Abo

QueertopieQUEERTOPIE. Avec Queer Chevelu, la coiffure devient un acte militant

Par Florian Ques le 17/10/2019
Queer Chevelu

Même quand ils sont courts, les cheveux en disent long sur notre identité. Et s’il y a bien une personne qui l’a compris, c’est Queer Chevelu. Derrière cet alias astucieux se cache un vingtenaire pour qui couper les tifs est devenu une forme d’activisme. TÊTU l’a rencontré pour notre série “Queertopie”, dédiée à celles et ceux qui s’investissent pour le mieux-être des individus LGBT+.

Une coupe châtain légèrement ébouriffée, des lunettes rondes sur le nez et, globalement, un air très décontracté. Ce samedi après-midi d’automne, Queer Chevelu m’ouvre les portes de son domicile, une colocation dans le XXe arrondissement parisien. Mais plus que son chez-soi, c’est aussi là que Vic s’adonne à son passe-temps favori. Passe-temps qui, petit à petit, est devenu beaucoup plus que ça.

Les mercredis et samedis, des gens se pointent sur son palier. Ce sont des ami·es, des potes de potes, voire même des personnes qu’iel ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. S’ils viennent ici, c’est pour se faire rafraîchir leur coupe de cheveux. Depuis quelques années, Vic propose des coupes à domicile, à prix libre. Armé·e de ses nombreuses paires de ciseaux et de sa tondeuse électrique, iel utilise son talent inné pour la coiffure pour aider sa clientèle LGBT+ à s'exprimer avec ses cheveux. Au début, des amis, et puis, au fur et à mesure, de nouveaux clients sont arrivés. 

Peu de choix

“75% des gens à qui je coupe les cheveux maintenant, c’est des gens que je ne connaissais pas à la base, nous explique le principal intéressé. Ce sont en majorité des personnes queer et/ou féministes. J’ai beaucoup de personnes trans et non-binaires aussi”. Pour Queer Chevelu, le fait que les gens trouvent refuge à ses côtés s’explique facilement : l’industrie de la coiffure reste, mine de rien, très hétéronormée et peut devenir un calvaire pour les individus qui ne rentrent pas dans le moule imposé. “Il y a très peu de choix. Au final, il y a peu de personnes qui sont trans-friendly ou concernées, qui ne vont pas te mégenrer, qui vont accepter de te faire la coupe à un prix qui ne soit pas nécessairement genré…”

Chez Queer Chevelu, pas de tout ça. “Ce sont beaucoup de personnes qui ont eu des mauvaises expériences. Ici, c’est un safe space”, garantit-iel. Ce sens de la tolérance et cette ouverture d’esprit, Vic les a cultivés tout au long de son cursus universitaire mais aussi de son cheminement personnel. “Je m’intéressais de plus en plus au genre, je commençais à lire des articles sur Internet, à regarder des vidéos, des youtubeuses lesbiennes qui parlaient de leur vie… Et en plus de tout ça, je m’intéressais aussi à la perspective du genre à travers mes études, notamment grâce aux études féministes que j’ai faites à Santa Cruz”, détaille-t-iel.

Prix libre

Pour ce qui est de la coiffure, c’est venu bien avant. Tout juste adolescent·e, Vic a mis la main sur son tout premier client : son père. Depuis ses 13 ans, iel l’aide à s’entretenir capillairement parlant. Quand iel quitte la banlieue lyonnaise pour s’installer à la capitale, Vic n’oublie pas d’embarquer sa paire de ciseaux avec ellui. Une paire qui lui servira particulièrement durant ses années de master. “Je faisais des petites soirées chez moi, après les cours. Pour rigoler, j’ai commencé à couper les cheveux d’un pote. Je voyais que je kiffais, il y avait toujours ce côté satisfaisant. Puis les soirées s’enchaînaient et je me suis mise à faire de plus en plus de coupes”, se remémore Queer Chevelu.

Sous l’impulsion de son entourage, iel décide de se faire rémunérer pour son travail, décrit par moments comme “épuisant”. Ne sachant fixer de prix jugé correct, Vic opte en fin de compte pour le concept de prix libre. “C’est une idée que je trouve bonne et qui me semblait juste vis-à-vis de mes potes qui n’ont pas trop de moyens”, précise-t-iel. Au final, ce qui n’était qu’un délire de soirée anodin s’est imposé progressivement comme un business en herbe.

Overbookée

Aujourd’hui, sa page Facebook est inondée de messages privés sollicitant son coup de ciseaux. “Je suis quasiment booké·e sur deux semaines en général”, avoue Vic. Selon ellui, ce succès à petite échelle s’explique par le bouche-à-oreille, aussi bien oralement que sur les réseaux sociaux. Au-delà de ça, Queer Chevelu s’invite parfois dans des événements LGBT+, par exemple à la Mutinerie dans le cadre de la Queer Week.

“J’étais déjà dans certains milieux militants. Mais depuis que je suis rentré·e de Californie, je me suis davantage investie. La Queer Week m’a offert une plus grosse visibilité. Puis, c’est très facile pour moi d’aller travailler n’importe où car j’ai juste besoin d’une prise, d’une chaise et d’une table”, reconnaît le principal intéressé, tout en précisant que le prix libre est toujours d’actualité, qu’importe le changement de cadre.

QUEERTOPIE. Avec Queer Chevelu, la coiffure devient un acte militant
© Gaëlle Matata

Activiste autoproclamé·e, Vic reconnaît que ses coupes sont aussi, d’une certaine manière, un moyen d’exprimer son militantisme :

"Un espace de parole"

“J’ai réalisé ça au bout d’un moment. C’est parti d’un délire de soirée au début donc je n’ai pas tilté ce que j’étais en train de faire. Mais oui. Quand je coupe, à chaque fois, ça me marque parce que j’ai l’impression de devenir un espace de parole pour les gens. Ils me parlent de toutes leurs expériences par rapport à leurs cheveux. C’est un aspect très important de la communauté queer pour s’exprimer. C’est très gratifiant de pouvoir me dire que j’aide ces personnes et que je peux les aider à se sentir bien par rapport à elles-mêmes. C’est fou de faire une activité militante qui soit rémunérée car ça m’embêterait d’être un autre commerce qui prend la thune des gens queer qui sont déjà précaires.”

En parallèle de la coiffure, Vic planche sur une thèse, laquelle n’est malheureusement pas rémunérée, faute d’avoir trouvé un financement. “Je songe à en faire une activité à plein temps”, confie-t-iel à propos de la coiffure, après un temps d’hésitation. Dans les faits, iel envisagerait même de s’associer à un autre coiffeur queer pour ouvrir un lieu multifonctions, peut-être un “lieu culturel ou social”, voire une “biblitohèque féministe et queer”. L’idée est en train de germer. “En tout cas, ce serait cool que ça sorte de chez moi”, conclut-iel.

Crédit photos : Gaëlle Matata