INTERVIEW« Quand les femmes trans seront libres toutes les femmes seront libres »

Mois des fiertés : « Quand les femmes trans seront libres toutes les femmes seront libres », expliquent les fondatrices du média transféministe XY

INTERVIEWXY Média, premier média audiovisuel transféministe, a lancé une campagne de récolte de fonds. Sasha Yaropolskaya et Sofia Versaveau, deux des fondatrices, expliquent leur démarche à « 20 Minutes »
Une partie de l'équipe de XY Média
Une partie de l'équipe de XY Média - Carol Sibony/XY Média / XY Média
Juliette Soudarin

Juliette Soudarin

Le 1er juin XY Média, premier média audiovisuel trans-féministe, lançait une cagnotte pour se financer. Moins de onze heures après, XY Média avait dépassé son objectif en récoltant plus 12.000 euros. En dix jours, les dons s’élevaient à plus de 36.000 euros. Derrière le projet XY Média se cachent six fondatrices, six femmes trans, Vénus Liuzzo, Sasha Yaropolskaya, Carol Sibony, Sofia Versaveau, Anna Balsamo et Charlotte Jourand.

Le collectif, qui regroupe à présent une dizaine de personnes, poste sur ses réseaux sociaux des vidéos explicatives sur la représentation des personnes trans, le féminisme socialiste ou encore la transmisogynie, forme de misogynie que subissent les femmes trans dans laquelle se mêlent sexisme et transphobie. 20 Minutes a rencontré Sasha Yaropolskaya et Sofia Versaveau, deux des fondatrices, pour discuter de XY Média mais aussi des discriminations que subissent les femmes trans.

Comment le projet XY Média est né ?

Sasha Yaropolskaya : Lors de groupes de parole en non-mixité trans-féminine que j’ai lancés avec une autre militante, Anna Balsamo, en réaction aux nombreux suicides de femmes trans qui ont eu lieu pendant le premier confinement. Lors de nos discussions il y avait un thème qui revenait souvent : la question médiatique des personnes trans. Tous les mois la presse française sortait un article sur la transidentité. Par exemple, Marianne a publié un dossier sur les enfants trans qui véhiculait des propos et des chiffres erronés. On a eu peur que cet intérêt vif de la presse française pour les questions trans ne déclenche la même vague médiatique négative qui a eu lieu au Royaume-Uni et qui a mené à un changement politique très concret : le gouvernement de Boris Johnson a interdit les bloqueurs de puberté pour les adolescents trans. Dans ce groupe de parole il y avait à la fois des vidéastes et des militantes. J’ai décidé de contacter ces personnes et d’allier nos forces à la fois militantes et techniques pour lancer un média audiovisuel fait par et pour les personnes trans.

Quel est le but de XY Média ?

Sofia Versaveau : Le but est de porter la parole des personnes trans dans l’espace public, parce qu’on ne nous la donne pas souvent. On a décidé de créer un espace pour visibiliser nos actions et nos vécus, défendre qui on est. On a voulu avoir un contenu qui ne se présente pas toujours en réaction au discours de l’extrême droite et TERF (terme utilisé pour désigner les féministes qui estiment que les luttes trans invisibilisent les luttes pour les droits des femmes).

S.Y. : On voulait aussi vulgariser le savoir trans, le rendre accessible au plus grand nombre. Le monde académique trans existe en France. Il y a plein d’universitaires qui travaillent sur le sujet qu’ils soient cisgenres ou transgenres, mais ces savoirs utiles qui peuvent aider à la compréhension reste cachés dans les revues académiques.

S.V. : XY développe aussi un réseau professionnel pour aider les personnes trans à sortir de la précarité et avoir accès au marché de l’emploi. Ces personnes sont talentueuses et elles méritent tout autant que les autres de faire ce qu’elles aiment.

Vous vous présentez comme le premier média transféministe français. C’est quoi le transféminisme ?

S.Y. : Le transféminisme est un terme très peu défini. Au sein de notre média, il désigne la lutte pour la libération des personnes trans. Quand on observe les statistiques sur la manière dont les violences transphobes impactent les femmes trans on arrive à la conclusion qu’une fois que les femmes trans seront libres toutes les femmes seront libres.

S.V. : Les femmes trans sont un peu en bas de l’échelle sociale, si en plus s’ajoute à leur situation des critères de race et de classe économique les difficultés s’accumulent. Le transféminisme défend l’idée que la libération des femmes cis ne peut pas se passer de la libération des femmes trans.

Quelles sont les discriminations que vivent les femmes trans ?

S.V. : On est exploité par le travail sexuel, on est écarté du marché de l’emploi, du droit au logement. On peut être obligé de quitter notre pays comme Sasha, qui est russe, a dû le faire parce que nos vies ne sont pas protégées. Il y a aussi les violences qu’on vit dans la rue, les thérapies de conversions, la famille qui nous met à la porte…

S.Y. : Les personnes qui rencontrent le plus de difficultés sont les femmes trans migrantes qui doivent se prostituer au bois de Boulogne. Ces femmes sont disproportionnellement exposées au VIH. Cela crée des situations dramatiques. Ces personnes arrivent en France, elles n’ont pas de papier et donc pas de Sécurité sociale. L’accès au traitement médical leur est de fait compliqué.

Vous avez subi une vague de cyberharcèlement transphobe après votre première vidéo sur la transmisogynie. Quels sont les risques de tenir un média transféministe ?

S.V. : En étant visibles on prend aussi le risque d’être visées par des groupes.

S.Y. : On a eu un message en morse sous la vidéo de notre appel aux dons qui disait « Heil Hitler ». Ce n’est pas le seul message nazi qu’on a reçu. Ces références au nazisme sont particulièrement graves. Les personnes trans, les travestis et les homosexuels ont été déportés dans les camps de concentration. Quand l’extrême droit poste ce genre de message ça s’inscrit dans une histoire très douloureuse et traumatique pour les personnes trans.

Quel est votre message aux journalistes qui traitent de la transidentité ?

S.Y. : C’est drôle parce que l’idée de fonder XY est née d’un débat qu’on a eu avec une journaliste. Elle avait écrit un article pour Slate sur les proches des personnes trans en citant un ouvrage qui affirmait qu’une femme trans n’est une femme que lorsqu’elle subit une opération génitale. Cette personne se présentait comme sensible aux questions LGBT+. On lui a fait remarquer le problème et elle nous a répondu : « Pourquoi ne commencez-vous pas à écrire au lieu de me critiquer ». Et puis finalement on a pris son conseil et on a monté XY (rires).

S.V. : Plus sérieusement, il faudrait que les rédactions engagent des personnes trans pour écrire sur ces sujets. Même dans les médias féministes, les personnes trans sont absentes.

S.Y. : En France, on a également pour habitude de solliciter des experts cis pour parler des questions trans. Le conseil que je donnerais aux journalistes cis c’est d’essayer de s’approcher d’associations de journalistes LGBT+ ou féministes comme l’AJL ou Prenons la une. Essayer de voir s’ils ont des kits explicatifs. Ils peuvent aussi consulter le Wiki Trans, qui est une très grosse ressource concernant les questions LGBT+. N’importe qui peut y accéder pour améliorer ses définitions et sa compréhension des questions trans. En 2021, on ne devrait plus avoir des articles sur la transidentité sans aucun expert trans, aucune association trans. C’est un non-traitement.

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