Manifestation pro PMA pendant la Gay Pride, le 29 juin 2013 à Paris

Manifestation pro PMA pendant la Gay Pride, le 29 juin 2013 à Paris.

afp.com/LIONEL BONAVENTURE

"C'est maintenant que ça se joue !" Au sein des associations LGBT, c'est l'effervescence : vendredi 26 juillet, le projet de loi bioéthique, comprenant l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes, sera présenté en Conseil des ministres, avant d'être examiné au Parlement en septembre. Pourtant, pas de triomphalisme dans les rangs, mais une inquiétude et une mobilisation de tous les instants. C'est "un moment crucial", résume à L'Express Nicolas Faget, porte-parole de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).

Publicité

LIRE AUSSI >> PMA : l'exécutif face au spectre du mariage pour tous

Il faut dire qu'en dépit de promesses de campagnes successives, et du feu vert du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) en 2017, François Hollande puis Emmanuel Macron ont reporté durant sept ans le texte - désireux de ne pas réveiller les opposants au Mariage pour tous. Mais cette fois, la communauté LGBT est bien décidée à défendre sa loi. Campagnes de communication, lobbying, éducation des médias... Rien n'est laissé au hasard pour gagner la bataille de l'opinion. Et voir, enfin, l'extension de la PMA inscrite dans la loi.

Le traumatisme du Mariage pour Tous

"On ne veut pas revivre '2013'". Nicolas Faget et les militants LGBT n'ont pas oublié le précédent du Mariage pour tous. Cette année-là, et alors que le Parlement vote la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels, les signalements d'actes à caractère homophobe explosent (+ 78 %), selon le décompte de SOS Homophobie. Ces agressions verbales et physiques suivent un débat politique houleux, émaillé d'insultes jusque sur les plateaux de télévision.

En cause ? La "sur-représentation" des opposants au Mariage pour tous dans les médias, le "succès de communication" de La Manif pour tous, mais aussi l'absence de "relais politiques" et de porte-paroles lesbiennes de premier plan, analyse aujourd'hui Alice Coffin, journaliste et porte-parole de la Conférence européenne lesbienne. "Quand il y a déversement d'une parole homophobe, les actes homophobes augmentent, car cette parole est banalisée", avance encore Clémence Allézard, co-présidente de l'Association des journalistes lesbiennes, gays, bi·e·s et trans (AJL), alors que les agressions physiques contre les personnes LGBT ont atteint en 2018 un nouveau record.

LIRE AUSSI >> PMA : les lesbiennes veulent reprendre la parole médiatique

Les associations assurent avoir retenu la leçon du traumatisme "2013". Dès les mois qui suivent, le militantisme lesbien se structure pour porter la revendication de l'extension de la PMA à toutes les femmes. Dans les associations LGBT existantes - majoritairement dirigées par des hommes - des porte-paroles femmes sont désignées, de nouvelles associations lesbiennes voient le jour (Conférence européenne lesbienne, Lesbiennes d'intérêt général...), et d'autres structures balbutiantes se consolident (collectif Oui oui oui, équipe de foot des Dégommeuses...).

Campagnes de com'

Ce militantisme renouvelé a désormais un objectif : "désamorcer les agressions et les violences verbales dont on a été victime en 2013", indique Véronique Godet, nouvelle co-présidente de SOS Homophobie. Depuis l'automne 2018 et le retour du sujet dans le débat public, les pro-PMA pour toutes assurent notamment un travail d'information du public grâce à la mise en oeuvre de deux campagnes de communication "pédagogique".

En octobre 2018, et alors que le projet de loi bioéthique est attendu à l'automne, SOS Homophobie diffuse sur son site et sur les réseaux sociaux un spot intitulé "C'est quoi, un bon parent ?", montrant le quotidien d'une famille, dont on comprend dans les dernières secondes du clip qu'elle est homoparentale. Cette campagne, vue une dizaine de milliers de fois sur YouTube, pourrait être diffusée à la télévision ces prochains mois.

Un second clip, réalisé par l'APGL, Gaylib et Homosexualités et Socialisme, est diffusé depuis jeudi 18 juillet. Intitulé "La PMA n'attend plus !", il met en scène des jeunes adultes nés de PMA à l'étranger. Plusieurs personnalités telles l'ex-journaliste Audrey Pulvar, ou l'escrimeuse Sarah Daninthe, appellent les politiques à adopter le projet de loi.

Avec succès ? Depuis novembre 2012 et le début des débats sur le Mariage pour tous, le soutien des Français à la PMA pour toutes a en tout cas progressé de 51 % à 65 %, selon l'Ifop. Et La Manif pour tous, qui jette ses dernières forces dans la bataille, échoue pour l'instant à rassembler plus qu'une poignée de manifestants lors d'actions locales.

Interpeller les médias

Surprises par la violence des discours en 2013, les associations comptent désormais ne plus rien laisser passer. SOS Homophobie "portera systématiquement plainte" contre les propos homophobes d'élus, assure ainsi Véronique Godet, sa co-présidente. En ligne de mire, notamment : la députée ex-LREM Agnès Thill, exclue du parti fin juin en raison de ses sorties homophobes, et la conseillère municipale indépendante Agnès Cerighelli, dont plusieurs messages diffamatoires sur Twitter ont été effacés par le réseau social vendredi dernier.

LIRE AUSSI >> Agnès Thill, missionnaire anti-PMA d'En Marche

Mais le combat de l'opinion se joue aussi dans les médias. Depuis 2013, l'AJL met à disposition des rédactions un kit pour "informer sans discriminer", dont un chapitre est spécialement consacré à la PMA. L'association s'est également fait une spécialité d'interpeller les médias sur les réseaux sociaux. Dernier exemple en date : début juin, elle a demandé à "20 Minutes" de retirer un appel à témoignages qui invitait les anciens manifestants contre le Mariage pour tous à signaler s'ils comptaient de nouveau se mobiliser.

"On est en démocratie, on peut évidemment aussi donner la parole aux opposants à la PMA", reconnaît Guillaume Mélanie, président d'Urgence Homophobie. "Mais à l'équivalent de ce qu'ils représentent dans la population", ajoute-t-il immédiatement. Six ans après la montée des violences homophobes en 2013, "les journalistes ont une responsabilité", abonde Clémence Allézard, co-présidente de l'AJL, pour qui ce type d'appels à témoignages est "performatif" dans la création d'une opposition.

LIRE AUSSI >> Contre la PMA, La Manif pour tous rêve de rejouer 2013

Alors que les lesbiennes et les familles homoparentales sont peu montrées dans les médias, ceux qui accueillent leur parole (notamment par le biais de tribunes) constituent néanmoins une plateforme efficace pour diffuser leur message auprès du grand public... mais aussi aux décideurs.

"On essaie de pallier les manquements du texte"

Car avec l'accélération du calendrier, le travail des militants se joue désormais prioritairement dans les lieux de pouvoir. Alors qu'Emmanuel Macron a reçu en mai les représentants du culte sur la question de la PMA, hors de question pour les associations de laisser le terrain aux opposants au texte. Ces derniers mois, elles ont rencontré de nombreux députés LREM puis ont été reçues à diverses reprises au ministère de la Justice pour évoquer la rédaction du texte final. Et doivent de nouveau rencontrer l'équipe de la garde des Sceaux avant la présentation du projet de loi, à la fin de la semaine.

LIRE AUSSI >> PMA : les députés LREM pris de vertige

"On essaie de pallier les manquements du texte en l'état actuel", explique Laurène Chesnel, déléguée Familles de l'Inter LGBT, qui se réjouit néanmoins que le texte entérine l'ouverture de la PMA à toutes les femmes célibataires et en couple lesbien "dans les mêmes conditions que pour les couples hétéros".

Mais à quelques jours de la ligne d'arrivée, il leur faut encore convaincre le gouvernement sur deux points : adopter un mode d'établissement de la filiation identique pour les couples homosexuels et hétérosexuels, et lever l'anonymat des donneurs de gamètes.

Vers de nouvelles mobilisations ?

Dans les rangs associatifs, on espère que cette dernière étape sera plus courte et moins mouvementée que les précédentes. "Le débat au sein de la société française a déjà eu lieu (...). Cette fois, il aura lieu au Parlement", insistait en juin dans La CroixJoël Deumier, alors président de SOS Homophobie, réticent à descendre dans la rue.

Pourtant, plusieurs associations interrogées par L'Express l'assurent : si les oppositions retrouvent un nouveau souffle, elles aussi pourront, comme lors de la Marche des Fiertés en juin, battre le pavé pour se faire entendre. "Face aux propos violents envers les lesbiennes [lors de l'examen du texte de loi], il sera important d'offrir des espaces de solidarité et de survie militante", argumente Alice Coffin, qui réfléchit à l'organisation d'"une marche lesbienne" en septembre. Pour surtout, ne pas revivre "2013".

Publicité