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cinéma"L’Adieu à la nuit" : on a parlé de Deneuve et de scènes de sexe gay avec André Téchiné

Par Romain Burrel le 24/04/2019
Téchiné

Avec L’Adieu à la nuit, le cinéaste des Roseaux sauvages et de Quand on a 17 ans, se penche sur la jeunesse tentée par le jihadisme, tout en déjouant les pièges du manichéisme. Rencontre.

André Téchiné retrouve Catherine Deneuve pour L’Adieu à la nuit. Ça n’est jamais que leur huitième collaboration depuis Hôtel des Amériques, en 1981. Cette fois, le cinéaste raconte l’histoire d’une grand-mère, Muriel (Catherine Deneuve, donc), qui, lorsqu’elle comprend que son petit-fils (joué par Kacey Mottet Klein, acteur révélé en 2016 par Téchiné dans Quand on a 17 ans) s’apprête à partir en Syrie afin de rejoindre Daesh, va tout faire pour le retenir auprès d’elle. Des personnages à vif se débattent dans le décor sublime du Sud-Ouest de la France, cher au réalisateur.

Après Nos années folles (son dernier film en date sur un déserteur qui se travestit pour échapper à la guerre), et surtout Quand on a 17 ans, récit de la naissance d’une histoire d’amour entre deux adolescents, le cinéaste revient avec un film social. Et surtout casse-gueule.

En s’emparant d’un sujet hautement inflammable (la radicalisation d’une partie de la jeunesse française), il prend, à 76 ans, des risques assumés. Et, malgré quelques longueurs dans les dialogues, il réussit un film touchant et nuancé, où le motif de l’homosexualité surgit sans crier gare. C’est aussi un film lumineux sur une adolescence en rupture. Cette jeunesse qu’André Téchiné n’a eu de cesse de scruter tout au long de sa carrière. Rencontre.

"L’Adieu à la nuit" : on a parlé de Deneuve et de scènes de sexe gay avec André Téchiné

C’est votre huitième film avec Catherine Deneuve. Vous vous définissez l’un l’autre comme « frère et sœur de cinéma ». Il n’y a aucune lassitude dans votre relation ?

André Téchiné : Non. Et je peux difficilement l’expliquer. Puisque c’est de l’ordre de la fascination. Pour moi, Catherine est tel un sphinx. On lui pose des questions, mais on sent qu’il y a en elle une réserve inépuisable et que si elle donne des réponses, celles-ci sont encore plus mystérieuses… (Rires.) Et donc tant que ce miracle subsiste, je peux continuer à l’interroger avec ma caméra. Parce que je ne vois pas le fond. Il y a des acteurs ou des actrices que j’aime beaucoup, mais avec qui j’ai eu le sentiment, parfois même au bout d’un seul film, d’avoir atteint une sorte de plafond. De ne pas pouvoir nous élever, eux comme moi, davantage. Avec Catherine, j’ai le sentiment qu’on peut, l’un l’autre – car que ça se partage – s’élever encore.

Je la connais un peu dans la vie. Et je sais qu’elle s’intéresse beaucoup aux plantes, aux animaux. Dans L’Adieu à la nuit , je voulais la montrer en personnage terrestre, terrien. On ne l’avait jamais vue comme ça, en agricultrice dresseuse de chevaux. Je pensais que ça correspondait chez elle à une passion. Mais en même temps, son personnage officiel d’ambassadrice du cinéma français est aux antipodes de cela.

Dans cette histoire où la jeunesse veut fuir les choses terrestres et s’enraciner dans le Ciel ou en Syrie, je voulais qu’elle, elle soit enracinée dans la terre. Cette perspective nous a excitée l’un comme l’autre. Vous savez, si ça ne lui plaît pas, Catherine ne se gêne pas pour dire non !

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"Pour moi, Catherine est tel un sphinx"

Justement Catherine Deneuve vous a-t-elle déjà dit non ?

Il faudrait lui demander à elle ! Mais j’aurais tendance à dire que non. Ça n’est jamais arrivé. C’est un peu prétentieux de ma part de le dire, n’est-ce pas ? Mais elle sait qu’à chaque fois il s’agit d’une expédition et une aventure nouvelle. Elle sait que j’éviterai la répétition et la tentation d’exploiter un filon. J’ai le sentiment, dans mon travail avec elle, de la rendre de plus en plus humaine sans que ça n’altère sa grandeur.

Ça n’est pas son aspect glamour qui m’intéresse, mais son humanité. Une humanité qu’elle cache et qu’elle donne, par la même, envie de découvrir. Contrairement à d’autres actrices ou acteurs, Catherine ne joue pas sur ce qu’elle montre, mais sur ce qu’elle cache. Et ça, c’est très excitant pour un cinéaste. Je ne voulais pas que cette grand-mère soit trop mièvre, qu’elle ait trop bonne conscience. Je savais qu’en confiant le rôle à Catherine, ça n’arriverait pas.

"L’Adieu à la nuit" : on a parlé de Deneuve et de scènes de sexe gay avec André Téchiné

Faire un film sur la tentation du jihadisme, c’est une entreprise excessivement casse-gueule…

Ne m’en parlez pas ! Je n’en peux plus ! (Rires) Mais j’ai surtout conscience que ça n’intéresse pas que moi, mais tout le monde ! Est-ce que ce sujet peut susciter un rejet ? C’est possible. Un intérêt ? C’est possible aussi. Et c’est ce que j’espère d’ailleurs. C’est ça le risque du film. Mais est-ce forcément une bonne chose que de travailler dans le confort et l’absence de risque ?

"Il faut mettre des scènes là où il en manque. Dans "Call Me By Your Name",  les garçons s’étreignent et, immédiatement, la caméra passe sur la fenêtre ! C’est n’importe quoi !"

C’est le goût du risque qui vous motive ?

Pas du tout. Le risque ne m’attire pas. Mais il se trouve que les sujets que je choisis sont souvent clivants. Quand j’ai fait Quand on a 17 ans, le producteur me disait : « Ça n’est pas la peine de montrer toute la nuit où les deux garçons font l’amour. Tu vas t’aliéner 50 % des spectateurs. Tu n’as pas besoin de le montrer. Si, au petit matin, il s’en va, on a compris qu’ils ont fait l’amour. »

C’est vrai, la scène est très longue. Mais je n’ai pas voulu la couper. J’ai répondu : « Il faut mettre des scènes là où il en manque. » Et là, il y avait un manque dans les représentations des amours homosexuelles. Regardez, dans Call Me By Your Name, les garçons s’étreignent et immédiatement la caméra passe sur la fenêtre ! Mais, attendez, c’est n’importe quoi ! Parfois, ça vaut le coup de montrer les choses. Parfois, on peut survoler. Mais ça n’a pas le même sens si c’est un garçon et une fille ou s’il s’agit de deux garçons.

Avez-vous l’impression de faire un cinéma militant ?

Je ne sais pas si je suis militant. C’est un beau mot, « militant ». Un mot noble. Moi, ma seule ambition c’est de raconter des histoires dignes d’être racontées.

"L’Adieu à la nuit" : on a parlé de Deneuve et de scènes de sexe gay avec André Téchiné

Vous filmez cette jeunesse tentée par Daesh et la mort avec une certaine tendresse. En tout cas, sans la juger. Pendant le film, on s’est souvenu de la phrase de Manuel Valls sur le terrorisme : « Il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » On vous imagine en profond désaccord avec cette citation…

Comprendre, ce n’est pas excuser. Cette phrase est idiote. Et fausse. Moi je ne juge pas du tout mes personnages. Je ne les condamne pas. Je ne vois pas quelle place j’occuperais pour les condamner. Non. Mais je les filme à un moment de basculement. Juste avant qu’ils ne deviennent des automates en Syrie. À un moment où ils sont encore humains. Dans une espèce d’improvisation des choses concrètes : ils doivent voler de l’argent, organiser leur départ… Mes personnages sont humains à leur insu.

Ils ne sont pas encore dans cette espèce d’identité qui efface leur singularité. C’est ce petit moment, fragile, avant le saut, avant le départ, que j’avais envie de capter sans juger. S’ils étaient déjà devenus des monstres d’inhumanité, je ne crois pas que cela m’aurait intéressé.

Ce qui est bouleversant, c’est qu’on espère tout au long du film que l’amour que porte le personnage de Catherine Deneuve à son petit-fils pourra le sauver de ce départ…

Tant mieux si vous avez ressenti ça. C’est évidemment le domaine affectif qui m’intéresse. Cette vérité humaine, cette affection se déplace un peu sur le personnage de Souad (joué par Kamel Labroudi), qui connaît un destin qu’elle souhaite un peu à son petit-fils. C’est la force du repentir.

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C’est votre deuxième film avec Kacey Mottet-Klein. Après lui avoir fait jouer un jeune homosexuel dans Quand on a 17 ans, vous l’avez immédiatement imaginé en jeune jihadiste ?

C’est une histoire de potentiel. Et Kacey est un acteur de feu. J’ai senti qu’il pouvait très bien porter ce rôle. On peut, sans sous-titres, l’imaginer en converti. Je ne suis pas Dieu, je ne vois pas le fin fond de l’âme de mes personnages. Ils ne me sont pas transparents. Mais, selon moi, ces deux rôles ne sont pas si éloignés. De toute évidence, le personnage d’Alex a beaucoup de tendresse pour celui de Lila (joué par Oulaya Amamra). Mais, à chaque fois qu’il est en situation de coucher avec elle, il n’y arrive pas. Contrairement au personnage de Bilal, joué par Stephane Bak, qui la drague, purement et simplement. À un moment, Bilal raconte à Lila qu’Alex lui a touché le ventre et l’a embrassé sur le front.

Il sous-entend que le jeune homme est homosexuel. Lila le prend à la rigolade et lui répond : « Oui, il fait de l’apnée du sommeil. » Mais peut-être que cette histoire d’apnée est une piste vers quelque chose de refoulé chez Alex ? C’est un personnage sombre, en pleine ébullition.

"J’ai besoin de faire cette tentative de lien avec cette jeunesse radicale et déroutante. Celle qu’on refuse d’analyser, que l’on écarte ou que l’on rejette. Moi elle m’intéresse. Et j’essaie de respecter sa parole."

Vous filmez la jeunesse depuis si longtemps. Comment restez-vous connecter à elle ?

Construire un pont avec la jeunesse, ça me paraît non seulement nécessaire, mais inévitable. C’est vrai que j’ai envie de travailler là-dessus. Il y a quelque chose d’autre qui me fascine dans cette jeunesse et que j’ai envie de comprendre. Même si c’est un bien grand mot. À ce que je connais, je préfère ce que je vais découvrir. J’ai besoin de faire cette tentative de lien avec cette jeunesse radicale et déroutante. Celle qu’on refuse d’analyser, que l’on écarte ou que l’on rejette. Moi elle m’intéresse.

Et j’essaie de respecter sa parole. Dans les dialogues de L’Adieu à la nuit, tout ce qui touche à la préparation militaire, religieuse, comme l’histoire de cette jeune fille qui revient de Syrie parce qu’elle n’a pas voulu accoucher là-bas, tout cela est quasiment documentaire. C’est ma démarche. Mais peut-être, comme le disait Truffaut, que « le cinéma est un moyen de prolonger sa propre jeunesse ». Mais ça, je me le cache. (Rires.)

"L’Adieu à la nuit" : on a parlé de Deneuve et de scènes de sexe gay avec André Téchiné

Avec presque un film par an, vous êtes un réalisateur généreux. A 76 ans, est-ce que vous avez encore beaucoup de films en vous ?

Je ne pourrai vous le dire que lorsque ce film sera accueilli. Je ne me peux me projeter que dans cet avenir très proche. Sincèrement, c’est la première fois que ça m’arrive. Je n’ai jamais dit cela. Mais aujourd’hui, je n’arrive pas à voir au-delà de ce film. La suite va se jouer selon l’accueil public. Et c’est sans doute ça qui va redéfinir mon désir. Le relancer. Ou l’éteindre à jamais. (Rires.)

"L'Adieu à la nuit" d'André Téchiné avec Catherine Deneuve, Kacey Mottet-Klein, Oulaya Amamra. En salles mercredi 24 avril 2019.