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Les victimes de thérapies de conversion s'inquiètent de la volte-face d'Élisabeth Moreno
Elisabeth Moreno lors de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 12 mai 2021
Martin Bureau / AFP

Les victimes de thérapies de conversion s'inquiètent de la volte-face d'Élisabeth Moreno

Tout ça pour ça

Par Jean-Loup Adenor

Publié le

La ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes Elisabeth Moreno a laissé entendre, lors de la séance de questions au gouvernement, que le projet de loi visant à interdire les "thérapies de conversion" qui touchent les personnes homosexuelles n'était pas nécessaire. Le droit actuel serait suffisamment protecteur, contrairement à ce qu'estiment les victimes et une députée de la majorité. Aujourd'hui, son cabinet fait volte-face et tente de limiter les dégâts.

L'affaire vire au fiasco. « L'homosexualité n'est pas une déviance », a asséné la ministre Elisabeth Moreno à l'Assemblée nationale mardi 12 mai, alors que la députée La République en Marche (LREM) Laurence Vanceunebrock l'interrogeait sur l'adoption d'un texte visant à faire interdire les « thérapies de conversion ». Ces pseudo-thérapies hétérogènes, mêlant spiritualités et théories psychologiques, poussent les personnes homosexuelles à réprimer leur orientation dans l'illusion de devenir hétérosexuel. Se lançant dans un long réquisitoire contre ces pratiques, la ministre enchaîne et c'est le drame : « Je veux aussi rappeler à toutes les victimes que ces pratiques sont strictement interdites dans notre pays. Notre Code pénal condamne fermement les délits d'abus de faiblesse ou de harcèlement, les propos homophobes ainsi que les violences volontaires. Le code de la Santé publique interdit le recours à l'exercice illégal de la médecine pour tous les prétendants médecins qui veulent soigner l'homosexualité. »

Une déclaration qui balaie le travail législatif mené depuis trois ans la députée Laurence Vanceunebrock, qui cherche à faire adopter une loi spécifique afin d'interdire ces pseudo-thérapies. À la tribune de l'Assemblée, les mots d'Élisabeth Moreno sonnent comme un désaveu, voire de véritables funérailles : à l'entendre, nul besoin d'un nouveau texte de loi. « Le ministère de la Justice publiera très prochainement une circulaire visant à rappeler le droit existant », solde la ministre.

Mardi matin, c'est la douche froide au sein du collectif « Rien à guérir », qui rassemble des victimes de « thérapies de conversion ». Réunies autour de leur porte-parole Benoît Berthe, qui a connu ces pratiques dans sa jeunesse au sein de la communauté catholique des Béatitudes, les victimes voguent entre déception, colère et résignation. Sur les réseaux sociaux, le jeune homme tempête : « Cette réponse inexplicable ne respecte ni la réalité, ni les victimes, ni le travail de [la députée Laurence Vanceunebrock]. » Les associations de défense des droits LGBT embrayent et très vite, de nombreuses voix indignées se font entendre. « On a été très surpris de cette déclaration, explique Benoit Berthe à Marianne. Il y a eu trois ans de travail sur le sujet, les enquêtes qui sont parues dans la presse et la mission d'information parlementaire dirigée par la députée ont montré que le droit existant ne suffisait pas, qu’il ne parvient pas à enrayer la prolifération de ces tortures. À ma connaissance, il n'y a jamais eu aucune condamnation avec les lois existantes. »

Trois ans de travail au point mort

La mission d'information à laquelle fait référence le porte-parole du collectif a été conduite conjointement par la députée LREM Laurence Vanceunebrock et son homologue de La France Insoumise (LFI) Bastien Lachaud. Menant de nombreuses auditions de victimes à l'Assemblée, les deux parlementaires sont parvenus à réunir un corpus de témoignages et de pratiques attestant de la réalité du phénomène en France. Parmi les différents dangers révélés par ces auditions : prières collectives, groupes de parole sur le modèle des alcooliques anonymes, prières de délivrances, exorcismes, voire électrochocs. Aucun travail parlementaire n'avait jamais été mené sur la question auparavant. Et selon les conclusions des deux députés, le Code pénal ne permet pas, en l'état, de prendre en compte la spécificité de ces fausses thérapies, qui occupent tout le spectre du pseudo-médical au spirituel.

Pourtant, depuis la présentation de leurs conclusions et l'élaboration d'une proposition de loi, le dossier est au point mort. Entre-temps, la crise sanitaire a frappé la France et occupé une grande partie du travail législatif. Les élections présidentielles approchant, certaines victimes se résignent désormais à voir disparaître ce projet. « Je dois avouer qu'avec les élections et la crise sanitaire, je m'étais déjà résigné. C'est un sujet difficile, difficile à documenter car nous sommes peu nombreux à prendre la parole, difficile à présenter car les pratiques sont variées, hétérogènes. Je trouve ça dommage pour tout le travail qui a été fait par les députés. Mais il faut aussi comprendre qu'il y a sûrement d'autres choses à faire : de l'éducation, de la prévention, de l'accompagnement… », résume Cyrille, un jeune homme membre du collectif « Rien à guérir ». « J’ai reçu plusieurs dizaines de témoignages rappelle pour sa part Benoît Berthe. C'est en ça que la réponse politique n’est pas à la hauteur : on demande juste du courage de la part de nos politiques, une réponse à la hauteur du problème. »

Un malentendu ubuesque

Elisabeth Moreno a-t-elle donc voulu enterrer cette proposition de loi ? Contacté par la rédaction de Marianne, le cabinet de la ministre dément formellement cette interprétation. « Nous sommes désolés pour ce malentendu, car c'est un malentendu », assure-t-on. « Ce n'est pas du tout ce que la ministre a voulu dire. Cette circulaire, c’est évidemment en attendant mieux. Nous n'avons pas changé de position sur la question. » Le gouvernement espère-t-il toujours voir ce texte inscrit à l'ordre du jour ? « C'est à l'Assemblée de gérer ça », nous répond-on laconiquement. Et le ministère d'émettre un communiqué de presse plutôt pudique : « Chaque victime de ces tortures doit savoir qu'elle peut porter plainte et être accompagnée. Le travail législatif doit se poursuivre pour renforcer (notre arsenal juridique). » Aucune mention de la proposition de loi déjà rédigée, présentée au groupe parlementaire et récemment amendée par Laurence Vanceunebrock à la demande du chef du groupe LREM à l'Assemblée Christophe Castaner.

Du côté de La France Insoumise, on ne croit pas du tout à ce malentendu. « C'est ubuesque, s'étonne le député Bastien Lachaud, rompu aux enjeux du dossier. Les questions au gouvernement, c'est un exercice hyper codifié, si Laurence a eu la parole, c'est qu'on la lui a donnée, que la ministre était au courant. La question était préparée… et sa réponse aussi. Si elle soutenait le projet, elle aurait simplement répondu : 'Vous avez travaillé sur le sujet, une proposition de loi est bienvenue.' Là, soit il y a désaccord, soit le gouvernement est contre. » Pour le député, qui soutient l'adoption du texte qu'il a participé à rédiger, la réponse d'Élisabeth Moreno correspond donc bien au message qu'elle voulait envoyer : « C'est un sujet qui traîne depuis deux ans, on sait que la majorité n'est pas emballée. Ils ne comprennent rien aux spécificités de ces pratiques et au besoin d'un texte adapté. Ils ne comprennent pas non plus qu'un texte de loi permet aussi de libérer la parole des victimes. Et puis, ce gouvernement s'essuie les pieds sur les députés, y compris sur les siens. »

Dans un mail adressé à Elisabeth Moreno que Marianne a pu consulter, le collectif 'Rien à Guérir' s'inquiète de la situation et demande à être reçu par la ministre. "Ne serait-ce que pour permettre de se reconnaître en tant que victimes, une loi est nécessaire", estime Jean-Michel Dunand, qui a raconté son parcours douloureux dans un ouvrage paru en 2011, "Libre : de la honte à la lumière" (Presses de la Renaissance). "Aujourd'hui, je suis partagé entre la gratitude pour tout le travail qui a été accompli, pour avoir reconnu nos histoires, nous avoir reconnu nous, et la colère de voir ce projet abandonné. Je pense que pour faire bouger les choses, il faut qu'on se rencontre. Et derrière nous, combien d'autres ont besoin de parler ?"

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne