Tribune. Les lexicographes d’un célèbre dictionnaire viennent d’inclure dans leur édition en ligne et gratuite le pronom non binaire « iel » (« iels » au pluriel) en le définissant de la sorte : « Pronom personnel sujet de la troisième personne du singulier et du pluriel, employé pour évoquer une personne quel que soit son genre. » L’expression « quel que soit son genre » est prudente et englobante : ce pronom peut désigner des personnes qui ne se reconnaissent ni dans le genre féminin, ni dans le genre masculin, et des personnes dont on ignore le genre. Au pluriel, il désigne des groupes dont l’appartenance au masculin ou au féminin pose problème : des groupes mixtes, de différents genres ou de genres fluides en constante mutation.
En tant que sociolinguiste menant des enquêtes de terrain dans les milieux LGBTQ – un sigle utilisé pour désigner les communautés lesbienne, gay, bi, trans, queer –, j’ai pu attester l’emploi du pronom « iel » depuis au moins la première moitié des années 2000, lorsque j’ai commencé à travailler sur les pratiques langagières des personnes trans et des drag-kings – des personnes catégorisées comme femmes à la naissance et mettant en scène différents types de masculinités – en milieu francophone.
C’est un pronom qui circulait déjà aussi bien à l’écrit dans des formes multiples – « iel », « yel », « ielle », « ellui »… – qu’à l’oral, où on entendait souvent des pauses – savantes et ironiques entre « el » et « lui » (pour « ellui »), « i » et « el » (dans « iel »). Son utilisation est aujourd’hui observable dans de nombreuses situations, aussi bien à l’oral qu’à l’écrit, ou dans un contexte numérique : forums, discours associatifs, au travail (dans certains milieux), ou à l’école où de plus en plus de jeunes non binaires demandent qu’on les désigne par « iel ».
Effervescence linguistique
Le Wiktionnaire [dictionnaire en ligne, participatif, libre et gratuit], qui est depuis toujours à l’affût des nouvelles formes linguistiques, avait inclus le pronom « iel » en 2015, et répertorie des occurrences dans des publications, y compris des ouvrages littéraires, depuis 2013 – « C’est iel qu’a mené les deux heures d’entraînement », trouve-t-on par exemple dans Les Furtifs d’Alain Damasio (La Volte, 2019). Sa trajectoire rappelle celle du mot « homoparentalité ». Son entrée dans le Petit Robert, en 2003, et dans le Petit Larousse, en 2004, était la conséquence d’un emploi diffus mais croissant dans les milieux associatifs homoparentaux et dans les sciences sociales. Aujourd’hui, son utilisation s’est banalisée.
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