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Le combat risqué des homos ougandais pour décriminaliser l’homosexualité

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Dans le pays est-africain, où les relations entre personnes de même sexe sont réprimées par de très lourdes peines de prison, les militants homos rêvent de pouvoir vivre et marcher en toute sérénité.
par Florian Bardou
publié le 29 juin 2019 à 12h58

Ils sont privés de défilé des fiertés année après année, mais n'ont certainement pas dit leur dernier mot. En Ouganda, pays est-africain coincé entre la RDC et le Kenya où l'homosexualité est punie par de lourdes peines d'emprisonnement, les homos et les trans sont depuis une quinzaine d'années la cible privilégiée des médias, des religieux, de la police et des politiques ougandais qui surfent sur l'homophobie de la société dans des perspectives électoralistes. Exemple, pas anodin : la menace brandie en octobre dernier par le ministre de l'Ethique et de l'intégrité Simon Lokodo - un ancien prêtre catholique ouvertement homophobe - de ne pas autoriser l'ouverture d'un centre LGBT dans la capitale, Kampala. «Nos événements, comme les conférences, les rassemblements et les ateliers sont souvent interrompus ou interdits et les arrestations arbitraires des personnes LGBTI sont monnaie courante, a d'ailleurs rappelé cette semaine l'activiste gay ougandais Frank Mugisha, dans une tribune sur le site communautaire Gay star news. Ce n'est donc pas une surprise que la pride elle-même soit régulièrement réprimée avec brutalité.»

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A la tête de l'association Sexual minorites Uganda (SMUG), ce militant de 40 ans, internationalement reconnu mène la fronde contre cette répression d'Etat malgré les risques qu'il encourt pour sa propre vie - c'est par exemple l'un des boucs émissaires favoris des tabloïds locaux. En 2014, avec d'autres organisations de défense des droits des homos, il a notamment fait tomber devant la Cour constitutionnelle une loi anti-LGBT alourdissant les peines de prison pour homosexualité, interdisant sa «promotion» et encourageant la délation. Le texte, né du lobbying agressif des églises évangéliques américaines bien implantées dans le pays, avait été promulgué quelques mois plus tôt sans que le président Yoweri Museveni au pouvoir depuis plus de trente ans n'y trouve rien à redire.

Impunité

Pour autant, les attaques à l'encontre de la petite communauté LGBT ougandaise - très soudée - n'ont pas disparu avec ce bref moment de répit. Selon un rapport annuel de l'Ilga-Afrique, la branche panafricaine de l'International gay and lesbian association, une trentaine d'organisations de défenses des droits humains des homos et des trans ont subi entre 2012 et 2017 des raids dans leurs bureaux ou lors d'événement sans que leurs auteurs ne soient inquiétés par la police. Une impunité qui pousse certains homos et trans ougandais à fuir leur pays. «L'homophobie n'est plus aussi intense qu'elle l'était auparavant mais les agressions, les condamnations et le rejet n'ont pas disparu, confiait d'ailleurs l'activiste lesbienne ougandaise Kasha Nabagesera - elle aussi maintes fois primées pour ses combats - lors d'une rencontre à Paris il y a trois ans. C'est plus calme parce qu'on sort d'une période électorale mais des parlementaires peuvent toujours revenir avec un nouveau texte contre les gays.»

A moins que le vent d'espoir porté par la décriminalisation cette année des relations entre personnes de même sexe en Angola et au Botswana ainsi que la mobilisation inédite (mais douchée) des LGBT kenyans pour une issue similaire atteigne aussi l'Ouganda ? «Cela commence à prendre de l'ampleur, mais la dynamique est lente et va de pair avec des vagues d'homophobie dans ces pays, nous expliquait il y a quelques mois le militant gay et antiraciste Louis-Georges Tin, à l'initiative de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie et la transphobie le 17 mai et d'un appel pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité. L'avancée des droits homosexuels et les expressions homophobes progressent malheureusement main dans la main.» Une lecture partagée par l'Ougandais Frank Mugisha : «L'homosexualité est criminalisée dans la plupart des Etats africains. Seuls un ou deux pays ont commencé à se débarrasser des lois héritées de l'ère coloniale britannique pour contrôler la sexualité des Africains. Donc au lieu d'apprendre de ses voisins qui essayent de lutter contre l'homophobie, l'Ouganda fait trois pas en arrière.» Jusqu'à quand ?

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