« Après la nuit », portrait au scalpel d’un couple qui se délite sur fond d’homosexualité mal assumée

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Komitid a rencontré le réalisateur Marius Olteanu qui signe avec « Après la nuit », un film sobre, précis et puissant.

Après la nuit
Judith State et Cristian Popa dans « Après la nuit »- Adi-Marineci / Norte Distribution

Présenté au dernier festival de Berlin sous le titre évocateur de Monsters, Après la nuit est un film roumain qui décrit sans complaisance les dernières heures d’un couple. Dana et Arthur, deux quadras vivent ensemble depuis une dizaine d’années. Arthur n’assume pas son homosexualité et Dana a des envies d’ailleurs. Pour comprendre les mécanismes de couple que dissèque ce film sobre, précis et puissant, Komitid a rencontré le réalisateur Marius Olteanu qui signe là son premier long métrage.

Intimité profonde

En sortant d’un train, une femme meurtrie s’engouffre dans un taxi, elle discute, s’éternise, cherche une échappatoire à sa routine. Un homme sort de son cours de boxe et drague un mec sur Grindr. Dana et Arthur sont ensemble mais c’est séparément que le réalisateur Marius Olteanu nous les présente pendant ces deux scènes qui occupent les deux premiers tiers du film. C’est dans leur intimité profonde qu’il plonge longuement le spectateur via des scènes crues de vérité qui doivent beaucoup à une mise en scène clinique, implacable, d’une efficacité redoutable.

Observation sans fard

Cette observation sans fard ni artifice renforcée par un format carré qui n’offre aucune diversion doit beaucoup à la méthode choisie par le réalisateur pour raconter une histoire au plus près de la réalité comme il nous l’explique d’entrée de jeu : « Je voulais observer comment évoluait l’amour dans un couple et mettre en scène un couple à un moment de bascule, un moment pendant lequel les problèmes s’accumulent. Pour avoir assez d’informations j’ai mené des entretiens avec des personnes qui étaient ensemble depuis 10 ans, 15 ans ou même des périodes encore plus longues et j’ai appris beaucoup de choses. »

« On a toujours quelque chose à cacher dans un couple !

« J’ai utilisé de nombreuses informations issues de ces entretiens dans le film, cela m’a aidé à écrire l’histoire. Je les rencontrais un à un pour qu’il puisse me dire des choses intimes qu’ils ne partageaient pas forcément avec l’autre. J’ai eu raison car la plupart du temps, les témoins m’ont demandé le secret. On peut dire des choses intimes à quelqu’un qu’on ne connait pas plus facilement qu’à ses proches, c’est souvent le seul moyen de s’exprimer sans blesser l’autre. On a toujours quelque chose à cacher dans un couple ! ».

 

Relation finissante

La sexualité est, bien évidemment au cœur de cette relation finissante, d’autant qu’Arthur est gay même s’il n’a jamais pu l’assumer, les injonctions sociales du pays ne lui facilitant pas la tâche. Marius Olteanu explique aisément sa démarche même si elle n’a pas été comprise de la même façon partout dans le monde : « J’ai voulu que l’homme trompe la femme avec un autre homme pour bien montrer qu’il y avait entre eux un problème qu’ils ne pouvaient pas dépasser. C’est une histoire que j’ai apprise lors de ces fameux entretiens. La sexualité est très importante et tous les couples qui fonctionnent ont une sexualité heureuse ou ont réussi à faire muter le désir sexuel en autre chose. J’ai voulu qu’on comprenne qu’il n’est pas bi mais qu’il est homo et qu’il ne parvient pas à l’assumer, c’est comme cela que je l’ai écrit. Mais, en voyageant avec le film dans de nombreux festivals, je me suis rendu compte que les publics différents ne perçoivent pas les choses de la même façon selon leur passé, leur culture. C’est incroyable comme la perception du film et de ce personnage sont différentes selon les pays que ce soit au Maroc, ou l’homosexualité est toujours punie d’une peine de prison, en Inde ou l’homosexualité a été décriminalisée il y a peu, ou dans un pays d’Europe de l’Ouest. »

« En Roumanie, ceux qui acceptent qu’on puisse avoir une sexualité différente ont bien aimé, d’autres ont quitté la salle dès qu’il y a eu la scène de sexe entre les deux hommes »

Dans plusieurs pays de l’est de l’Europe, le film n’a pas pu être programmé.

« Le film n’a été sélectionné dans aucun festival en Pologne ou en Russie et ce n’est pas un hasard », précise Marius Olteanu. C’est un sujet encore très sensible dans les pays de l’Est. En Roumanie, dans mon pays, ceux qui acceptent qu’on puisse avoir une sexualité différente ont bien aimé, d’autres ont quitté la salle dès qu’il y a eu la scène de sexe entre les deux hommes en prétextant souvent qu’ils trouvaient le film “ trop lent ”. En tout cas, même dans les commentaires écrits que nous avons pu recueillir, personne n’a mentionné l’homosexualité comme étant le problème du film. Ils n’ont pas osé. Souvent, en Roumanie, les gens préfèrent éviter de discuter de ce genre de sujet. Mais il faut relativiser la façon dont tout semble très accepté dans les grandes villes de l’Europe de l’Ouest, j’étais à Londres peu avant la première de mon film à Berlin et j’ai vu deux hommes se tenant la main dans le métro, j’ai bien observé et j’ai vu que les gens n’étaient pas à l’aise avec ça, même à Londres ».

Vision sombre

Quand on évoque une vision assez sombre du couple, le réalisateur s’en défend et précise son propos : « C’est très compliqué de vivre en couple quand il y a des pressions de tous côtés. Il y a des injonctions de la société, de la famille, des amis, tout le monde projette un idéal sur la notion de couple. Et soi-même on a l’idée du couple parfait et on essaie d’être quelqu’un qu’on ne parvient pas à être. C’est encore plus difficile maintenant qu’il y a 20 ou 30 ans, tout le monde a plus de choix, avec internet et les applications, on peut rencontrer d’autres personnes très facilement et rapidement, donc avoir cet idéal est encore plus complexe. Il faut être très fort pour résister à la tentation. Certains sont capables de faire des compromis et d’autres ont plus de mal. On peut aussi se demander ce que le couple apporte, s’il est nécessaire pour être heureux. Je n’ai pas une vision sombre du couple mais une vision actuelle. »

Lancer la discussion

Avec Après la nuit, son premier film, Marius Olteanu a voulu lancer la discussion. « Le film est fait juste pour poser des questions et initier une discussion, il ne s’agit pas d’imposer un point de vue. On attend trop du cinéma qu’il expose des situations claires et, de ce point de vue, mon film est un peu compliqué ! À aucun moment je n’affirme que tel ou tel personnage a raison, il faut les suivre attentivement et s’attarder sur chacun des pas des personnages pour se faire son opinion, certains ont cette habilité, d’autres ne l’ont pas. Le public français aime le cinéma et voit beaucoup de films. J’espère qu’en France le public saura se poser les bonnes questions. »

Une dernière question nous brûle les lèvres devant un film qui met cartes sur table sur la problématique universelle des « jardins secrets » qu’on peut entretenir hors du couple ainsi que leurs limites et les risques qu’ils présentent. Conseillerait-il d’aller voir Après la nuit en couple ? Sa réponse est claire : « Il faut avoir le courage de le faire car les meilleures réactions que j’ai eu sont venues de couples. Le film leur a souvent donné la possibilité de parler de ce qu’ils n’ont peut-être jamais eu le courage d’aborder ! ».

 

« Après la nuit »
Réalisation : Marius Olteanu
Drame – Roumanie – 1h
Distribution : Judith State, Cristian Popa, Alexandru Potocean, Șerban Pavlu, Dorina Lazar
En salles le 18 décembre 2019