Ali Feruz par Mischa Galyan
Photo Michael Galian

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Société

Avec le journaliste queer qui tente d'unir les défenseurs des droits des minorités

Ali Ferouz a créé un nouveau réseau de médias afin de soutenir les journalistes qui couvrent les problématiques LGBTQ dans les pays de l’ex-URSS.

Au quotidien, des personnes queer du monde entier sont punies pour leur sexualité, mais ce n’est que lorsqu’elles sont déportées et massacrées que nous en entendons parler. « Regardez ce qui se passe en Tchétchénie », remarque Ali Ferouz, journaliste et ancien correspondant ouzbek du journal radical russe Novaya Gazeta, premier média à avoir couvert la « purge LGBT » d’il y a deux ans. « Cela fait longtemps qu’il y a des meurtres, mais les médias n’en ont parlé que quand cela a pris cette ampleur. Il y en a toujours dans d’autres pays, alors nous devons en parler maintenant – pas après qu’une autre centaine de personnes auront été tuées. »

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Ce n’est pas une exagération que de dire que la presse a sauvé la vie d’Ali. Après des années à échapper aux mailles du filet des autorités russes, Ali a été arrêté en 2017 et un tribunal a décidé qu’il travaillait pour Novaya Gazeta de façon illégale, avant d’ordonner sa déportation. Sa vie était déjà difficile en tant que journaliste ouvertement queer qui couvrait les violations des droits de l’homme en Russie, mais elle a pris un tournant encore plus dangereux quand on l’a menacé de déportation en Ouzbékistan, pays où l’homophobie est toujours inscrite dans la loi. Après sa fuite, il y a une décennie de cela, à la suite de sa torture en prison, Ali a ouvertement déclaré qu’il préférait mourir que d’y retourner.

Les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme du monde entier se sont unis pour le défendre, et, après une longue campagne, les autorités l’ont libéré l’année dernière et il est parti en Allemagne. « Je suis si heureux, dit-il. Énormément de journalistes et d’activistes m’ont contacté et aidé, mais je sais qu’il y a d’autres pays où les gens vivent des choses similaires. Ils n’obtiennent toujours rien de bon, et même, dans certains cas, c’est devenu pire. »

Ali admet que les collaborations entre journalistes et activistes persécutés n’ont pas toujours de bons résultats, mais ses expériences l’ont récemment amené à créer le nouveau projet de média Unit, un réseau de journalistes qui souhaitent améliorer la façon dont sont couverts les groupes minoritaires dans les états de l’ex-Union soviétique, en partenariat avec l’organisation non-gouvernementale n-ost.

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« Les médias aiment considérer que ces gens sont des victimes, mais ce sont aussi des combattants. Ils essayent de vivre de meilleures vies, et il est donc important pour nous de leur donner une plateforme pour raconter leurs histoires »

« Notre but, c’est de relier les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme, explique Andreas Schmiedecker, qui intervient quelques fois pour traduire les questions pour Ali. L’idée, c’était de créer un réseau de journalistes de pays de l’ex-URSS qui travaillent sur les sujets LGBTQ. Nous avons examiné l’expérience d’Ali et avons estimé qu’il était impossible de faire respecter les droits de l’homme sans le bon contexte médiatique, alors nous avons voulu créer quelque chose de durable pour garantir une meilleure couverture de ces thèmes. »

Unit a publié deux articles, et un troisième – sur les violations des droits de la communauté LGBTQ en Tchétchénie, écrit d’un point de vue féministe – est en cours d’écriture. Une campagne de crowdfunding a été créée pour payer les journalistes et financer le réseau, puisqu’ils s’entraident pour certaines choses comme la traduction, le consulting et la couverture médiatique. Ce modèle financier leur permet de ne pas avoir à faire appel à des intermédiaires ou des publicitaires et, de façon plus importante encore, leur garantit que leurs articles ne seront pas cachés par un service payant.

Ce genre de décisions fait aussi partie de leur mission pour, comme le dit Ali en pouffant de rire, « rendre au journalisme sa grandeur ». Andreas développe la stratégie : « Il y a à la fois un but local et un but international, donc d’un côté, nous publions des articles visant un public international, et de l’autre, nous allons sur le terrain pour diriger des ateliers publics et dynamiser les gens. L’une des meilleures manières de le faire, c’est de les relier entre eux, surtout s’ils n’ont pas déjà eux-mêmes un public. »

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Ali Feruz Mischa Galyan

Photo : Mischa Galyan

Cette touche personnelle est ce qui rend Unit si spécial. « Les médias aiment considérer que ces gens sont des victimes, mais ce sont aussi des combattants, dit Ali. Ils essayent de vivre de meilleures vies, et il est donc important pour nous de leur donner une plateforme pour raconter leurs histoires. » Et il ajoute : « C’était un équilibre délicat à trouver, parce que nous ne souhaitons pas encourager cet arc narratif de ‘victimes’, mais en même temps, les faits parlent d’eux-mêmes. Cet aspect de réseau garantit que ces histoires ne sont pas racontées que par une seule personne. »

Leur dernier article a été publié sur le site américain The Advocate et il est aussi émouvant qu’informateur. Les activistes exilés y évoquent avoir été régulièrement frappés, ou avoir eu peur pour leurs vies lors de rassemblements politiques, ou d’en venir à la conclusion douloureuse que leur seule chance de salut était de fuir leur pays natal. L’article brise le cœur, mais il est également édifiant : comme le souligne Ali, ce ne sont pas seulement des victimes.

Des histoires plus nuancées de personnes marginalisées sont toujours rares dans les médias, et ce, même dans les pays les plus progressistes, alors voir cette détermination à faire entendre les voix des invisibilisés est encourageant. Mais la plateforme fait aussi face à des challenges, comme le financement et la censure, qui vont souvent de pair. « Trouver des partenariats locaux a été difficile, explique Andreas. Ils ne peuvent pas tous travailler ouvertement avec nous et, dans certains pays, les ONG n’existent tout simplement pas. Et puis il y a les législations complexes, comme en Russie, où il y a des lois très strictes sur l’implication d’agents extérieurs – on en est même au point que les gens sont individuellement persécutés parce qu’ils travaillent avec des médias étrangers. »

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Malgré tous ces obstacles, Ali et Andreas sont passionnés par la possibilité de changement qu’offrent les médias. Ali cite l’exemple d’un blogueur gay du Tadjikistan, qui apparaît sur la liste officielle de personnalités LGBT reconnues établie par les autorités en 2018, prétendument « pour leur sécurité ».

« Il y avait une vidéo de Sasha Masskva qui montrait des gens en train de l’attaquer, juste devant un officier de police, à Moscou, poursuit Ali. Selon lui, c’est parce qu’il porte du maquillage et qu’il joue des chansons féminines sur Instagram que ces hommes l’ont attaqué. On peut voir un officier de police sur son téléphone, qui feint de ne pas prêter attention à la situation. »

Le clip n’est qu’un aperçu du harcèlement que les personnes queer subissent mais, étonnement, il a permis un levé de soutien pour Masskva, même venant de commentateurs conservateurs, ce qui semble confirmer l’idée d’Ali selon laquelle une couverture médiatique peut avoir des effets positifs. « C’est pour cela que nous devons entamer des discussions ; parce que nous avons vu que les gens le soutenaient. Ils disaient qu’il était humain, qu’il n’avait rien fait de mal, ni commis aucun crime. Il n’aurait pas dû être puni, et selon moi, les gens commencent enfin à le comprendre. »

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