LGBT+Une nouvelle génération d'artistes queers réveille La Réunion

Une nouvelle génération d'artistes queers réveille La Réunion

LGBT+Luna Ninja et Aurus, comme de nombreux artistes LGBT originaires de La Réunion, reviennent sur leur île pour initier un mouvement artistique détonnant
Pour son clip, Aurus a réuni la fine fleur des artistes queer de La Réunion
Pour son clip, Aurus a réuni la fine fleur des artistes queer de La Réunion - S.Grosolia / Aurus
Xavier Héraud

Xavier Héraud

L'essentiel

  • De nombreux jeunes artistes réunionnais sont venus en métropole pour faire leurs études ou développer leur pratique artistique.
  • Luna Ninja et Aurus témoignent de leurs parcours personnels et artistiques dont la nouvelle étape est un retour sur leur île, notamment à l’occasion du confinement.
  • Cette nouvelle génération d’artistes queers a créé une scène LGBT vivifiante à La Réunion et organise des événements tels que la Somène Requeer.

Elles et ils se nomment Luna Ninja, Aurus , Louïz , Brandon Gercara, Sheinara Tanjabi. Et sont danseur, chanteur, modèle chanteuse, artiste plasticien, drag-queen… Cette nouvelle génération de militant.e.s et d’artistes LGBT ou queers est en train d’imprimer sa marque sur l’île de la Réunion dont la bande est originaire. Leur retour sur l’île provoque une petite révolution culturelle et LGBT+.

Les parcours récents de Luna Ninja et Aurus sont particulièrement éloquents pour raconter ce début de bouleversement.

Une Somène Requeer

Le premier, Johan Piémont, alias Luna Ninja, est devenu en quelques mois l’ambassadeur de la culture ballroom - ou la culture voguing - à La Réunion. Après avoir donné des cours et créé la Kiki House of Laveaux, le danseur de 25 ans s’apprête à organiser le premier ball, c’est-à-dire le premier événement de voguing sur l’île. Le Live in Mini Ball viendra clôturer les trois jours de la Somèn Requeer, le 12 décembre prochain à La cité des arts de Saint Denis.

Ce jeune homme au sourire et à l’énergie contagieux a tout de suite eu la passion de la danse. « Au début je faisais principalement du hip-hop et je me suis rendu compte en grandissant que le hip-hop et le breakdance, c’était très hétéronormé. Moi j’étais attiré par un univers plus féminin, girly, les clips de Beyoncé… », se souvient-il.

Au lycée Johan Piémont rejoint une troupe de danse debout, le In Motion Crew, avec laquelle il danse toujours. « On a été le premier groupe à porter le waacking et le voguing dans nos chorégraphies à la Réunion. On a ramené les danses LGBT dans des concours de danse majoritairement hétéronormés », explique-t-il.

Voguer vers la métropole

En 2015, après avoir passé son bac, il quitte La Réunion pour Toulouse afin de voir « jusqu’où il peut aller dans la danse ». Les week-ends ou pendant les vacances, il monte régulièrement à Paris.

S’il avait déjà une attirance pour le voguing, jusqu’ici il n’en avait vu que sur Youtube. « Il y avait vraiment un manque d’école de danse urbaine à la Réunion », regrette-t-il. Il a un déclic en participant à un stage de vogue fem organisé à Paris par Reinaldo Milan. Puis un coup de foudre lorsqu’il assiste à son premier ball, lors d’une soirée La crème de la crème. L’organisatrice de la soirée n’est autre que Lasseindra Ninja, pionnière du voguing en France. Au bout d’un an, il intègre la prestigieuse House of Ninja, et Johan devient Luna Ninja. Il explique :

«  « Il y avait un manque de représentation LGBT dans l’île quand j’étais au lycée, j’avais besoin de partir et de découvrir les choses par moi-même dans la danse, mais aussi dans la vie. La ballroom m’a beaucoup aidée, Lasseindra m’a beaucoup aidée à découvrir qui j’étais, à prendre conscience de mon corps, à m’aimer davantage. »  »

Il entreprend alors de diffuser la culture ballroom à Toulouse et donnant des cours et en investissant les scènes de la ville. « Il y avait une communauté queer très développée, mais il y avait un besoin d’espace d’expression pour une communauté LGBT racisée », dit-il.

Aurus « à la maison »

Le parcours de Bastien Picot, dont Aurus est l’« expression de son moi-scénique », n’est pas très différent.

Né il y a trente-sept ans, le futur chanteur a également quitté son île pour aller étudier. Il a d’abord posé ses valises à Bordeaux, où il a suivi les cours d’une école de musique, le CIAM, avant de partir pour la capitale. Il y a construit une carrière de chanteur, que ce soit en lead, ou en faisant les chœurs pour d’autres. On a pu le remarquer dans son groupe génial les 3somesisters, qui en plus de leurs compos ont accompagné Yaël Naïm.

Il s’est ensuite lancé en solo et vient de sortir son premier album, Chimera. Onze chansons envoûtantes, d’une pop orchestrale tribale, portée par sa voix qui tutoie aussi bien les sommets que les profondeurs, avec des textes où le créole côtoie l’anglais. En pleine tournée promo Aurus se produira « à la maison » pour deux dates à La Réunion prochainement : le 8 décembre dans le cadre d’Iomma et le 11 décembre sur la scène Filaos dans le cadre du Sakifo.

Le covid, prétexte au retour

Pour Luna Ninja et Aurus, 2020 et le covid ont constitué un tournant.

Aurus vient passer le confinement à La Réunion. Il fait la connaissance d’autres artistes, qu’il invite à participer au clip de Kuhu, tourné peu après son retour. Lui qui a toujours prêté attention à l’aspect visuel de son art dévoile un alter ego drag, La Piyonté, maquillé par la drag-queen Sheinara Tanjabi, alias Shei Tan. On peut y voir Luna, Shei Tan, Brandon Gercara et d’autres. Bastien Picot/Aurus explique :

«  « Pour moi, artiste queer réunionnais, c’était important de m’entourer pour ce clip d’artistes de la communauté LGBTQIA + de La Réunion et de pouvoir montrer la diversité qu’on a à La Réunion et qu’on a tendance à invisibiliser peut-être plus qu’ailleurs. Mais on est là, on existe. Au-delà de ce message par rapport à la communauté LGBTQIA +, je me suis entouré de personnes qui ne correspondaient pas forcément aux standards de beauté et pour moi le message du morceau, il est là. »  »

De son côté, Luna passe le premier confinement à Toulouse, totalement désappointé. « 2020, c’était une année où il devait se passer plein de choses pour moi à Toulouse, je devais organiser le premier ball dans la ville… », se souvient-il.

Il décide de rentrer à la Réunion en décembre, pour recharger les batteries et en profite pour organiser son premier stage de voguing. C’est un succès. En raison de mesures de restrictions sanitaires il décale chaque mois son retour en métropole. « Au final, j’ai passé 4 mois à La Réunion et à chaque fois que j’ai organisé un stage, c’était complet. Je me suis rendu compte qu’il y avait une demande, un besoin pour la communauté LGBT réunionnaise. »

Le Maloya avait ouvert la voie

Assez logique, estime finalement Luna, qui trace un parallèle entre le Maloya, une danse et une musique traditionnelles réunionnaises, et le voguing. « Le Maloya c’est une musique qui vient d’un mouvement de rébellion face à la colonisation, face à la discrimination. Et la ballroom, c’est un peu le même univers, puisqu’elle est aussi née d’une discrimination contre des femmes trans drag de couleurs au sein l’univers des concours de beauté new yorkais. A La Réunion, ça prend tout son sens. A la fois on a cette envie de s’exprimer, de militer à cause de la colonisation, mais pour la scène queer, ça rajoute encore une couche supplémentaire. »

Il finit par rentrer à Toulouse, où il est de nouveau confronté aux restrictions sanitaires. Il voit de loin la première Marche des fiertés dans l’île, organisée par l’association Requeer (dont l’artiste Brandon Gercara est à l’origine), en juin dernier. Aurus y était :

«  « Pour moi, c’était un moment hyper émouvant. On attendait 500 personnes, il y en a eu plus de 1500, C’était émouvant de voir enfin les gens sortir de l’ombre. De voir cette communauté exister. C’est quelque chose qui m’aurait fait beaucoup de bien, je pense quand j’étais ado. C’est très beau de voir ça, de voir des parents qui soutenaient leurs enfants, des alliés. »  »

Pour Luna, c’est décidé, il rentre définitivement. « Il y a trop de portes qui s’ouvraient pour moi et il y avait plein de choses à faire ici. Ça porte ses fruits. Et ça va continuer. » Une nouvelle marche des visibilités sera organisée l’année prochains, Luna prévoit déjà d’organiser d’autres balls et Aurus souhaite transmettre sa passion et son savoir-faire pour le chant en créant un chœur queer.

Vivre ensemble

Pour Aurus et Luna, le Covid, au-delà de l’aspect dramatique de la pandémie, a produit un phénomène intéressant pour l’île : « Beaucoup de gens de différentes esthétiques sont revenus à la Réunion (…) Il y a eu comme un espèce d’appel du pays, analyse Aurus. On s’est rendu compte qu’ensemble on est plus fort. Ça avance et nous sommes vraiment acteurs de ce changement. C’est beau de pouvoir œuvrer ensemble pour pouvoir ouvrir un peu les esprits et que La Réunion rayonne vraiment dans un vivre ensemble qui a du sens. » Luna complète :

«  « Nous n’avons pas pu nous développer ici parce qu’il manquait des espaces de création. C’est nous, la nouvelle génération qui devons créer ces espaces pour la future génération réunionnaise, ou plus généralement dans les Dom Tom. »  »

Une démarche finalement très réunionnaise, pour Aurus : « A La Réunion, on est très connu pour notre vivre ensemble, je crois qu’en termes de couleur de peau, d’ethnicité, par rapport aussi à la religion, il y a une belle cohabitation qui existe et là-dessus je crois qu’on a une certaine longueur d’avance par rapport à d’autres endroits. En revanche, par rapport à la question queer, du genre, de l’orientation, il y a encore beaucoup de boulot à faire. », ajoute-t-il.

Bien qu’un peu plus jeune, Luna perçoit déjà un changement : « il y a dix ans on était beaucoup plus cachés, il y avait beaucoup de haine de soi. Maintenant on est beaucoup plus visibles. Bien sûr il y a toujours de l’homophobie, de la transphobie, mais on n’a plus peur de s’affirmer. »

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