Avec « La réalité du chemsex », Raphaël Gribe Marquis propose un podcast passionnant loin de tout sensationnalisme

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Raphaël Gribe Marquis explique à Komitid comment il a enquêté auprès d'utilisateurs et de spécialistes communautaires sur la réalité du chemsex dans la communauté gay.

« La réalité du chemsex » dans la collection de podcasts « Défense de filmer » - Brut

Raphaël Gribe Marquis est producteur radio et journaliste. Formé chez France Inter à la programmation des émissions cultures et médias, il collabore sur des bases régulières avec de grands médias nationaux (Brut & Spotify, MAD/Le Figaro, Rinse France, …). Il a accepté de répondre aux questions de Komitid sur son nouveau podcast documentaire, « La réalité du chemsex », dans lequel il part à la rencontre d’utilisateurs et de spécialistes communautaires. 

Komitid : Qu’est-ce qui vous a motivé à faire ce documentaire sonore sur le chemsex ?

Raphaël Gribe Marquis : Il s’agit d’une commande de Brut et Spotify pour leur nouveau podcast d’enquête documentaire. J’ai commencé mes recherches sur le chemsex en 2017 mais à l’époque aucune des rédactions ou boîtes de production avec lesquelles je travaillais n’était intéressée par le sujet. Avance rapide en 2021, le phénomène du chemsex a pris dans de l’ampleur pendant les périodes de confinement liées à l’émergence du Covid 19 : les experts alertent sur la situation et les médias relaient, mais trop souvent avec des angles dramatisants et stigmatisants. J’ai été encouragé par Juliette Jabkhiro, la rédactrice en chef qui a développé le podcast « Défense de Filmer », et par Anne-Cécile Kirry ma productrice chez Paradiso, à reprendre mon enquête pour faire entendre les témoignages des chemsexeurs mais aussi de ceux qui les accompagnent. Le podcast est assez court et la cible plutôt jeune, je voulais vraiment faire preuve de pédagogie sur les pratiques et sortir immédiatement du sensationnalisme pour me concentrer sur le soin et la réduction du risques.

« Je voulais faire preuve de pédagogie sur les pratiques et sortir du sensationnalisme »

Qu’est-ce que vous avez appris durant cette enquête ?

Souvent le chemsex interroge plus l’amour, l’affection et la tendresse que le sexe à proprement parler. Il existe un biais assez répandu qui distingue la sexualité de l’amour chez les gays, et en fait, quand bien même la prise de produits autorise une sexualité désinhibée voire débridée, avec des partenaires rencontrés pour une nuit sur des applis, ce qu’il reste de ces moments ce sont des rencontres amoureuses.

La drogue permet d’accéder à des sentiments très intenses, il s’agit de « faire l’amour » plus que d’un simple plan cul ; comme un besoin de connexion entre la sexualité et les sentiments. Cette connexion, elle est artificielle puisqu’elle est induite par la drogue, mais elle répond à des besoins d’appartenance et d’intimité dont sont parfois exclus les gays. J’ai rencontré des hommes qui m’ont beaucoup parlé de solitude et de manque affectif, et du fardeau de l’homophobie.

« C’était important pour garder de la distance avec la complexité du sujet »

Les témoignages sont particulièrement forts parce qu’on n’est ni dans le pathos, ni dans la glorification. Est-ce un équilibre difficile à trouver quand on parle d’usage de drogue ?

Ça été un peu compliqué de trouver des hommes qui souhaitaient témoigner. Ça peut les mettre en danger professionnellement et personnellement et donc on a pris pas mal de temps et de précautions avant de procéder aux enregistrements. Je me suis refusé à faire témoigner des gens que je connaissais de près ou de loin, c’était important pour garder de la distance avec la complexité du sujet. Les hommes qu’on entend dans l’enquête ont des profils très différents mais ce qu’ils ont en commun, c’est le parcours d’information et le travail d’introspection qu’ils ont fait sur leurs pratiques. Et ça donne des témoignages incisifs mais éclairés.

Le podcast dure une vingtaine de minutes et j’avais un peu plus de quatre heures d’enregistrements. Donc l’équilibre s’est aussi joué au montage. Avec l’aide de Sina Mir, le rédacteur en chef actuel, Charles Villa qui présente le podcast, et l’équipe Adrien Leblond à la réalisation et Théo Albaric à la prise de son, il a fallu retravailler la matière pour resserrer le propos et garder le cap qu’on s’était fixé. On a dû sacrifier un certain nombre d’aspects, notamment la sortie récente du rapport « Sea, Sex and Chems » ; mais j’espère que l’enquête pour « Défense de Filmer » participera d’une discussion nécessaire sur le chemsex, ses racines et ce qu’il représente.

« La réalité du chemsex », de Raphaël Gribe Marquis, présenté par Charles Villa, Brut, à écouter sur Spotify