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cinémaLe premier baiser queer de "Star Wars" est une déception

Par Romain Burrel le 27/12/2019
Star wars

L'épisode 9 de Star Wars est le premier de la saga à montrer une présence ouvertement queer. C'est aussi une totale déception pour celles et ceux qui espéraient une franchise plus inclusive.

Dès le matin de la sortie du film, plusieurs médias (dont TÊTU) en ont fait écho : il y a un baiser lesbien dans Star Wars : l’Ascension de Skywalker. De justesse, dans les toutes dernières minutes du dernier volet de cette dernière trilogie, dans l’euphorie d’une victoire rebelle, deux personnages féminins échangent un baiser.

Enfin ! Cela fait des années que les fans queers de Star Wars espéraient que la franchise créée par George Lucas intègre dans son intrigue des personnages LGBT+. Car depuis 1977 et l'épisode IV de la Guerre des étoiles (Un nouvel espoir), on aurait pu croire que la galaxie toute entière était hétérosexuelle.

Star Wars plus inclusif

En 2015, lorsque J. J. Abrams réactive la saga avec l’Episode VII, le réveil de la force, il décide de concentrer enfin le récit sur une femme, Rey (incarnée par l'actrice Daisy Ridley), plutôt que sur des hommes (les trilogies précédentes se concentrant sur les vies et aventures de Luke et Anakin Skywalker). Ce faisant, le réalisateur offrait un nouvel espoir à celles et ceux qui espéraient un univers Star Wars plus inclusif.

Quelques années auparavant, en ressuscitant une autre saga au cinéma, celle de Star Trek, le cinéaste avait déjà largement joué de l'ambiguïté des sentiments entre le capitaine Kirk et Monsieur Spock (respectivement joués par Chris Pine et l'acteur ouvertement gay Zachary Quinto).

Les fans de Star Wars se sont donc mis à y croire, croyant déceler une romance gay entre le pilote rebelle Po (Oscar Isaac) et le stormtrooper déserteur Finn (John Boyega). Tumblr se mit à déborder de memes et de fan art mettant en lumière cette love affair officieuse... mais qui finalement n’en était pas une.

"Les grands seigneurs de Disney n'étaient pas prêts."

Pourtant l'acteur Oscar Isaac a révélé avoir plaidé auprès de Disney pour qu'à l'écran, cette relation soit plus qu'une belle amitié. Mais selon lui, les pontes du géant américain n'étaient pas prêts. “Personnellement, j’avais un peu espéré et j’aurais aimé qu’il y ait plus au fil des des films mais ce n’est pas moi qui décide. (…) Cela semblait comme une progression naturelle mais, malheureusement, nous vivons dans une époque où les gens sont très apeurés. Je ne sais pas pourquoi. Mais s’ils avaient été petits-amis cela aurait été fun.” expliquait l’acteur à Variety. 

Avant d'aller plus loin encore dans l'analyse lors d'une interview à IGN : "Je pense que ça aurait pu être une histoire d'amour très intéressante, très en avance sur son temps - même pas en avance en fait, juste en phase avec son temps. Quelque chose qui n'avait pas encore été vraiment exploré. Particulièrement dans la dynamique entre ces deux hommes en pleine guerre, qui auraient pu tomber amoureux. J'essayais de les inciter à aller dans cette direction, mais les grands seigneurs de Disney n'étaient pas prêts pour ça."

Même rendez-vous manqué dans l’excellent Rogue One où la relation entre le moine aveugle Chirrut Îmwe (Donnie Yen) et le mercenaire Baze Malbus (Jiang Wen) restera pour le spectateur un sommet d'ambiguïté, une amitié particulière. Pourtant dans les romans ou les séries animées dérivées de l'univers créé par George Lucas, les auteurs avaient déjà sauté le pas, incluant dans leurs récits quelques personnages LGBT+.

Un plan de 2 secondes

Ce baiser lesbien à la fin de The Rise of Skywalker est donc un moment historique pour la représentation queer dans la saga cinématographique. Alors pourquoi est-ce aussi une déception ? D’abord parce que ce bisou est furtif. Le plan dure à peine 2 secondes. Il vaut mieux ne pas cligner des yeux si on ne veut pas rater la scène. Ensuite parce les deux femmes qui s’embrassent n’ont aucune importance dans l'histoire du film. Contrairement à Po et Finn, ce ne sont pas des personnages principaux... ni même secondaires. Elles n'existent qu'à travers ce baiser. Ce qui rend leur embrassade dispensable et donc facilement éditable.

D'ailleurs, des pays hostiles à la visibilité et aux droits LGBT+ comme Singapour ou les Émirats arabes unis ont pu sans mal effacer la séquence sans que l’histoire ne perde en sens et en saveur. Si ce coming out avait concerné des personnages plus importants de la saga, cet effacement aurait été plus périlleux. On ne peut s’empêcher de penser que J.J. Abrams a rendu aux censeurs la tâche aisée. C'était peut-être même l’idée depuis le début : faire un geste envers la communauté LGBT+ qui ne coûterait absolument rien à Disney dans les pays les moins progressistes. Pourtant les thématiques développées par l’épisode final de cette nouvelle trilogie avaient tout pour permettre une histoire plus queer : refuser les destins tracés par d’autres pour soi, trouver qui l’on est vraiment, faire fi des lois du sang pour choisir sa famille de cœur...

Disney et le queerbaiting

Disney a un long passé de queerbaiting. Pendant longtemps, le public LGBT s’est contenté de sous-textes, de clins d’œil : le look d’Ursula dans La Petite Sirène piqué à celui de Divine, l’outrageuse drag queen des films de John Waters ; le travestissement de Mulan, comme une métaphore sur la transidentité... Et ces dernières années, de La Belle et la Bête à Jungle Cruise, le studio américain ne cesse de promettre des personnages gays à son public. Mais l’époque a changé. Ces références subtiles correspondent à une société où le placard était la norme et n'ont plus leur place à l’heure du mariage pour tous, de l'homoparentalité et de la visibilité trans. Le public LGBT+ mérite mieux.

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Le fait est que le souci de diversité est au cœur de la logique du groupe Disney : La Princesse et la grenouille, Mulan ou Black Panther étaient l'expression de cette volonté d'inclusion. Alors comment expliquer cette pudeur de gazelle qui semble traverser tout le groupe Disney dès qu'il s'agit d'évoquer clairement l'homosexualité d'un personnage ?

Dix ans après le démarrage du Marvel Cinematic Universe (MCU), Avengers Endgame mettait enfin en scène un personnage gay. Pas un héros mais un anonyme survivant d’un holocauste galactique décidé par Thanos et incarné par l'un des deux réalisateurs du film (Kevin Feige). Pour voir un super-héros ouvertement gay chez Marvel, il faudra attendre The Eternals dont la sortie est prévue pour novembre 2020.

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Mais pour Star Wars, la visibilité LGBT+ restera une occasion ratée. Le PDG de Disney, Bob Iger, a déclaré qu'il était temps pour la saga de se mettre sur "pause" dans son rythme de sortie au cinéma après The Rise of Skywalker, sans pour autant préciser la durée de ce hiatus. Il faudra attendre longtemps, pour savoir si l'homosexualité existe dans cette galaxie lointaine, très lointaine...

Crédits photos : Disney