La beauté au service de la culture du viol : les « moches » aussi se font violer

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Insupportable. En Italie, une jeune femme péruvienne a été jugée trop « peu attrayante » et « trop masculine » pour être violée. Il est temps de remettre les pendules à l'heure...

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La beauté au service de la culture du viol : les « moches » aussi se font violer - bekrut / Shutterstock

Trop moche pour être violée ? Non non, hélas, les dernières nouvelles d’Ancône, en Italie, n’étaient pas un cauchemar. Le vendredi 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le motif d’un jugement en appel de 2017 sur une affaire de violences sexuelles — annulant les sentences des deux violeurs présumés initialement prononcées en 2016 — a été révélé… La victime, dont le nom n’a pas été divulgué par les médias, n’était pas assez belle pour être l’objet d’un viol « crédible ». Et manifestement, le rapport médical confirmant des lésions internes provoquées par un viol et la présence de somnifères dans le sang de la plaignante ne font pas le poids face à un tel argument.

Le viol n’est pas une question de bonnitude

« Peu attrayante » d’après les juges, cette femme âgée de 22 ans au moment des faits, en 2015, aurait aussi eu l’outrecuidance d’être trop « masculine ». Et mon petit doigt me dit que le fait qu’elle soit Péruvienne joue aussi en sa défaveur, le machisme n’étant pas spécialement connu pour ses positions antiracistes. L’un des accusés tenait tellement à exprimer son dégoût quant à l’apparence de cette femme qu’il a souligné le fait de l’avoir surnommée « viking » dans le répertoire de son téléphone. Bichon, ben oui, c’est vrai que cette preuve irréfutable de ta couarde goujaterie change tout ! Sauf que non. Nous sommes en 2019. Une simple recherche aurait pourtant renseigné les trois juges à l’origine de cette décision révoltante : le viol n’est motivé ni par l’attirance, ni par le désir. Ni même par une quelconque pulsion d’ordre sexuel. C’est une question de pouvoir. Le pouvoir de s’imposer, de dominer. Le pouvoir d’humilier, le pouvoir de faire mal.

« Le sexisme intériorisé est une réalité très concrète »

Si la tentation de juger à leur tour les magistrates, oui magistrates, pour leur verdict et leurs propos est grande, il est aussi important d’interroger cette envie pressante. Pourquoi préfèrerait-t-on déverser notre colère, des plus légitimes, sur elles plutôt que sur le système qui les formate à raisonner ainsi ? Grâce à cette merveilleuse société cishétéro-patriarcale qui fabrique de toutes pièces les hommes d’un côté et les femmes de l’autre (ou plutôt les uns en haut, les unes en bas), la misogynie est une idéologie qui s’immisce même jusqu’au plus profond des personnes qu’elle meurtrit en premier lieu. Le sexisme intériorisé est une réalité très concrète.

La « beauté » : un concept hétéro

On sait que la beauté n’a rien à voir avec le viol. Mais revenons-y tout de même un instant. La beauté, c’est quoi ? Quand on parle de femmes, le concept de « beauté », c’est avant tout plaire à l’homme hétérosexuel — parce que les meufs bigouines n’existent pas, rappelons-le. Et pour flatter l’exigeant appétit visuel de cette gent masculine aux globes oculaires si facilement irritables, aujourd’hui, il faut être : féminine, mince, blanche, valide, jeune, cisgenre, hétérosexuelle et dyadique (la fétichisation des personnes qui sortent de cette étroite norme étant encore une autre forme de violence).

« Toujours perdantes »

Cette notion de beauté, outil d’oppression des femmes par excellence s’il en est, alimente quotidiennement la culture du viol. Si l’on est trop belle, trop apprêtée, si l’on porte un string : on l’a « bien cherché », phrase que peut aussi s’entendre rétorquer par les masculinistes lorsque l’on parle du viol correctif d’une lesbienne. Si l’on est trop laide, on ment, car « on ne [nous] approcherait même pas avec un bâton glissé dans une capote » (je me permets là de citer le message que j’ai reçu d’un quidam il y a quelques années, après un témoignage télévisé au sujet d’un frotteur dans le métro parisien). Et si jamais un homme daignait manifester un quelconque intérêt pour nos viles carcasses imbaisables, on devrait quoi qu’il arrive se sentir… flattées. Belles, moches, nous sommes toujours perdantes.

Toutes des vikings !

Pour l’avocate de la victime, qui est depuis retournée vivre au Pérou car « ostracisée » par les habitant.e.s d’Ancône, hors de question d’en rester là face à cette décision qu’elle qualifie, à juste titre, de « dégoûtante ». La Cour suprême, que Maître Cinzia Molinaro avait saisie en 2017, vient donc d’annoncer qu’un nouveau procès se tiendrait à Pérouse (mais n’a pas encore annoncé de date). D’où le retentissement nouveau de cette affaire de viol, qui a mobilisé plusieurs centaines de manifestantes féministes et activistes LGBT+ dans la ville italienne ce lundi 11 mars. Un mouvement de soutien à la jeune femme qui a d’ailleurs lancé le mot-dièse #SiamoTuttiVikingo, qui signifie « nous sommes tous vikings ».

Violées « car » pas assez hétéro, violé.e.s « car » trans, violés « car » pas assez virils, violées « car » trop laides, oui, nous sommes, comme cette femme, des « vikings ». Et comme notre guerrière nordique bisexuelle préférée du petit écran Lagertha, nous ne laisserons plus faire la masculinité toxique en toute impunité. Nous sommes toutes vikings. Et nous attendons ce nouveau procès de pied ferme, solidaires, fières et vénères.