INFO 20 MINUTESLes « bi », une minorité sexuelle très exposée aux violences

Les personnes bisexuelles subissent plus de violences que les lesbiennes et gays, selon l’étude Virage de l'Ined

INFO 20 MINUTESL’enquête « Virage », outil majeur de mesure et d’analyse des violences de genre, réalisée en 2015, paraît aujourd’hui, avec un chapitre consacré aux personnes LGBT
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

Si les gays et lesbiennes souffrent particulièrement de violences physiques et psychiques par rapport aux hétéros, il y a une population qui est encore plus impactée : celle des bisexuels et bisexuelles. L’idée peut paraître contre-intuitive, elle est pourtant démontrée avec précision par l’une des plus grandes enquêtes sur les violences en France, Virage, réalisée en 2015 par l’Ined (Institut national d’études démographiques) et qui sort en livre ce mardi 23 novembre, avec un chapitre consacré aux violences LGBT que 20 Minutes vous livre en exclusivité.

Les bi de l’enquête Virage sont plutôt jeunes, beaucoup moins souvent en couple que les hétéro, et lorsque ces personnes sont en couple, c’est en très grande majorité avec une personne de l’autre sexe. La bisexualité apparaît ainsi comme un « répertoire sexuel élargi aux partenaires de même sexe, mais dont le centre reste souvent les partenaires de sexe différent ».

Des femmes bi très exposées aux violences psychologiques dans la famille

Cette relative « adaptation » à la norme hétérosexuelle n’empêche pourtant pas les personnes bisexuelles, plus encore que celles qui sont homosexuelles, de subir des violences, comme d’autres études, américaines notamment, l’avaient déjà pressenti auparavant. Les personnes bisexuelles sont par exemple plus de deux fois plus exposées que les personnes hétéro aux violences familiales, les hommes bi l’étant même encore plus que les gays, selon Virage. 47 % des femmes bisexuelles ont ainsi déclaré au cours de leur vie au moins un fait de violence de la part d’un membre de la famille, contre 47 % des lesbiennes et 19 % des femmes hétéro. C’est le cas pour 36 des hommes bi, contre 30 % des gays et 13,5 % des hétéro.

Les femmes bi sont particulièrement exposées aux violences psychologiques et physiques au sein de la famille, catégories où elles ont des chiffres largement plus inquiétants que leurs homologues lesbiennes et hétéro. 40 % des bisexuelles déclarent avoir subi des violences psychologiques, contre 32 % des lesbiennes et 15 % des hétéro. Les lesbiennes déclarent cependant plus de violences sexuelles au sein de la famille.

Les personnes bisexuelles sont aussi beaucoup plus nombreuses à quitter le foyer à cause d’un conflit familial : près d’un quart des femmes bi ont connu cette situation, contre 17 % des lesbiennes et 6 % des hétéro. Les hommes bi en ont moins souffert (9 %), mais eux aussi ont plus connu cette situation que les hommes hétéro (5 %) et homo (6 %). La bisexualité des enfants est également « moins connue par les parents », ajoute Tania Lejbowicz, sociologue à l'Ined et l'une des deux co-auteur et autrice de l'étude.

Extrait de l'enquête Virage 2015.
Extrait de l'enquête Virage 2015. - Capture

Cibles dans l’espace public

Dans l’espace public, les personnes bisexuelles sont aussi très touchées par la drague importune ou les insultes. Elles sont plus de 63 % à en avoir déclaré dans leur vie, contre 38 % des lesbiennes et 26 % des femmes hétéro. « On fait l’hypothèse que les bisexuelles sont amenées à fréquenter des endroits plus mixtes que les lesbiennes et que cela les expose plus », tente d’expliquer Tania Lejbowicz.

Les femmes bi sont aussi particulièrement touchées par les violences sexuelles commises dans l’espace public (46 % d’entre elles en déclarent, contre 28 % des lesbiennes et 10 % des hétérosexuelles). Elles sont aussi beaucoup moins nombreuses que les lesbiennes et femmes hétéro à déclarer contrôler leur visibilité dans l’espace public, notamment éviter de se tenir la main ou de s’embrasser, ce qui peut expliquer en partie qu’elles subissent plus de violences que les lesbiennes par exemple.

Toutes violences confondues, les hommes bi ont aussi plus de souci dans l’espace public que les gays et hommes hétéro, même si c’est dans des proportions bien moindres que leurs homologues féminins. 41 % d’entre eux sont touchés par des violences (que ce soit drague importune, insultes, violences physiques ou sexuelles) contre 20 % des hétéro et 33 % des gays.

Extrait de l'enquête Virage 2015.
Extrait de l'enquête Virage 2015. - Capture

« Norme de la monosexualité »

Cette étude de Virage confirme qu’homo et bi sont beaucoup plus exposés aux violences que les hétéro, mais « les bi apparaissent particulièrement vulnérables par rapport aux homosexuels et homosexuelles », commente pour 20 Minutes Mathieu Trachman, sociologue à l'Ined.

Cela peut s’expliquer aussi en raison de la norme très prégnante de l’exclusivité du choix sexuel. Si la lutte pour le mariage pour tous, et une forme de prise de conscience de la société sur la question de l’homosexualité ont permis d’arriver à une relative normalisation de ce côté, la « norme de la monosexualité » domine quant à elle encore largement, remarquent les universitaires. Ou comme le fait remarquer Mathieu Trachman : « On a socialement du mal à concevoir un désir qui n’est pas pour l’autre sexe et qui, en plus, n’est pas pour un seul sexe. »

Méthodologie
Virage, pour « Violences et rapports de genre », porte sur un échantillon de 27.000 personnes représentatives de la population française, interviewées par téléphone. Dans cet échantillon, 1,5 des femmes et 1,8 % des hommes s’identifient comme « bi » ou « homo », et dans ces deux groupes, près de la moitié se disent bi. Pour compléter ces réponses et avoir un échantillon plus important, Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz ont procédé à une nouvelle enquête, un questionnaire en ligne diffusé par des associations et centres LGBT qu’ont complété 7.148 personnes. Les chercheurs ont interrogé les personnes en fonction de leurs attirances, de leurs pratiques et enfin de leur identification à l’homosexualité ou à la bisexualité. C’est ce dernier critère qu’ils ont retenu, notamment parce que, « du point de vue de l’analyse des violences, il permet de se centrer sur les personnes pour qui leur sexualité est un aspect de leur définition de soi, et qui est de ce fait susceptible de susciter des stigmatisations ou des violences. »

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