Un shower boy à Paris
Photos: Aurélien Nobécourt-Arras pour VICE FR

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Société

Une nuit avec les shower boys de Paris

Ces gogo dancers qui se douchent nus en public m'ont raconté ce que ça fait de voir leurs corps érotisés par des hommes et des femmes.

Le shower boy est dos au public, fesses à l'air. Pendant que l'eau dégouline sur ses muscles et son torse épilé, il presse une fleur de douche au-dessus de ses larges épaules. La rigole de mousse court sur sa colonne vertébrale et termine sa course entre la raie des fesses. Le performeur joue des positions de son corps et s'appuie contre le mur, une cuisse relevée pour cacher ses parties, avant de dévoiler furtivement son sexe en érection. Puis il attrape une serviette et l'enroule autour de sa tige en une drôle de forme, comme si une trompe lui tombait d'entre les jambes. L'effet est à la fois drôle et sexy. Ryan (un nom de scène), est en train de s'adonner à un « shower-show », un samedi soir de janvier, au Raidd Bar. Cet établissement niché dans le quartier gay du Marais, à Paris, est connu en France comme à l’étranger pour ses spectacles d'hommes nus en train de se doucher.

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Encastrée dans un mur et surélevée au-dessus de la foule, la cabine de douche illuminée de néons accueille des éphèbes à la plastique de rêve dont l'objectif est d'émoustiller les clients tout en se pavanant sous le jet d'eau. Dans le public, beaucoup de touristes, des habitués et une horde de portables dégainés pour mitrailler l'Apollon qui se donne en spectacle dans sa cage de verre. Il y a là une majorité d’hommes, entre amis ou en couple, mais aussi des femmes venues se rincer l’œil, comme moi. Il faut dire qu’à Paris, il n’existe pas d’endroit de gogo dancing ni de boîte de striptease qui s’adresserait spécifiquement à un public féminin. Plus généralement, il est rare de pouvoir poser un regard désirant sur un corps masculin érotisé en public, spécialement dévêtu pour plaire aux autres.

Ryan, 31 ans

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Je retrouve le gogo dancer dans la minuscule pièce peinte en rouge qui lui sert de loge à l'étage, juste au-dessus de la douche. La chaleur de l'eau rend la pièce suffocante et les marches raides qui y mènent me coupent le souffle. Il est déjà rhabillé, en bonnet, short et marcel, et il ressemble à un chanteur de R'n'B. Je suis un peu intimidée. Dès les premières minutes de notre discussion, je regrette de l'avoir rangé plus ou moins consciemment dans la catégorie « Ken aux pectoraux huilés ».

Ryan a 31 ans, il est hétérosexuel comme la majorité des shower boys ici, célibataire et pompier. Il a commencé les shows il y a sept ans, en parallèle de son métier. Un soir, un ami l'a entraîné au Raidd. Il a bu et a fait le pari de grimper dans la douche. Il était stressé et maladroit, mais il a été remarqué. Puis il a fait des essais pour le bar et s’est pris au jeu, tout en réalisant que son apparence conforme aux normes viriles pouvait lui rapporter de l’argent. Il a commencé à enchaîner les soirées – payées 100 euros plus les pourboires –, et y a rencontré des photographes qui lui ont proposé des shootings. « C'était pas programmé, jamais j'aurais pensé faire ça. Je suis quelqu'un d'assez réservé », raconte-t-il. Au début, le stress de la performance et le fait de devoir se présenter nu l’intimident. « J'étais en mode robot, j'appréhendais le regards des gens. Impossible d'être en érection. Aujourd'hui, je rentre dans mon personnage et je sais que mon show est apprécié. Tu es en vitrine avec des tas de personnes qui te regardent. C'est quand même gratifiant, même si maintenant, j’ai l’impression de faire partie du décor. » Pour ce qui est de bander, il utilise l'élastique d'un préservatif, qui agit comme un garrot. Ses poses sont étudiées, testées au préalable dans sa salle de bain, devant le miroir.

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Accro au sport, qu’il pratique au moins deux heures par jour, le jeune homme s’avoue préoccupé par son physique. Il dit nourrir des complexes, surveiller sa musculature. En fait, Ryan vit chaque show comme une échéance avant laquelle il faudrait avoir atteint la perfection. « Il faut que je m'entretienne, parce que je veux donner la plus belle image de moi », assure-t-il. « En ce moment, je me trouve dégueulasse après les fêtes. J’ai une sale tête. Je suis assez perfectionniste. Faire beaucoup de sport est un moyen de me rassurer, comme une carapace. On se cache tous derrière un physique. »

« T'es un bout de viande. Les filles fantasment aussi sur toi. Au début, tu en profites et après, tu te rends compte que certaines ne viennent que pour coucher avec des gogos »

Un jour, sa mère est tombée sur une fiche de paie du Raidd, mais elle a bien pris la chose. En revanche, Ryan ne parle pas de ses samedis soirs à ses collègues pompiers, un milieu « macho » où « un mec gay ne dira pas qu'il l'est » et où il craint d'être sanctionné si on venait à découvrir son boulot de gogo dancer. Alors, il évolue entre ces deux univers qui regorgent d’injonctions liées à la masculinité en tant que construction sociale - puissance, contrôle, force physique, valorisation des muscles. Mais où l’admiration de son corps par d’autres hommes dans un contexte serait inavouable dans l’autre. « Je suis vraiment entre deux mondes », admet-il.

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Une fois, il a failli se faire griller. Un client qui avait réussi à obtenir son numéro a appelé à sa caserne pour raconter qu'il travaillait dans le milieu de la nuit. Le trentenaire a annulé toutes ses dates pendant plusieurs mois, avant de revenir sur scène. Aujourd’hui, il assure le spectacle une fois par semaine. Son métier nocturne pose aussi des questions sur la notion de consentement et la perception de son corps dénudé. Les gens qui se sentent autorisés à le harceler et à lui toucher les fesses, le torse et « ailleurs » dans le bar sous prétexte de l'avoir vu nu le fatiguent. « T'es un bout de viande. Les filles fantasment aussi sur toi. Au début, tu en profites et après, tu te rends compte que certaines ne viennent que pour coucher avec des gogos. C’est un peu comme au bal des pompiers. On projette des clichés sur toi. Parfois, ça me pèse d'être vu uniquement au travers de mon physique », regrette-t-il.

Andrea, 30 ans

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Le samedi suivant, je rencontre Andrea, performeur gay de 30 ans, originaire de Milan. Je discute avec lui sur une banquette du bar au sous-sol. C’est un jeune homme tout aussi musclé que Ryan, aux larges épaules et au regard très doux. Il porte un marcel avec un motif de voiture et l'inscription « Italian style », ainsi qu'une chaîne autour du cou. Andrea a commencé au Raidd il y a six ans, après une rupture avec son ex-compagnon. C'est un barman du lieu qui l'a repéré en pleine séance de musculation et qui lui a dit qu'il avait le physique parfait pour le job. Puis il a arrêté quand il a été à nouveau en couple, avant de reprendre après une deuxième rupture. « C'était un peu pour oublier mon copain et pour le rendre jaloux », dit-il.

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Lui aussi exerce un autre métier à côté, dans le e-commerce. « Le gogo dancing n'est pas du tout mon monde. J'ai un travail “normal”, mais je le fais aussi pour échapper à la normalité », explique-t-il. Cela lui a permis de sortir et de rencontrer du monde, alors qu'il se dit plutôt casanier et ne boit pas d'alcool. Il rentre avec des clients, vis des aventures. Andrea explique qu’il fait ce travail essentiellement pour la validation du regard d'autrui. « Même si je n’aime pas être au centre de l’attention, il y a un côté narcissique dans cette démarche. Je me tue à la salle de sport quatre ou cinq fois par semaine. Au moins, là, je le montre à quelqu'un et je peux être apprécié pour mon physique. Dans le milieu gay, ça compte énormément. » Le gogo dancer se décrit comme timide et dit manquer de confiance en lui. « C'est pour ça que je me suis mis au sport à 22 ans. Je pesais 60 kilos, j'en fais aujourd'hui 84. C'est ma drogue, même si je n'en fais pas une maladie », commente-t-il.

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Pendant ses premières douches, il se sentait très mal à l'aise. Depuis, il est devenu « pro ». Sur quatre douches dans la nuit, il montre son sexe une fois sur deux. « Je n’arrive pas à rester très dur sous l’eau. Mais maintenant, je ne pense plus tellement au fait d’être nu. Dans la cabine, on ne voit pas vraiment le public. C'est comme si je me lavais chez moi, mais de façon sexy et en utilisant beaucoup de savon », se marre-t-il. Le trentenaire plaît autant aux hommes qu'aux femmes. Il n’aime pas la réputation de « mec facile » induite par le go-go dancing. Lui aussi à du mal à faire respecter son consentement dans ce contexte festif. « C’est relou, mais je suis habitué. Dans les soirées gays, c'est souvent comme ça. Alors, je prends la main du mec pour la retirer. Les filles touchent aussi. Ça me met un peu mal à l’aise, mais c’est supportable. En fait, je suis un gentil. » Auprès des filles, il se prétend bisexuel, pour laisser la « porte ouverte ». Ces sollicitations ne lui donnent pas davantage d’assurance pour autant. Le jeune homme ne se trouve pas photogénique et se convainc que les cris enthousiastes des spectateurs ne lui sont pas vraiment destinés. Mais il continue, car il aime l’équipe du bar, l’ambiance, et la petite sonnerie qui retentit avant un show et qui lui provoque toujours « un petit truc » à l’estomac.

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Le shower boy file se préparer. Au moment de son show, il agrippe son sexe sous son maillot de bain pour en suggérer le volume, casquette rouge vissée sur le crâne et miraculeusement épargnée par le jet d'eau. Il s'amuse à rouler des mécaniques, à exhiber ses abdominaux et à adopter des moues lascives, tout en faisant mousser sa fleur de douche dans son slip. Là encore, c'est comique et érotique à la fois.

Après le spectacle, il se balade torse nu dans le bar tout en pianotant innocemment sur son téléphone. Il attire les regards. Trois hommes asiatiques lui demandent, en anglais, s'il peuvent se faire prendre en photo avec lui. Ils posent chacun leur tour à ses côtés. Un client le prend par le cou pour lui claquer la bise. « Un de mes préférés ! » s'exclame-t-il. Le gogo sourit comme un petit garçon. Une jeune fille, la vingtaine, cheveux courts, s'avance. « C'est une habituée, nous informe Andrea en souriant. Elle tape sur la vitre de la douche et montre ses seins tout le temps. Ça me fait marrer. » Son admiratrice parle de lui avec enthousiasme. « C'est le meilleur. J'aime ses fesses, ce truc qu'il dégage », décrit-elle. En guise d’au revoir, elle attrape le stipteaser par le collier et lui colle un bisou sonore sur la joue, avant de s’éloigner.

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