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Écriture inclusive : la ministre Élisabeth Moreno coule une « (b)iel »
Élisabeth Moreno
NurPhoto via AFP

Écriture inclusive : la ministre Élisabeth Moreno coule une « (b)iel »

Balle dans le pied

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Pour Élisabeth Moreno, les revendications entourant l'emploi du pronom « non genré » « iel » n'auraient rien d'idéologique. À l'en croire, ceux qui pensent le contraire seraient même victimes d'une forme de paranoïa transphobe…

Les défenseurs de l'écriture inclusive ne méritaient pas ça. Ce mercredi 17 novembre, la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Élisabeth Moreno, a pris position en faveur de l’entrée dans le dictionnaire Le Robert du pronom « non genré » « iel ». Un clivage se dessine donc au sein même du gouvernement, puisque le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a quant à lui exprimé un avis antithétique à celui de sa collègue. Hélas pour les partisans de cette évolution du langage, ils ne pouvaient trouver pire avocate qu'Élisabeth Moreno, tant son argumentaire, fondé sur une mauvaise définition des termes et un discours culpabilisateur, s'avère bancal.

Que l’on dise que potentiellement, on peut dire ‘iel’, parce que ça vient enrichir la langue, et c’est un pronom neutre, pourquoi c’est si choquant ? », explique-t-elle d’abord. Pas de quoi fouetter un chat jusqu’ici, mais c’est lorsqu’on lui fait remarquer qu’il s’agit d’une « décision qui semble idéologique », précédant « le changement de la langue », que les choses se gâtent.

« Mais en quoi est-ce que c’est idéologique ? », demande Élisabeth Moreno, pour qui ce terme semble recouvrir une signification toute particulière. « Pour moi, une idéologie, c’est forcer quelqu’un à faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire, c’est de lui mettre dans la tête quelque chose qu’il n’aurait pas eu seul », avance la ministre. « Idéologie » serait donc synonyme de « contrainte », « d’endoctrinement » ou de « propagande » ? Vérifions dans le dictionnaire – Le Robert, au hasard. Idéologie : « Ensemble des idées, des croyances et des doctrines propres à une époque, à une société ou à une classe. »

« On me parle d’idéologie LGBT+ »

Tant pis si la notion « d’inclusivité » suppose, quoi qu'on en pense, l'existence d'une grille de lecture sociale permette aux individus de distinguer ceux qui sont inclus de ceux qui ne le sont pas. Tant pis, aussi, si tout le mouvement progressiste, dont les thèses occupent une part significative du débat public, se constitue autour de travaux théoriques regroupés, entre autres, sous la dénomination d'études de genre, postcoloniales ou intersectionnelles. : du moment que personne n’est obligé d’y croire, cela n’aurait rien d’idéologique.

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C’est que, pour une macroniste, cette dénomination est forcément infamante : le communisme est une idéologie, rendez-vous compte ! L’idéologie, c’est le goulag au coin de la rue ! Quant à nos ministres, ils ne sont pas libéraux, mais « pragmatiques ». « On me parle d’idéologie LGBT+, pourquoi ? Parce qu’on va vous faire croire que vous allez transformer quelqu’un qui aujourd’hui est hétérosexuel en homosexuel », assène la ministre. Exit la nuance : toute personne qui percevrait comme une idéologie les revendications transactivistes, dont l’emploi du pronom inclusif « iel » fait partie, serait peu ou prou victime de paranoïa homo et transphobe.

« L'écriture inclusive peut parfois exclure »

Puisque la maison ne recule devant aucun sacrifice intellectuel, Élisabeth Moreno n’hésite pas à déployer un argumentaire culpabilisateur à l’encontre de ceux qui s’opposeraient à la marche du progrès. Parler d’idéologie LGBTQI+ ou refuser l’emploi de « iel » reviendrait, à l'entendre, à ignorer les souffrances des membres de ces communautés. « Est-ce que quand on dit ça, on pense qu’il y a quatre fois plus de taux de suicide dans les populations homosexuelles qu’il n’y en a dans les populations hétérosexuelles ? Eh bien c’est la même chose sur l’utilisation des pronoms », décrète Élisabeth Moreno.

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Que l'on soit pour ou contre l'emploi de « iel », les propos de la ministre ont de quoi dérouter. Relancée sur la différence de vues qui l’oppose à son homologue de l’Éducation nationale, elle ose : « Jean-Michel Blanquer a été très précis et je suis d'accord avec lui sur le fait que l'écriture inclusive peut parfois exclure alors même qu'elle cherche à inclure. » Rappelons que l’avis de Jean-Michel Blanquer était on ne peut plus clair : « L'écriture inclusive n'est pas l'avenir de la langue française. Alors même que nos élèves sont justement en train de consolider leurs savoirs fondamentaux, ils ne sauraient avoir cela pour référence », affirmait-il sur Twitter. Au gouvernement, tout le monde est donc d’accord avec l’inverse de ce qu’il pense.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne