Jean-Paul Enama, de Humanity First Cameroun : « L'attitude des religieux est vraiment ce qui a déclenché la création d'associations de défense des droits LGBT »

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À l'occasion de son passage en France, à l'invitation de Solidarité Internationale LGBTQI+, nous avons interviewé le directeur exécutif de Humanity First Cameroun, Jean-Paul Enama.

Une action de dépistage du VIH réalisée par Humanity First Cameroun - DR

Jean-Paul Enama, est directeur exécutif de Humanity First Cameroun, une association camerounaise qui lutte contre le VIH chez les populations vulnérables et qui défend aussi les minorités sexuelles et de genre. Créée il y a 11 ans, l’association compte une cinquantaine de salarié·es et une vingtaine de bénévoles, pour la plupart des des pairs éducateurs présents dans tout le pays. En novembre dernier, Jean-Paul Enama conduisait une délégation de Humanity First Cameroun, invitée par l’association Solidarité Internationale LGBTQI+ (SIL) à venir renforcer les liens avec la communauté en France. C’est à cette occasion que nous l’avons interviewé pour nous parler des actions de cette association dans un pays qui entretient des liens étroits avec la France.

Komitid : Quelle est la situation du VIH au Cameroun ?

Jean-Paul Enama : L’enquête Camphia de 2018 a montré une prévalence du VIH de 3,7 % au Cameroun. Mais une enquête de 2016 avait montré une prévalence beaucoup plus forte chez les Hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (autour de 37 %) et pour les travailleurs du sexe,. Le ministère de la Santé publique a mis en place des actions, des programmes de santé financés en grande partie par le Fonds mondial et par PEPFAR (programmé étasunien de soutien aux actions contre le VIH/sida, ndlr) auprès de ces populations. Depuis une dizaine d’années, les associations identitaires mènent des actions pour réduire les nouveaux cas d’infection. Chez Humanity First Cameroun, 85 % de nos salariés sont pris en charge par ces programmes.

En matière de prévention, la PrEP est encore en phase d’essai, il n’y a pas eu de passage à l’échelle. Juste HSH, trans, TS. Dans l’association, 200 personnes (HSH, personnes trans, Travailleurs du sexe) sont enrôlées dans des programmes PrEP.

 

Quelle est la situation légale des personnes LGBTI+ au Cameroun ?

L’article 347-1 du code pénal punit toute personne surprise en flagrant délit d’acte homosexuel d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Mais derrière cet article de loi, il existe de nombreux abus, car il faut flagrance, sur la base de présomption, d’arrestation arbitraire. Parfois même des aveux. En dehors de cette loi, il existe aussi une loi sur la cybercriminalité qui punit les échanges entre personnes de même sexe sur internet. Si ces échanges aboutissent à un rapport sexuel, la peine est doublée. Nous avons eu un cas d’un bénéficiaire qui avait été condamné au nom de cet article 83 portant sur la cybercriminalité.

Pour les personnes trans, qu’est-ce qui est mis en place ?

Les personnes trans souffrent davantage. C’est souvent perçu comme de la sorcellerie. La législation ne prévoit rien. Légalement tu ne peux pas changer d’acte d’identité. On a eu le cas d’une femme mais c’est très exceptionnel.

« On a ouvert la cellule Genre et leadership féminin, et depuis 2013, on a une approche pour inclure des femmes dans tout ce que nous faisons »

Vous dites aussi agir sur les questions relatives à la santé et aux droits des femmes. Comment ?

L’association est divisée en plusieurs départements dont la santé, les droits humains, le VIH, etc. Les femmes nous ont approché car elle subissent des violences de genre. Pour être inclusif, on a ouvert la cellule Genre et leadership féminin, et depuis 2013, on a une approche pour inclure inclut des femmes dans tout ce que nous faisons. On a monté un projet avec SIL, au Cameroun le football féminin gagne de plus en plus du terrain, alors on a pu se servir du sport pour envoyer des messages de tolérance. Nous sommes parfois bloqués dans nos projets car souvent les projets ciblant des femmes reçoivent des financements si l’association est exclusivement dédiée aux femmes ou si la dirigeante est une femme. Ou alors le conseil d’administration doit être composé pour moitié de femmes. Nous faisons en sorte aussi de favoriser l’embauche de femmes de la communauté LBT.

Comment la société voit-elle l’homosexualité ? La religion occupe-t-elle une place importante dans le débat public au Cameroun ?

L’attitude des religieux est vraiment ce qui a déclenché la création d’associations de défense des droits LGBT. On avait pu voir en effet comment la religion instrumentalisait l’homosexualité expliquant par exemple que c’est à cause des homosexuels qui n’y a pas de travail au Cameroun. C’est un facteur qui véhicule l’homophobie au Cameroun. Dans notre langue maternelle, il n’existe pas de mot pour désigner un homosexuel. Les gens justifient les actes de haine au nom de la religion. Les gens disent souvent : ça ne fait pas partie de nos us et coutumes, on ne reconnaît pas l’homosexualité. Pourtant il y a des études qui ont montré le contraire. Nous sommes en train d’écrire un guide de media training. On est souvent amenés à prendre la parole et si on a des hommes religieux des politiciens des sociologues, qui ont des arguments très arrêtés pour justifier l’homophobie ou les actes homophobes. Nous, en face, avons besoin d’arguments et ce guide va être distribué dans toutes les associations activistes d’Afrique francophone et d’ailleurs.

De plus en plus, nous allons vers des religieux même si c’est difficile. On sensibilise les chefs traditionnels, mais le travail ne semble pas porter des fruits à la hauteur de nos ambitions.

Pourquoi est-ce important de travailler avec SIL ou Solidarité sida. Qu’est-ce que cela vous apporte concrètement ?

C’est important pour donner une portée internationale à nos actions. On est en Afrique, on travaille on travaille, mais les gens ne savent pas bien ce que nous faisons. SIL permet de valoriser les actions que nous faisons sur le terrain. SIL ne peut en aucun cas faire de la mise en œuvre. Il y a toujours l’accusation sur le fait que c’est l’Europe qui exporte l’homosexualité donc on n’a pas voulu que nos actions soient teintées de ce cliché-là.

Nous pensons que ce sont aussi de bonnes collaborations Nord Sud qu’il faut maintenir, en évitant le piège de l’impérialisme, de la colonisation. C’est nous qui parlons pour nous.

Qu’attendez-vous de la France et de l’Europe ?

La France et le Cameroun entretiennent des relations depuis très longtemps. On attend un support de nos actions, qu’elle continue d’entretenir le dialogue avec notre gouvernement parce que notre gouvernement nous reconnaît sur les aspects de santé mais sur le travail sur les droits humains, il nous tourne le dos. On attend de la France qu’elle continue de relayer nos combats, nos souffrances, et se faire notre alliée. Un soutien financier et technique sont bienvenus, mais aussi pour faciliter la demande de visa. Pour les activistes qui ont choisi de rester en Afrique, c’est mon cas, je n’ai pas pour intention de m’installer sur le sol européen, je souhaiterai avoir cette facilité-là par rapport aux visas.