Angel Maxine n’a pas choisi son nom de scène : c’est sa mère qui le lui a donné, un double hommage à sa personnalité et à sa voix. Un timbre d’ange, doux et ténu, que la chanteuse a mis au service des minorités sexuelles au Ghana, où leurs défenseurs sont rares. Le fantasque rappeur Wanlov des Fokn Boys, en dreadlocks et toujours pieds nus, est de ceux-là. Et c’est dans son studio d’Accra, dans une pièce de l’appartement qu’il partage avec sa sœur, la présentatrice et chanteuse Sister Deborah, qu’Angel Maxine est venue enregistrer son prochain titre.
Les trois artistes avaient déjà collaboré en 2020 sur le single Wo Fie, dont le refrain entêtant est devenu viral sur les réseaux sociaux : « Oui, il y a des homosexuels dans ta famille… » Cette fois, Angel Maxine est la star de l’EP, avec Wanlov aux manettes pour diriger l’enregistrement. « Elle a du talent et elle bosse dur, assure ce dernier. Il y a une vraie bonté en elle. » Depuis vingt ans que Maxine est artiste, chanteuse et performeuse, mais pas n’importe laquelle : la première et, pour l’heure, la seule musicienne publiquement transgenre au Ghana. La seule activiste trans, aussi, dans un pays où l’homophobie est omniprésente.
Un « projet de loi anti-LGBT », introduit à l’été 2021 et actuellement examiné par une commission parlementaire, serait l’une des réglementations les plus radicales de ce type en Afrique. Dans sa version actuelle, proposée par des députés de l’opposition mais soutenue également par le parti au pouvoir, le New Patriotic Party (NPP), toute personne ayant des relations homosexuelles ou s’identifiant comme LGBT+ serait passible d’une peine de cinq ans de prison. Ce serait même le double pour toute forme de défense des personnes LGBT+, incluant le prêt de locaux pour des réunions de militants ou la prise de parole publique en faveur de leurs droits. La loi stipule également que toute personne ayant connaissance de tels actes aura obligation de les signaler.
Des boucs émissaires
« Si la loi passe, j’irai en prison, souligne Angel Maxine. Pour cinq, voire dix ans. Une prison pour hommes, bien sûr, et je serai forcée de suivre une thérapie de conversion et un traitement hormonal. Ils me briseront. » Les autres activistes risquent également la prison et parmi les LGBT+ du Ghana, prédit-elle, « beaucoup vont souffrir, car les violences homophobes vont augmenter. D’ailleurs, c’est déjà le cas depuis le lancement du projet de loi. On va assister à une vague de suicides de personnes queer ».
Les homosexuels, bisexuels et transgenres ne seraient d’ailleurs pas les seuls à en pâtir : la loi autoriserait également l’Etat à forcer les personnes intersexuées – qui représentent jusqu’à 1,7 % de la population mondiale, selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU – à subir une chirurgie de réassignation sexuelle.
Dans un pays en plein effondrement, avec une inflation à 40 % et une défiance croissante envers les autorités accusées d’incurie et de corruption, la communauté LGBT+ est un bouc émissaire bienvenu. « Tous ces députés et ces ministres qui défendent la loi savent très bien qu’au Ghana, nous avons un problème culturel, social, religieux avec l’homosexualité et la transidentité, poursuit la chanteuse. Il leur suffit de nous pointer du doigt pour faire l’unanimité. Tout d’un coup, les gens oublient qui sont ceux qui volent leur argent. »
Selon une enquête de l’ONG ghanéenne Africa Centre for International Law and Accountability (Acila) publiée en 2021, « 87 % des Ghanéens sont opposés au fait d’autoriser les personnes LGBT+ à tenir des réunions publiques ». Plus d’un tiers soutient qu’ils devraient être discriminés dans leur recherche d’emploi, 10 % dans les associations religieuses et 9 % dans les nominations publiques. Plus de la moitié des sondés étaient également favorables à l’expulsion des étudiants perçus comme LGBT+.
Impact négatif de la loi anti-LGBT sur l’économie
Alors que le Ghana était perçu jusqu’à récemment comme un modèle pour les démocraties ouest-africaines, l’image du pays sur la scène internationale pourrait pâtir de ce regain de stigmatisation. Au moment de la vague d’homophobie qui avait frappé l’éphémère association LGBT Rights Ghana et ses quelques défenseurs en 2021, 67 personnalités du monde de la culture avaient déjà publié une lettre ouverte pour soutenir leurs droits.
Y figuraient notamment des membres influents de la diaspora ghanéenne comme l’acteur Idris Elba, l’actrice et réalisatrice Michaela Coel et feu Virgil Abloh, directeur artistique chez Louis Vuitton. Mais leur intervention n’avait fait que nourrir les accusations d’une supposée immixtion occidentale dans la société et les mœurs ghanéennes. Et même le président Nana Akufo-Addo, jadis avocat des droits de l’homme à Paris, avait fini par se ranger à la cause des anti-LGBT+.
« Tous les étrangers LGBT, ou qui ont de la famille ou des amis qui le sont, ou tout simplement qui soutiennent nos droits, vous pensez qu’ils vont continuer de faire commerce avec le Ghana si la loi passe ? interroge Maxine. Vous pensez que des touristes gays vont venir danser aux festivals Afro Nation ou Afrochella s’ils savent que la police peut venir les arrêter en pleine nuit à leur hôtel ? Ce n’est même pas simplement sur le plan des droits humains que cette loi est une aberration, c’en est aussi une pour notre diplomatie et notre économie. »
L’ambassadrice américaine Virginia Palmer a d’ailleurs également mis en garde, dans un entretien avec la BBC, contre un impact négatif de la loi sur l’économie du Ghana, annonçant que des entreprises « diront qu’elles ne pourront pas installer leur siège social au Ghana si les droits du peuple ghanéen n’y sont pas respectés, si les gens ne sont pas en sécurité dans les rues ». Avant de rappeler : « Nous n’essayons pas de promouvoir l’homosexualité. Nous ne voulons pas que vos enfants hétéros soient gays, nous voulons que vos enfants gays soient en sécurité. »
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