Récit

Bioéthique : la GPA s’invite et l’Assemblée s’agite

La gestation pour autrui a fait une apparition surprise jeudi à l’Assemblée par le biais d’un amendement sur la question des enfants nés d’une GPA à l’étranger. Le lendemain, elle était aussi au cœur d’une décision de la Cour de cassation. De quoi réveiller la droite et les cathos, qui manifestent ce dimanche contre la loi de bioéthique.
par Catherine Mallaval et Laure Equy
publié le 4 octobre 2019 à 20h31

Elle devait rester sous le tapis, bien planquée, prière de ne pas mettre le feu aux débats, jusque-là plutôt policés, des députés occupés à examiner la loi qui doit ouvrir la PMA à toutes. Loupé. La voilà qui est revenue jeudi soir par la fenêtre, dans l’hémicycle, avant de rebondir à la Cour de cassation vendredi. Elle ? C’est la GPA ou gestation pour autrui au très fort pouvoir crispant. Celle qui ne manquera pas de faire courir dimanche la Manif pour tous et ses affidés.

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S'il n'est pas question de lever l'interdit dont elle est frappée en France depuis 1994, la GPA est sur le devant de la scène avec le vote surprise d'un amendement visant à faciliter la reconnaissance de la filiation des enfants nés de GPA à l'étranger et, le lendemain, une décision de justice à haute portée symbolique. Après dix-neuf ans de combat, de guérilla, d'appels, le couple Mennesson, Sylvie et Dominique, parents des jumelles Fiorella et Valentina nées d'une GPA en Californie, ont gagné : si la reconnaissance de Dominique (père biologique) était acquise, Sylvie, qui n'a pu ni fournir ses ovocytes ni porter ses filles a (enfin) été consacrée comme leur mère. Concrètement, les actes de naissance californiens des jumelles sur lesquels ils apparaissent comme seuls père et mère vont être transcrits en droit français. Champagne pour les Mennesson ? Assurément. «Nos enfants ne sont plus des fantômes. Ce sont nos enfants, légalement parlant», s'est emballé Dominique Mennesson…

La légalisation de la GPA est-elle du coup à portée de main, comme le serinent à l’envi la droite et la Manif pour tous qui ont décidé de faire fonctionner à plein régime la machine à peur en dégainant l’équation PMA pour toutes = GPA ? Au palais de justice comme au Palais-Bourbon, il n’a jamais été question d’une autorisation en bonne et due forme de la GPA, mais plutôt de résoudre ces deux questions intimement liées : quel sort réserver aux enfants nés par GPA à l’état civil et quel statut pour le parent non biologique (dit parent d’intention) qui s’est lancé avec une compagne ou un compagnon dans une GPA dans des pays qui l’autorisent ? Un vieux casse-tête dont la France a du mal à se dépatouiller et que le gouvernement n’a pas envie d’affronter en ce moment.

«Cauchemar»

De fait, l'exécutif, qui rêve de faire passer sans vagues la PMA pour toutes, redoute le télescopage et rappelle en boucle que la GPA est «une ligne rouge». Et qu'on ne vienne pas arguer que les hommes pourraient se trouver lésés face à toutes les femmes qui vont pouvoir faire des PMA. En droit, l'argument ne tient pas puisque la GPA est aussi bien interdite pour les femmes (qui ont des soucis d'utérus) que pour les hommes…

Mais une douzaine de députés LREM, emmenés par leur collègue Jean-Louis Touraine ont fait tanguer ce profil bas sur la GPA. En jeu : un amendement donc, visant à faciliter la retranscription dans le droit français de la filiation - établie par un jugement - d'enfants conçus par GPA dans un pays étranger où cette pratique est autorisée. Touraine cogne fort : «Nous ne sommes plus au temps où une catégorie d'enfants que l'on appelait "bâtards" n'avait pas les mêmes droits que les enfants légitimes.» Niet catégorique de Coralie Dubost, la corapporteuse LREM, comme de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Celle-ci admet qu'elle doit avancer sur une ligne de crête : maintenir «l'interdit de la GPA» sans laisser dans un vide juridique les enfants ainsi conçus. Elle s'en tient à la solution préconisée par la Cour de cassation il y a cinq ans : le parent biologique est reconnu mais celui d'intention (qui n'a pas de lien biologique avec l'enfant) doit en passer par une adoption plénière de l'enfant. La garde de Sceaux devrait le rappeler dans une future circulaire.

Une procédure jugée par certains députés trop longue, aléatoire et «humiliante», puisqu'elle suppose d'adopter son propre enfant. Jeudi soir, quand les mains se lèvent dans un hémicycle clairsemé, l'amendement est voté d'extrême justesse. La droite, qui jusque-là s'égosillait dans le vide, voit rouge et crie au «cauchemar». Annie Genevard (LR) s'alarme de voir protégés «ceux qui louent les ventres des femmes réduites à l'esclavage procréatif». «Triste pour notre pays», Patrick Hetzel (LR) s'affole devant la GPA «à nos portes».

Deuxième délibération

Que de grandiloquence quand il n'y a en fait rien à ronger. L'amendement Touraine a toutes les chances de finir dans les poubelles de l'Assemblée. Dans la foulée de son adoption, Nicole Belloubet, mine de six pieds de long, a demandé une deuxième délibération. En clair, dès mercredi, les députés seront priés de revoter : «Notre groupe est opposé à la GPA et entend bien voter contre cet amendement», a assuré la coresponsable du groupe LREM sur le texte, Aurore Bergé. De fait, dans le groupe LREM, où l'on s'était passé le mot pour ne pas prononcer celui de GPA, l'offensive sur la reconnaissance des enfants nés ainsi embarrasse à deux jours de la mobilisation de la Manif pour tous. «Ce n'était pas responsable de lancer cela maintenant», souffle le député LREM Guillaume Chiche. Jean-Louis Touraine, quant à lui, tient bon : «Nous demander de revoter est un peu déplacé. C'est perdre son âme pour tenter de calmer les tenants d'un certain conservatisme.»

Quant à la victoire des Mennesson, elle ne concerne que… les Mennesson. Comme l’explique la juriste Laurence Brunet, de l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, et le précise la Cour de cassation, «il s’agit d’une décision d’exception au regard du temps écoulé» : le lien tissé entre Sylvie Mennesson et ses filles depuis dix-neuf  ans. Bref, cette décision sur mesure rend avant tout justice à une mère qui l’était déjà.

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