LUTTES« Madame », une grand-mère et son petit-fils gay contre le patriarcat

« Madame », un documentaire-portrait émouvant qui explore les liens entre homophobie et sexisme

LUTTESLe réalisateur Stéphane Riethauser s’est plongé dans ses archives familiales pour raconter l’histoire de son coming-out et celle de sa grand-mère, mariée de force et répudiée par sa famille à son divorce
Une photo du film «Madame »
Une photo du film «Madame » - Stephane Riethauser / Outplay films
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Dans son documentaire Madame, Stéphane Riethauser revient avec finesse et un œil généreux sur la figure de sa grand-mère, une femme drôle et indépendante, libre et forte, qui fut aussi mariée de force à 15 ans avec un homme qui la violait.
  • Le réalisateur entremêle ce portrait de l’histoire de sa propre trajectoire, celle d’un enfant pas encore gay né dans une famille bourgeoise où l’homosexualité n’était pas acceptée.
  • « L’homophobie c’est la petite sœur du sexisme », explique Stéphane Riethauser à 20 Minutes.

C’est beau, c’est émouvant comme lorsque l’on serre fort dans ses bras quelqu’un que l’on aime, ou que l’on regarde avec tendresse les petits défauts des êtres qui nous sont chers. Dans son documentaire Madame, Stéphane Riethauser revient avec finesse et un œil généreux sur la figure de sa grand-mère, une femme drôle et indépendante, libre et forte, qui fut aussi mariée de force à 15 ans avec un homme qui la violait. Et il entremêle ce portrait de l’histoire de sa propre trajectoire, celle d’un enfant pas encore gay né dans une famille bourgeoise où l’homosexualité n’était pas acceptée. Deux destins pas si éloignés que cela, car le film montre avec brio comment l’homophobie est un monstre engendré par le sexisme.

Madame est construit comme un retour nostalgique, une enquête sur la vie de ce véritable personnage, Caroline, grand mère du réalisateur. Il commence par des images filmées quelques années après la mort de cette aïeule adorée, où l’on voit Stéphane Riethauser se mettre un vernis noir sur les doigts. Et un commentaire qui nous fait comprendre qu’elle habite toujours le petit-fils : « Ma chère Grand-maman, ça fait 15 ans que tu es partie mais le son de ta voix résonne encore en moi. Je sais bien que tu me dirais : "Ton vernis à ongles ça fait mauvais genre" ».

« Ne t’avise jamais de mettre une boucle d’oreille »

« Elle » était une fille d’immigrés italiens, une femme d’affaires éprise de poésie qui a roulé sa bosse toute seule, accédant à l’aisance financière alors que son père lui avait interdit de lire, de fréquenter des garçons, et surtout forcée à épouser un homme qu’elle connaissait à peine. « Mon père m’a dit : "Je te tue plutôt que de te voir refusée". » « Madame » travaille d’arrache-pied dès l’âge de sept ans, se taille une place dans le monde de la mode, achète une voiture à un moment où c’est encore rare, et plus tard ouvre un restaurant, fait du théâtre, peint. Une femme émancipée.

« Lui » est un jeune enfant turbulent en classe, un créatif qui adore déjà la caméra, qui fuit les filles comme de nombreux ados de son âge. « Un homme ça a « des couilles », les femmes on en fait des majorettes », pense-t-il très tôt, tout en apprenant à l’école que le « masculin l’emporte sur le féminin ». « On va tous se les sauter ces petites nanas, hein ? » lui lance plus tard son père, quand une femme blonde s’affiche sur l’écran de télévision. « Ne t’avise jamais de mettre une boucle d’oreille », lui dit-il aussi. Surtout ne « pas trop croiser les jambes, ne pas « avoir le poignet trop souple ». Eviter d’être une « fiotte ».

« Nous avons dû lutter contre le même système patriarcal »

Mais son regard, pourtant, ne peut s’empêcher de s’attarder sur Etienne, puis sur Grégoire le « play-boy de la classe », puis plus tard, en fac aux Etats-Unis, sur celui qui deviendra son ami. Chemin faisant, et grâce à des rencontres décisives, le secret explose, libérant du même coup le corps qui souffrait de plus en plus. Mais la peur de révéler son homosexualité à sa grand-mère bien-aimée va les éloigner. On ne vous dévoilera pas la suite, très émouvante.

« J’ai enregistré ma grand-mère quand elle avait 90 ans pour préserver sa mémoire. Je n’avais pas l’intention d’en faire un film, ce n’est que 10 ans après sa mort que j’ai retrouvé ces vieilles cassettes et que j’y ai vu de quoi raconter la condition féminine. Son parcours me semblait emblématique. Je me suis rendu compte au fil de mes recherches que les archives familiales racontaient quelque chose sur le genre. Et que mon parcours de jeune homo pouvait se lier à la trajectoire de ma grand-mère. Nous avons dû lutter contre le même système patriarcal : ma grand-mère s’est vue répudiée par sa famille après avoir osé divorcer à l’âge de 18 ans, et moi deux générations plus tard j’ai dû lutter contre le même système, qui m’enfermait dans un rôle d’homme hétéro », raconte à 20 Minutes Stéphane Riethauser.

L’homosexuel assimilé à une femme

Au-delà de cette histoire si touchante entre deux êtres singuliers, d’une force remarquable, Madame est donc une sorte d’essai narratif sur les liens entre homophobie et sexisme, connus et démontrés depuis des décennies. Dans cette fable ancestrale, la femme est passive parce qu’elle est pénétrée, tandis que l’homme qui pénètre est actif, il est le guerrier qui défend la cité. Dans ce schéma, l’homosexuel masculin renvoie selon le psychanalyste Serge Hefez « à un homme féminin », « un homme fragile incapable de défendre la société ».

« Les propos homophobes les plus courants tournent autour de cela, expliquait le spécialiste à l’occasion d’un colloque sur l’homophobie. Si on ouvre la porte à l’homosexualité, c’est toute la société qui va perdre sa force et se trouver en position de faiblesse. Les hommes ne sont plus des hommes s’ils n’assurent plus leur rôle de guerrier, de défenseur pénétrant, et ils mettent en danger toutes les représentations de l’homme dans la société. »

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« C’est un film qui ouvre le dialogue »

« La construction de l’identité se fait pour un garçon contre l’identité féminine et par conséquent contre l’identité homosexuelle, qui n’est vue que de manière péjorative. Un homosexuel c’est un sous-homme, quelqu’un qui se comporte de manière féminine, sous-entendu plus faible et méprisable. L’homophobie c’est la petite sœur du sexisme. La racine du problème justement c’est ce monde patriarcal blanc dominé par les hétérosexuels qui ont le pouvoir, ont rédigé les dictionnaires, ont façonné nos langues, traditions, conventions. En ayant compris cela je pense qu’on peut mener une réflexion sur les normes qui nous conditionnent. Si on arrêtait de taxer la fille aux cheveux courts et qui veut jouer au foot de garçon manqué, et de dire que le petit garçon sensible et tendre c’est une tapette, tout le monde s’en porterait mieux. Même les hommes hétéro ne s’y retrouvent pas. Ils se sentent obligés de jouer un rôle », explique Stéphane Riethauser.

A l’instar des femmes, les gays sont vus comme des citoyens de seconde zone. Pour le dire mieux : ils sont vus comme des citoyens de seconde zone parce qu’ils sont vus comme des femmes. Madame est donc bien plus qu’un documentaire délicat, drôle et plein de tendresse sur la relation entre une grand-mère et son petit-fils. Il est aussi une façon de tordre le cou à une double injustice, et de construire des liens de solidarité entre deux groupes malmenés.

Tout en tissant du dialogue au sein des familles, comme l’explique le réalisateur : « J’ai reçu des centaines de messages tout autour du monde. Des messages d’inconnus qui disent "votre film a rappelé mon histoire", de parents que cela a aidés à mieux comprendre leur fils, de femmes qui se sont rendu compte de leur statut au sein de leur famille. C’est un film qui ouvre le dialogue. Les gens sortent du film et se parlent entre eux. Parlent de sujets inconfortables, tabou : l’amour, la mort, le rapport à la sexualité. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un cinéaste. »

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