Visibles ou non, les journalistes lesbiennes et bisexuelles toujours perdantes face aux boys' clubs

Publié le

Après les révélations sur la « Ligue du LOL », les journalistes lesbiennes et bisexuelles prennent la parole et témoignent de leur quotidien et de leurs stratégies pour survivre à l'hétéronormativité, à la lesbophobie et à la transphobie en rédactions.

femmes journalistes lesbiennes bisexuelles trans ou cis ligue du lol boys clubs redactions medias harcelement
Visibles ou non, les journalistes lesbiennes toujours perdantes face aux boys' clubs - Unsplash
Article Prémium

Depuis le début du mois de février, les révélations sur la « Ligue du LOL » secouent le paysage médiatique français. Il y a une dizaine d'années, un groupe Facebook fondé par le journaliste Vincent Glad s'attaque à des journalistes, blogueuses, youtubeuses, dont le travail porte sur le féminisme et les discriminations. À coups de photomontages, de canulars, mais aussi d'insultes et de menaces, le harcèlement exercé par cette bande a brisé des carrières et des vies, et a permis aux membres de la « Ligue du LOL » de se hisser au sommet.

Comme une réaction en chaîne, se succèdent aujourd'hui de nouvelles enquêtes sur des cas de harcèlement dans les rédactions (Le Huffington Post, Les Inrocks), mais aussi en écoles de journalisme. Racisme, sexisme, homophobie, grossophobie, des hommes à des postes de pouvoir ont pu exercer humiliations et pressions, souvent en toute impunité. Les cibles sont toujours les mêmes : les femmes, les personnes racisées, les personnes LGBT+.

La semaine passée, Komitid vous parlait de ces hommes gays ou bisexuels qui évoluent dans ce climat de masculinité toxique au sein des rédactions. Qu'en est-il pour les femmes lesbiennes et bisexuelles, qu'elles soient cisgenres ou trans ? À la fois touchées de plein fouet par le sexisme du milieu journalistique, et cibles de « plaisanteries » et de remarques homophobes, elles sont à l'intersection de plusieurs oppressions. Comment ces professionnelles de l'info vivent-elles l'influence des boys' club (littéralement clubs de garçons) en rédaction ? Nous avons recueilli les témoignages de journalistes qui expérimentent la lesbophobie encore bien installée dans les médias.

Ambre travaille actuellement en presse quotidienne régionale, dans une rédaction départementale. Elle y côtoie un vrai « boys’ club » : un environnement 100 % masculin, où tous sont âgés de 45 à 50 ans, blancs, hétérosexuels, cisgenres. Un entre soi dont ils n’ont même plus conscience : « Pour eux, c'est naturel, ça fait vingt ans qu'ils bossent ensemble. Ils fonctionnent comme ça par habitude. »

« Un des journalistes venait d’interviewer un élu ouvertement gay, il l'a appelé “pédésexuel”.

À peine arrivée dans cette rédaction, Ambre est retournée au placard. Impossible d’être out dans cet environnement où fusent les réflexions sexistes et homophobes. « Un des journalistes venait d’interviewer un élu ouvertement gay, il l'a appelé “pédésexuel”. Je m'en veux aujourd'hui, mais je suis restée dans un état de sidération. J'ai l'habitude de militer au quotidien, mais là ils m'ont scié les pattes. » Ses collègues n’ont finalement rien à envier à des Vincent Glad ou des David Doucet : « La différence avec la ligue du LOL, c'est que eux ne se mettent pas un vernis progressiste, ils n'en ont pas besoin pour avoir du boulot », résume Ambre.

Aujourd’hui cheffe d'édition web, Delphine* s’est toujours refusée à miser sur ses relations pour trouver du travail. « Je fais tout pour être reconnue pour mes capacités professionnelles et humaines. Je n'ai jamais réussi à jouer le jeu du copinage, qui est intrinsèque au milieu des journalistes et qui est alimenté par le sexisme de ces cercles-là. »

Dès l’école de journalisme, elle a constaté la propension d’un groupe d’étudiants – tous des hommes – à capter l’attention : « Des grandes gueules, fêtards, issus du même milieu, très mis en avant par les profs et la direction, qui copinent avec les intervenants. Ils ont les stages les plus prestigieux et sans surprise, trouvent facilement du travail à la sortie de l’école. » La visibilité de ces hommes-là, qui n'hésitent pas à parler fort et à occuper l'espace, est admise et encouragée. Ce n'est pas le cas pour les lesbiennes. Même quand elles parviennent à être out dans leur rédaction, leur visibilité est souvent un fardeau.

Du prix de la visibilité à Hétéroland

Pour continuer la lecture de cet article :

Vous avez déjà un accès ?

Identifiez-vous