeté sur ma victoire à l’Eurovision et c’était adorable, mais je ne l’ai jamais rencontré. Peut-être que tu peux organiser une rencontre entre nous dans ton magazine ? (rires)

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"From Vienna with Love" de Conchita Wurtz est disponible chez Sony Music et sur les plateformes de streaming et de téléchargement.

Crédits photos : Markus Morianz / TNRB - André Karsai / TNRB - Rainer Dröse - Christian Anderl.