« Les addictions ne se confinent pas » : les chemsexeurs à l’heure du Covid-19

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Isolement, réflexion sur ses pratiques, risques d’overdose… : si certains chemsexeurs vivent difficilement le confinement, d’autres y voient l’occasion de faire une pause et de questionner leur pratiques. Enquête et témoignages.

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VladOrlov / Shutterstock

« Plus que trois semaines. » Julien, 28 ans, compte les jours qui le séparent du déconfinement*. « Le plus dur, c’est de ne pas pouvoir être libre de faire ce qu’on veut », souffle au téléphone celui qui pratique le chemsex depuis cinq ans. Installé chez ses parents, dans la campagne angevine, Julien passait le temps en discutant sur Grindr. Mais après quatre semaines, le manque s’est fait ressentir. 

« Juste avant le confinement, je consommais toutes les semaines. Alors c’est vite devenu une obsession », confie-t-il à Komitid. Je ne pensais qu’à ça. » Il a fini par « craquer » au bout de quelques semaines. « Ce n’était plus supportable, alors j’ai commandé un peu et consommé tout seul avant d’aller rejoindre un mec. »

« Ce n’était plus supportable, alors j’ai commandé un peu et consommé tout seul avant d’aller rejoindre un mec. »

Pascal aussi a « cassé son confinement ». Ce Bordelais de 31 ans, qui vit avec son petit ami, a invité un garçon chez lui il y a quelques jours. « Une fois perchés, ça nous a semblé une évidence. » » Malgré cette « faute », pour reprendre les mots de Julien, ces deux chemsexeurs respectent bien les règles du confinement.

« On observe peut-être un petit relâchement, reconnaît Fred Bladou, en charge de la réduction des risques liés au chemsex chez Aides, mais c’est valable pour toute la population. Au début, on pensait que ça ne durerait qu’un mois, et puis on nous a dit qu’il faudrait deux semaines supplémentaires et finalement au moins deux mois. » 

Et d’ajouter : « On est arrivé à la fin de l’interdit absolu qui ne tient absolument pas compte de l’état et des caractéristiques de chacun, abonde-t-il. Mais soyons un peu malin. Plutôt que de condamner essayons d’armer les gens en termes de réduction des risques et de faire gaffe ». C’est ce que font ses collègues.

Livraison de matériel à domicile

A Lyon, où l’on avait déploré une vague de décès liés au chemsex en 2018, Aides constate que le confinement est plutôt bien respecté. « Il y a beaucoup moins de propositions de plans », se félicite Yvan, militant pour l’association, qui note toutefois un « relâchement » depuis le week-end de Pâques, « à l’image de tous les Français ».

« Mon équilibre psychologique passe par du lien social : aller dans les bars, voir mes amis, faire des plans cul… si je n’ai plus tout ça, ma vie va devenir vraiment difficile. »

Pour accompagner les chemsexeurs, les militants ont mis en place un service de livraison de matériel à domicile et une permanence téléphonique. « On a fait six ou sept livraisons avec du matériel en grosse quantité depuis le début du confinement », assure Matthieu, un autre militant de Aides. « On savait que des gens allaient se retrouver dans des situations de solitude extrême et allaient continuer de pratiquer du chemsex. »

« Je ne me vois pas vivre comme ça pendant des mois, reconnait Pascal. Mon équilibre psychologique passe par du lien social : aller dans les bars, voir mes amis, faire des plans cul… si je n’ai plus tout ça, ma vie va devenir vraiment difficile ».

Les soignants s’organisent

Face à ces situations, les soignants s’organisent. Au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) de La Croix-Rousse, toujours à Lyon, qui suivait 76 chemsexeurs l’an dernier, les consultations sont maintenues, par téléphone ou de visu si nécessaire. « Les addictions ne se confinent pas, insiste Frédéric, infirmier dans cet établissement de santé. Nos patients sont très demandeurs de maintenir le suivi ».

Avec le docteur Philippe Lack, ils n’ont pas remarqué de relâchement parmi leurs patients, au contraire : soit les chemsexeurs ont tout arrêté – par peur du virus, parce qu’ils sont à risque ou simplement parce qu’ils ne peuvent plus s’approvisionner –, soit ils consomment chez eux, seuls ou en couple.

Un constat partagé par Alexandre Chevalier, sexologue et coordinateur des actions de prévention de l’Association de Lutte contre le Sida (ALS) : «  Parmi mes patients, aucun n’a rompu le confinement ». Pour lui, «  ils sont en partie contenus par l’accompagnement ».

Une analyse qui laisse planer le doute sur ceux qui ne bénéficient pas d’un suivi. « Je crois que le nombre de chemspartys a augmenté depuis le début du confinement », nous a écrit un chemsexeur lyonnais par SMS.  

Lancement d’un groupe de parole 

Alors, pour maintenir le lien, Isabelle Modolo, psychologue à l’hôpital Edouard Herriot et le sexologue Alexandre Chevalier ont décidé de lancer à partir du 30 avril prochain un groupe de parole : « Sexualité en temps de confinement ». « Le confinement est vécu différemment en fonction des personnes », note la psychologue, qui s’occupe de plusieurs patients chemsexeurs. Il peut être très désorganisateur pour certains ou, au contraire, l’occasion de recréer du lien et de se redécouvrir pour d’autres ».

Et de compléter : « Pour certains, le confinement leur permet de redécouvrir des expériences de couple. Pour d’autres, pour qui la pratique du chemsex stabilisait et pérennisait le couple, cela attise peut-être des tensions préexistantes et certains se retrouvaient dans le chemsex, sans compter ceux qui se retrouvent seuls… Le confinement a un effet différent pour tout le monde. » 

Dans ce contexte, Isabelle Modolo craint surtout l’après-confinement et la peur de découvrir des chemsexeurs dans un état de grande détresse psychique ou physique. « Je ne sais pas ce que font certains patients », explique Alexandre Chevalier. « Ont-ils continué, diminué, stoppé ? J’en ai contacté certains, mais ils me disent être occupés sans en dire beaucoup plus ».

« Il existera malheureusement des cas de détresse psychologiques ou physiques chez certains chemsexeurs, comme chez certaines personnes âgées et chez les personnes isolées. »

« Il existera malheureusement des cas de détresse psychologiques ou physiques chez certains chemsexeurs, comme chez certaines personnes âgées et chez les personnes isolées, reconnaît de son côté le professeur de médecine et député du Rhône Jean-Louis Touraine (LREM). Le confinement met le lien social, si essentiel, à rude épreuve. D’autant plus chez ceux qui rencontrent des fragilités ».

« Pour l’instant, les patients que l’on suivait ont maintenu le contact », se réjouit Philippe Lack. Mais on verra probablement arriver de nouveaux chemsexeurs qui auront vécu une expérience beaucoup plus difficile. » 

La crainte des overdoses

Julien aussi s’inquiète de l’après-confinement. « En ce moment je suis enfermé, je consomme moins que d’habitude, alors j’ai un peu peur de dépasser les limites ». « On va tous avoir envie de faire la fête, ajoute Pascal. J’ai un peu peur de me mettre mal. » Une crainte partagée par le corps soignant.

Au CSAPA de Lyon, des affiches ont d’ailleurs été placardées dans les locaux : « Attention, si pendant le confinement vous avez consommé moins de produit qu’avant… votre tolérance a diminué et votre corps ne supportera plus les mêmes doses, peut-on lire sur le document en lettres rouge. NE LAISSEZ PAS L’OVERDOSE VOUS TUER ! ! ».

L’affiche du CSAPA de Lyon

« Beaucoup de lits d’hospitalisation en addictologie ont été fermés, rappelle Philippe Lack. On est aujourd’hui en discussion pour les rouvrir. Il faut que les choses redémarrent ». Mais pour certains, le confinement a aussi, heureusement, des effets positifs. 

Une période pour « se questionner »

Pour Pascal, c’est l’occasion de se questionner sur sa pratique du chemsex. « Toutes les pressions sociales sur le sexe ont disparu et j’ai pu me recentrer sur mes envies et mes attentes. »

Alexandre Chevalier a remarqué lui aussi que certains de ses patients profitaient de cette période « pour se questionner ». « Certains ont été contraints de trouver d’autres ressources pour gérer leur stress ou leurs angoisses et ont remplacé le sexe par la méditation ou la sophrologie. En tant que soignant, on pourra s’appuyer sur ce confinement pour leur montrer qu’ils ont vécu une expérience singulière et qu’ils ont pu faire une pause. »

 

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* Cette enquête a été réalisée dans la semaine du 20 avril.

  • arnosa

    En effet beaucoup de plans Chems proposés sur les appli en ce moment