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Le goût du risque

Le goût du risque
Rébecca Chaillon dans «Whitewashing» © Luca Ferreira

Radicales et subversives, puissamment intersectionnelles, les performances de l’artiste française Rébecca Chaillon explorent ses multiples identités: femme, noire, grosse, lesbienne, queer...

Sur la scène tendue de plastique blanc du Flutgraben, une maison d’artistes autogérée du quartier berlinois de Treptow, Rébecca Chaillon et sa complice Aurore Déon sont deux femmes de ménage. Elles nettoient, astiquent le sol à l’eau de javel. L’odeur âcre du produit emplit la salle. Puis Rébecca commence à ôter ses vêtements un par un, les utilisant comme des serpillières. Une fois nue, le corps entièrement maquillé de blanc, c’est elle-même qu’elle frotte avec cette eau corrosive.

Dans cette performance intitulée «Whitewashing», qu’elle est venue présenter à Berlin dans le cadre d’une série de manifestations intitulée «Afropéennes – Afropäerinnen», Rébecca Chaillon aborde plusieurs vérités aussi douloureuses que révoltantes sur les femmes racisées: le fait que beaucoup de femmes noires, dans nos sociétés majoritairement blanches, soient reléguées à des tâches socialement dévalorisées, telles que les professions du secteur du nettoyage et du soin, le fait que certaines de ces femmes essaient de «se blanchir», au propre comme au figuré, dans l’espoir d’échapper au racisme, ou encore leur manque de visibilité dans les médias et les représentations collectives.

Limite

L’eau de javel qu’elle utilise sur scène est bien réelle. «Pour qu’on puisse réaliser ensemble la gravité des choses, il est nécessaire qu’il y ait une prise de risque de ma part», explique la performeuse de 34 ans. Pas étonnant quand on apprend qu’elle a pour mentore l’artiste serbe Marina Abramovitch, reine des performances de l’extrême. Mais Rébecca Chaillon confie pourtant avoir récemment atteint une limite: «Au fur et à mesure des représentations, ma peau a commencé à changer de couleur, à se tacher de jaune», explique-t-elle. «Je ne pense pas que ça vaille la peine de se détruire, surtout si c’est pour jouer devant un public majoritairement blanc.»

Pour qu’on puisse réaliser ensemble la gravité des choses, il est nécessaire qu’il y ait une prise de risque de ma part

«Whitewashing» est une sorte de galop d’essai pour une création à venir: «Carte noire nommée désir», une pièce de théâtre qu’elle est en train de monter avec sa compagnie, Dans le ventre, dont le titre est emprunté à une vieille pub pour le café diffusée à la télévision française dans les années 1990, qui convoquait plusieurs stéréotypes racistes pour vendre du rêve et du café moulu. La première est prévue pour le printemps 2021.

Le cheval de bataille de Rébecca depuis quelques années, c’est la lutte contre le racisme. Un sujet que cette fille de fonctionnaires martiniquais née en France et qui a grandi en Picardie a longtemps ignoré avant qu’elle ne se prenne «une grosse claque» durant le tournage du documentaire «Ouvrir la voix» de la réalisatrice pansexuelle Amandine Gay, dans lequel elle intervient. La militante afroféministe lui a ouvert les yeux: «Avant de la rencontrer, je pensais que le fait que j’étais noire était plutôt à mon avantage, que cela me rendait plus visible dans le milieu du spectacle vivant», se souvient Rébecca. «Dans les entretiens qu’on a eu pour le film, elle me parlait de racisme systémique, d’exotisation, de colorisme… Des mots que je ne connaissais pas, ce qui faisait que je demandais tout le temps des explications. Et je me demandais ce qu’elle devait vivre au quotidien pour être aussi énervée, le cliché!», s’amuse l’artiste.

Aurore Déon (à g.) et Rébecca Chaillon © Cyrille Choupas

Rébecca est venue à la performance après des études de théâtre à la fac. Elle se destinait à être prof, «un métier viable», tout au mieux à faire du doublage, «parce qu’[elle] n’imaginai[t] pas [s]a présence visible sur des écrans ou des plateaux de théâtre». Jusqu’à ce qu’elle soit recrutée par une compagnie de théâtre-forum pendant ses études, enchaînant les cachets et gagnant par là son statut d’intermittente: «La légitimité dans le monde du spectacle est venue par l’épuisement», commente-elle.

Viande crue

Très crues, au sens propre comme au figuré, ses toutes premières performances tournaient beaucoup autour de la chair et de l’alimentation: «Je suis partie de mon rapport un peu boulimique à la nourriture, de mon obsession pour la viande et le poisson, des aliments qui représentent l’énergie et la puissance.» Elle se met par exemple en scène en train de dépecer une dorade non écaillée à mains nues, déclenchant le malaise dans le public: «Cela dit beaucoup de choses de voir quelqu’un de gros manger sur un plateau. C’est quelque chose que les gens ne veulent pas voir», souligne Rébecca.

Elle se joue aussi du politiquement correct. En incarnant un personnage cannibale dans son spectacle «Monstres d’amour», une performance autour du thème de «l’amour dévorant», dans lequel elle ingurgitait des tranches de viande rouge crue étalées sur le corps nu de sa partenaire de jeu, blanche et maigre, elle a aussi déclenché les foudres de quelques afroféministes lui reprochant de «s’auto-exotiser». Bien que son travail soit bel et bien engagé, Rébecca revendique sa liberté artistique: «Le principe n’est pas de monter des spectacles pédagogiques en faisant du politiquement radical correct mon seul curseur de création. Je ne peux pas tout régler toute seule, ni répondre à toutes les questions intersectionnelles.» En attendant, elle aussi, à sa manière, elle ouvre la voie.

Le site de Dans le ventre, la compagnie théâtrale de Rébecca Chaillon: dansleventre.com
«Ouvrir la voix», le documentaire d’Amandine Gay: ouvrirlavoixlefilm.fr