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Entre "TERF" et "transactivistes", féministes et militants LGBT se déchirent sur la question trans
Un collage "les TERFs au bûcher" dénonçant la supposée transphobie au sein des milieux féministes, dans le 11e arrondissement de Paris.
Twitter - @Margueritestern

Entre "TERF" et "transactivistes", féministes et militants LGBT se déchirent sur la question trans

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L'exigence envers toujours plus d'inclusivité crée de fortes tensions entre certains défenseurs de la cause des transgenres et celles qui s'inquiètent de conséquences négatives sur les droits des femmes, accusées de transphobie. Jusqu'à conduire à des situations ubuesques.

Le sujet a débarqué aux yeux du public sous forme de quasi-blague. Rappelez-vous, c'était en juin 2018 : lors d'une émission d'Arrêts sur images, Arnaud Gauthier-Fawas, solide gaillard barbu, provoque la stupeur (et l'hilarité) d'une bonne partie d'Internet en réprimandant Daniel Schneidermann : "Je ne suis pas un homme, monsieur ! (...) Il ne faut pas confondre identité de genre et expression de genre, sinon on va déjà mal partir. Je suis non binaire, ni masculin ni féminin, et je refuse qu'on me genre comme un homme".

Cette interpellation, qui peut sembler lunaire aux non-initiés, cache en fait une bataille politique et militante tellement passionnelle qu'elle peut dégénérer en affrontements violents dans les réseaux militants. Elle oppose des partisans de la cause des trans, désignés par leurs adversaires comme des "transactivistes radicaux", à certaines féministes accusées par les premiers d'être des "TERF" : TERF, pour "trans-exclusionary radical feminist", soit une militante qui exclurait les personnes trans de la cause féministe. Avant d'entrer dans le coeur de la querelle, un point lexical s'impose pour poser les enjeux de ce débat au lexique touffu.

La clef repose sur la distinction entre la notion de sexe et celle de genre. Comme l'écrit l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur son site, le sexe désigne les "caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes des femmes", tandis que le genre sert au contraire à évoquer "les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu'une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes." Si le genre est une construction sociale, le sexe est une caractéristique biologique. En reprenant cette distinction, on constate qu'il existe une majorité de personnes dites "cisgenre", dont le sexe biologique correspond au genre avec lequel elles s'identifient. A l'inverse, lorsque le genre d'un individu ne correspond pas à son sexe, on parle de "transgenre". Une femme transgenre est ainsi une personne née avec un sexe d'homme qui se sent femme, tandis qu'un homme transgenre est né dans un corps de femme. Pour être mieux en accord avec leur genre, certains entreprennent une transition physique via des traitements hormonaux ou la chirurgie pour changer de sexe, mais ce n'est pas toujours le cas. Enfin, d'autres personnes estiment que la dualité homme-femme constitue en soi une construction sociale oppressive, et chercheront à s'affranchir de cette division sexuée en s'affirmant "non-binaire" ou "gender fluid".

"Les terf au bûcher"

Le débat opposant les "transactivistes" aux "TERF" se joue sur ses bases : si l'on peut se déclarer femme tout en possédant le corps d'un homme, doit-on être considérée comme une femme à part entière du simple fait de déclarer qu'on en est une ? "Être une femme, c'est quelque chose de biologique", tranche Marguerite Stern, militante féministe initiatrice du mouvement "Collages contre les féminicides". "Les oppressions contre les femmes sont liées à notre corps, à notre capacité à enfanter, et toutes les questions du féminisme sont liées aux corps des femmes : l'IVG, la PMA, les violences gynécologiques, le voile, le harcèlement de rue, la prostitution, le viol..." Camille Lextray, autre militante du Collage contre les féminicides, est d'un avis opposé : pour elle, "Être une femme n'a rien à voir avec les organes génitaux. Ce qui fait qu'on est une femme, c'est uniquement la manière dont on se définit : on se reconnaît dans ce que la société identifie comme femme." Pour elle, assimiler les organes génitaux au genre s'inscrit "dans une conception patriarcale : on essentialise les femmes en établissant un lien entre leurs organes génitaux et leur caractère, par exemple."

Ce désaccord engendre un contexte de violence verbale dans les milieux militants. Ceux qui adhèrent au transactivisme ont ainsi adopté un mot d'ordre sans équivoque : "Les TERFs au bûcher", appel (métaphorique) au meurtre que l'on peut voir collé aux murs dans plusieurs grandes villes françaises. Ce mot d'ordre est fréquemment repris sur les réseaux sociaux par Fatima Benomar, cofondatrice de l'association Les Effronté-e-s, qui estime par exemple dans une conversation sur Facebook que "les terfs, les racistes, les fashottes" méritent "la mort". Une outrance volontaire, et évidemment à prendre au second degré, mais révélatrice d'un climat de tension.

Mise en cause par ses détracteurs pour ses saillies sur les réseaux sociaux, Fatima Benomar se défend : "En France, on est pamphlétaires, les personnes indignées par la transphobie retournent le stigmate avec des mots forts, mais personne ne croit sérieusement que l'on souhaite immoler les TERFs !" La militante relève d'ailleurs qu'un des collages effectués par Marguerite Stern dans son groupe féministe relevait du même registre provocateur : "Tu me siffles, je te crame".

Les personnes transgenres, lourdement discriminées

Le mouvement Collages contre les féminicides, que Stern avait lancé, a progressivement été noyauté par des militantes favorables au transactivisme, jusqu'à exclure sa fondatrice. Un nouveau message s'est imposé, visant à faire le ménage parmi les féministes : "Des sisters, pas des cisterfs", autrement dit, en bon français : des soeurs, des alliées dans la lutte, plutôt que des femmes cisgenres jugées hostiles aux trans. En janvier dernier, Stern avait alerté contre la violence de cette nouvelle vague de militants : "Dès que je m'exprime sur le transactivisme, on me lynche. Ces attaques sont de plus en plus violentes, et je sais que de nombreuses autres féministes ne s'expriment pas à ce sujet parce qu'elles ont peur, à juste titre, d'être harcelées." Début août, un nouveau message hostile a été placardé en face de son domicile, dont elle affirme que "l'adresse commence à circuler". Camille Lextray "condamne ces actes" de harcèlement, mais estime "qu'il n'y avait pas d'attaques violentes à l'égard de Marguerite Stern avant qu'elle tienne des propos transphobes." Elle juge que "la haine vient avant tout de la stigmatisation des personnes non binaires et transgenres". De quoi rappeler que les personnes transgenres (on estime qu'elles sont environ 15.000 personnes en France) constituent toujours une population lourdement discriminée : dans Sociologie de la transphobie, Arnaud Alessandrin et Karine Espineira estiment que 85% des trans subiront une agression au cours de leur vie.

Marguerite Stern regrette regrette que "les luttes trans, non-binaires, queer, gender fluid prennent trop de place dans les débats féministes et finissent par abîmer les droits des femmes." De fait, plusieurs associations militant pour les droits des minorités sexuelles ont changé de visage sous l'influence des nouvelles luttes. Partout où des féministes intersectionnelles — souvent influencées par le transactivisme voire les idées décoloniales, et désireuses de rendre les organisations féministes plus "inclusives" — ont débarqué en masse, d'autres sont parties. Ainsi à Nantes, l'association des "Filles de Nantes", créée en 1996, a connu une scission en raison de l'importance croissante prise par la question des trans. A Lyon, le changement s'est fait avec plus de heurts : en juin 2019, la Pride de la capitale des Gaules est annulée. Olivier Borel, responsable de la Lesbian & Gay Pride (LGP) lyonnaise dénonce alors l'influence d'un groupe de militants queers radicaux, qui a bloqué le cortège en insultant ses membres "de fachos, de transphobes, de tout ce qu'on veut". Quatre mois plus tard, l'intégralité de l'équipe dirigeante de la LGP est poussée à la démission, et remplacée par un groupe de douze individus parmi lesquels "les personnes trans et non-binaires sont majoritaires". Volonté affichée : "mettre l'accent sur les minorités au sein de la minorité : personnes trans, non-binaires, racisées, handicapées...".

Drague lourde et novlangue orwellienne

Dans la communauté LGBT et notamment les collectifs lesbiens, l'ambiance s'est tendue. Sophie, une militante homosexuelle vivant à Paris, dénonce "l'entrisme de groupes dits queers, dans lesquels des personnes nées de sexe masculin, ni opérées, ni rasées, ni habillées en femmes, se sentent femmes et sont considérées comme lesbiennes si elles arrivent à le justifier politiquement !" D'après Sophie, "il y a des villes où on ne peut plus se réunir publiquement entre lesbiennes sans se faire attaquer par des collectifs se réclamant de l'autonomie et des luttes contre les oppressions de genre. On se retrouve avec parfois 15 ou 20% de 'lesbiennes' de sexe masculin (sic) qui exigent que nous changions nos mots pour adapter un néo-langage orwellien". La sacro-sainte "inclusivité" peut en effet prendre des tournures curieuses, lorsqu'il s'agit d'adapter le vocabulaire : il ne faut ainsi plus dire "femme enceinte" mais "personne enceinte", afin de ne pas "exclure" les hommes trans (au corps de femme mais de genre masculin) ou "non-binaires", également susceptibles d'être "enceints". Dans le même ordre d'idée, on ne parlera pas de "femme" mais de "personne qui a des règles", ou même de "personne à vulve", cette fois-ci pour ne pas "invisibiliser" les femmes trans, qui bien que possédant un pénis et tous les attributs masculins, n'en restent pas moins des femmes comme les autres aux yeux des transactivistes.

Pour les militantes lesbiennes interrogées dans le cadre de cet article, ces contorsions langagières dissimuleraient une volonté d'invisibilisation des femmes et de la spécificité de leurs combats. On ne les contredira pas à la lecture du texte de Juliet Drouar publié sur le site de Mediapart ; cette "gouine, trans, militant-e féministe", propose tout bonnement de cesser d'utiliser le terme de "femme", simple "statut légal et moral et non un fait de nature", afin de lui substituer l'expression "personnes sexisé-e-s" pour désigner toutes les "personnes concernées par le sexisme, donc par la domination des hommes cis hétéro" ! En effet, d'après Drouar, "'femme' n'est pas le principal sujet du féminisme". Fatima Benomar relativise : "Ces débats rhétoriques sont extrêmement marginaux : en France, dans 99% des cas, tout le monde intériorise le fait que la question des règles ou de la grossesse est liée aux femmes et je ne pense pas que beaucoup de féministes craignent sérieusement pour leur liberté d'expression !" Notons également que certains préféreraient sortir des logiques tribales et parler un langage plus humaniste, à l'image de Florence Jacquet, femme trans et fondatrice de l'ONG LGBT Alternatif World : "Il ne faut pas discuter que de ce qui nous concerne ! Personnellement, ça ne me pose aucun souci de me battre pour d'autres causes que celles des trans".

Des tensions se font pourtant jour sur certains enjeux précis. Certaines militantes interrogées revendiquent leur volonté de créer des "espaces non-mixtes lesbiens", estimant "ne pas se sentir en sécurité" en présence de femmes trans ayant une apparence virile. Plusieurs témoignages que nous avons recueillis relatent notamment une situation baroque : des personnes au corps d'homme, et attirés sexuellement par des femmes, se rendraient à des réunions de lesbiennes en affirmant être non pas des hommes cisgenre hétéros, mais... des femmes transgenres homosexuelles ! Rejeter leurs avances car elles possèdent un pénis serait ainsi... de la transphobie. "Tout ceci est extrêmement marginal", balaie Camille Lextray, qui raille une "théorie du complot, une chimère cherchant à faire croire que les hommes cherchent à infiltrer les milieux féministes et LGBT pour agresser des femmes en se faisant passer pour des trans". Difficile en effet d'estimer l'ampleur de ces épisodes surréalistes. Selon Fatima Benomar, ils sont en réalité insignifiants : "Je n'ai absolument jamais vu de femmes transgenre faire une crise pour s'immiscer dans un débat sur les violences conjugales subies par les femmes hétéro. On a affaire à une frange très minoritaire du féminisme qui veut faire d'un débat périphérique un sujet central". Notons toutefois qu'au sein des personnes trans, des débats existent également : sous couvert d'anonymat, une femme transgenre nous confie être partagée entre son "envie de défendre tout le monde" et son agacement à l'égard de femmes trans non opérées ou des personnes non-binaires, ressemblant en tous points à des hommes, qui "nuisent à la cause des personnes trans et adoptent des méthodes violentes similaires à celles des TERFs".

Les milieux féministes et LGBT sont-ils touchés par la transphobie ? C'est l'avis de Camille Lextray, qui déplore "l'hostilité par rapport aux femmes trans. On les essentialise lorsqu'elles n'ont pas désiré faire d'opération, on fait de leur sexe le mal absolu, comme si c'était leur pénis qui rendait les hommes cis mauvais et pas la construction sociale masculine !" Sophie réplique : "Les lesbiennes et les féministes s'opposent à la violence en raison de l'expression de genre. Mais nier la biologie, c'est autre chose. On ne vit pas les mêmes choses qu'une personne de sexe masculin qui aime porter des robes." Marguerite Stern tient elle à opérer une distinction entre "les personnes trans qui souffrent de dysphorie de genre, problème psychiatrique reconnu, et les transactivistes qui viennent coloniser le débat féministe en ramenant tout à elles". Ces féministes qualifiées de TERFs voient même dans l'irruption du transactivisme une résurgence du patriarcat honni, certaines allant jusqu'à dénoncer une "idéologie imposant la présence de 'transfemmes' dotés de bites et de couilles dans les espaces non mixtes". Dans le camp d'en face, à l'image de Fatima Benomar, on dénonce au contraire une transphobie caractérisée : cette dernière consisterait à "prêter aux personnes trans des positions tranchées, comme si être trans était une catégorie de conviction politique. Affirmer qu'une femme transgenre serait un homme parce qu'elle a un pénis, ou pire, qu'elle constituerait un danger pour les autres femmes de ce fait, c'est de la transphobie !" D'autres soulignent qu'il est caricatural et blessant de comparer les femmes transgenres à des personnes qui se "déguiseraient" en s'affublant de traits féminins stéréotypés.

Enfants transgenre : progrès ou danger ?

Aux yeux des transactivistes, le genre est indexé sur la volonté individuelle. Et puisqu'il appartient à l'individu et à lui seul de déterminer s'il est un homme, une femme ou autre chose, il suit que les barrières empêchant chacun de faire son choix devraient être levées. Certains promeuvent ainsi, pour les enfants ou pré-adolescents qui seraient en situation de dysphorie de genre (situation de détresse provoquée par un sentiment d'inadéquation entre son sexe biologique et son identité de genre), l'usage de bloqueurs de puberté ou la prise d'hormones. Dans une vidéo que Marianne a visionnée, Yuffi Tipoui, youtubeuse et militante transféministe, encourage ainsi les jeunes souhaitant opérer une transition de genre : "Si vous vous n'avez pas encore votre puberté ou qu'elle est juste en train de commencer, si un traitement hormonal tout de suite ou un bloqueur de votre croissance vous permettrait de gagner du temps et ne pas avoir cette foutue puberté qui s'enclenche dans le genre que vous ne voulez pas... Honnêtement, à ce moment-là, les jours sont comptés. Allez-y, faites vous un plan béton, préparez-vous à mort, et allez-y, rentrez dedans. (...) Si vous voulez commencer un traitement hormonal, vous n'avez pas cinq ans à perdre."

En France, les "parcours de transition" physique d'un genre à l'autre sont encadrés. Toute personne souhaitant suivre un traitement hormonal substitutif (THS) doit trouver un médecin pour obtenir une ordonnance et commencer des injections de testostérone ou d'oestrogènes. Les praticiens, notamment les endoctrinologues, réclament fréquemment une attestation psychiatrique (non obligatoire) aux personnes trans avant de valider le début du traitement. De plus, avant 18 ans, l'accord parental est nécessaire (avant 16 ans pour les bloqueurs de puberté). Concernant l'administratif, il est nécessaire de passer devant un juge des affaires familiales pour démontrer que la mention de son sexe à l'état civil ne correspond pas à celui sous lequel l'on se présente dans sa vie sociale, en mobilisant des documents, des témoignages de proches, etc. Les frais médicaux liés à la transition peuvent être remboursés grâce à une attestation d'affection de longue durée (ALD), laquelle s'obtient en complétant un formulaire avec un médecin et en l'envoyant à une caisse primaire d'assurance maladie (CPAM).

Doit-on permettre aux enfants ou adolescents déclarant être dans cette situation d'entamer le parcours médical ? Debrah Soh, docteure en neurosciences, est d'un avis opposé : cette spécialiste de la sexualité, alertée par le "déferlement d'articles élogieux sur des enfants transgenres dans à peu près tous les médias progressistes", souligne dans Le Point un fait passé sous silence par les transactivistes : "En l'état actuel des connaissances, toutes les études longitudinales menées sur des enfants dysphoriques montrent que la majorité cesse de l'être au cours de leur développement : à la puberté, ils dépassent progressivement leur impression d'être dysphorique et, à l'âge adulte, deviennent des personnes homosexuelles et non pas transgenres." En clair, de nombreuses études scientifiques montrent qu'une majorité d'adolescents déclarant être en situation de dysphorie verront cette souffrance disparaître après leur puberté, l'identité de genre ne se stabilisant qu'à l'âge adulte. Si la dysphorie de genre, ne s'efface pas, des traitements hormonaux voire une opération chirurgicale peuvent effectivement être une solution pour l'apaiser, mais "considérer que l'homosexualité est préférable à une vie de supplémentation hormonale, d'opérations chirurgicales et de risques de stérilité ne devrait rien avoir de polémique", estime Debrah Soh. Florence Jacquet rappelle toutefois que "dans l'immense majorité des cas, les personnes ayant effectué leur transition ne regrettent pas leur choix, qui représente un épanouissement." La fondatrice d'Alternatif World estime de surcroît que "plus la transition est faite tôt, mieux c'est : elle permet d'éviter les souffrances, les moqueries, le désespoir", très fréquents chez les adolescents en situation de dysphorie.

Le furieux débat anglo-saxon

Marginale en France, la question trans occupe considérablement plus d'attention dans le monde anglo-saxon, où elle fait figure de sujet de débat majeur. Dernière polémique en date, une sortie de JK Rowling, célèbre auteure de la saga à succès Harry Potter. Réagissant à un article décrivant dans son titre des "personnes qui menstruent", l'écrivaine a alors tweeté : "Personnes qui menstruent. Je suis sûre qu'il existait autre fois un mot pour décrire ces personnes. Quelqu'un peut m'aider ?" Un trait d'humour dénonçant l'effacement du mot "femmes" qui a donné lieu à une déferlante impressionnante contre la supposée "transphobie" de Rowling, accusée de "littéralement tuer les personnes trans avec [sa] haine". A froid, la Britannique a réagi en publiant un texte détaillant ses inquiétudes face au "nouvel activisme trans". Conclusion de JK Rowling : "Si le sexe n'est pas réel, la réalité vécue par les femmes est écrasée. Je connais et j'aime des personnes trans, mais éliminer le concept de sexe enlève à beaucoup la possibilité de parler de leurs vies. Ce n'est pas de la haine que de dire la vérité." Bien souvent, l'opposition à l'auteure n'est pas constituée d'arguments, mais d'une accusation de "transphobie", et d'un mantra répété en boucle : "trans women are women" ("les femmes trans sont des femmes"), censé évacuer le débat.

La vulgate transactiviste est puissante outre-Manche. Un épisode lunaire l'a illustré près de Liverpool, le 8 mars dernier. Le conseil de Sefton (autorité administrative qu'on peut comparer à un conseil métropolitain), pour célébrer la journée des femmes, décide de dresser un drapeau orné de la définition de la femme selon le dictionnaire : "Femme, nom commun : être humain adulte de sexe féminin". Sacrilège ! Sur Twitter, un transactiviste lance l'alerte : "Le drapeau que vous faites flotter est un message subliminal hostile et transphobe" tweete Adrian Harrop, dénonçant la reprise d'un symbole créé par "un groupe de haine transphobe" au Royaume-Uni. Penaud, soucieux de "n'exclure personne", le conseil de Sefton a immédiatement fait retirer l'infamante bannière.

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Si le débat est particulièrement intense outre-Manche, c'est que le volume et la nature des transitions y ont changé : au Royaume-Uni, en huit ans, le nombre de jeunes filles souhaitant prendre des hormones masculines a été multiplié par 44, pour atteindre plusieurs centaines. En 2017, 45 des demandeuses étaient âgées de moins de six ans. Cela a conduit le gouvernement britannique à ouvrir une enquête afin de déterminer si la promotion effrénée des questions trans par les médias et l'école pouvait avoir une influence sur les enfants, et s'il était approprié d'encourager des jeunes prépubères à prendre des médicaments. Une étude menée par la physicienne Lisa Littman — aussitôt accusée de transphobie — a montré que 63% des enfants avaient fait l'objet d'un diagnostic concluant à de sérieux troubles psychiatriques ou à des incapacités neurodéveloppementales avant de demander à changer de genre. La ministre britannique des Femmes et des Egalités, Liz Truss, a finalement annoncé en avril qu'elle entendait interdire aux transgenres mineurs d'accomplir des opérations chirurgicales "irréversibles", et ce afin de "les protéger".

Anomalies sportives et faits divers scabreux

Le même type de débat s'est déroulé plus au nord, en Suède, où il a même été à l'origine d'un scandale sanitaire. Dans le pays scandinave, le nombre de diagnostics de dysphorie de genre chez les filles de 13 à 17 ans a bondi de 1.500% entre 2008 et 2018. A l'automne 2018, le gouvernement social-démocrate a mis sur la table une loi faisant passer l'âge minimum pour une transition médicale de 18 à 15 ans, supprimant l'obligation de consentement parental, et fixant l'âge minimum de changement de genre à l'état civil à 12 ans. Alors que le texte devait être débattu puis voté, une télé d'investigation suédoise a publié un documentaire sur l'hôpital de l'université de Karolinska à Stockholm, montrant que l'établissement pratiquait des double mastectomies (ablation des seins) sur des jeunes filles de 14 ans et écartait les troubles psychiatriques des patients déclarant souffrir de dysphorie de genre. Le cas de Jennifer Ring a également ému la Suède : cette femme de 32 ans s'est suicidée quatre ans après avoir effectué une transition de genre à l'hôpital universitaire de Karolinska, alors qu'une autre clinique lui avait refusé les traitements en raison de signes de schizophrénie. Devant les critiques, le gouvernement suédois a décidé de suspendre les débats et a demandé une consolidation des données appuyant sa proposition de loi.

De manière plus anecdotique, le cas des trans crée également des tensions dans le monde du sport, où des personnes nées hommes mais se déclarant femmes participent à des compétitions féminines... qu'elles écrasent de leur supériorité, à l'image de la championne d'haltérophilie Laurel Hubbard, qui a soulevé 144kg à l'épaulé-jeté lors de la Coupe du Monde à Rome en janvier, ou de Rachel McKinnon, devenue une femme en 2012, qui a remporté le championnat du monde Masters de cyclisme sur piste en 2018 et 2019, battant au passage le record du monde de vitesse sur 200 mètres pour une femme âgée de 35 à 39 ans en octobre dernier. En dehors de ces anecdotes sportives, de rares faits divers tragiques ont également contribué à alimenter les constats sur les excès du transactivisme : au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, la peur de ne pas être suffisamment "inclusif" a visiblement pris le pas sur les précautions de sécurité élémentaires : David Thompson, un criminel multirécidiviste de 52 ans condamné en 2018 pour une attaque au couteau et le viol de deux femmes, a convaincu les autorités britanniques qu'il s'identifiait désormais comme une femme, du nom de Karen White, et a obtenu d'être enfermé dans une prison pour femmes même si ses seuls efforts en matière de transition avaient consisté à changer son patronyme, porter une perruque et des vêtements féminins. Placé dans l'établissement pénitentiaire de New Hall à Wakefield, White s'est peu après rendu coupable d'agressions sexuelles contre deux codétenues. Le même événement s'est produit dans une prison de l'Illinois, aux Etats-Unis, où Janiah Monroe, une femme transgenre aux organes génitaux mâles, emprisonnée pour 32 ans après plusieurs meurtres commis sous l'identité d'Andre Patterson, a été accusée de viol en 2019 par une codétenue.

Les femmes trans sont évidemment bien trop peu nombreuses pour pouvoir menacer l'intégrité des compétitions de sport féminines, et les drames observés dans les prisons restent un phénomène extrêmement marginal ; les personnes trans souffrant de discriminations voire de violences sont d'ailleurs bien plus nombreuses que ces cas isolés. Mais ces quelques exemples montrent que la facilitation du changement d'identité de genre sans contrainte peut entraîner des tensions, voire mettre en danger les droits des femmes. Transphobie ou peur légitime ? La guerre entre TERF et transactivistes fait rage de l'autre côté de la Manche et de l'Atlantique, mais n'a pas encore atteint dépassé le cadre des cercles militants dans notre pays.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne