Cette année, trois marches des fiertés LGBT+ (lesbienne, gay, bi, trans) sont organisées en Ile-de-France : la Pride des banlieues, le 4 juin, la Pride radicale, le 19 juin, et la marche qu’on pourrait qualifier de traditionnelle, à savoir celle organisée par l’Inter-LGBT, le 25 juin.
Ilana Eloit est sociologue et historienne, titulaire d’un doctorat en études de genre. Elle enseigne à l’université de Genève. La chercheuse explique pourquoi, selon elle, ce qui pourrait apparaître comme un émiettement de la communauté LGBT+ est, en réalité, le signe d’un enrichissement du mouvement, traversé par de nouvelles revendications plus radicales. Maintenant que les principaux combats pour l’égalité des droits sont gagnés – mariage pour tous, adoption et procréation médicalement assistée (PMA) –, les groupes minoritaires au sein du mouvement LGBT+ incarnés notamment par les personnes queers et non blanches, peuvent faire entendre leur voix.
Que vous inspire ce qui peut apparaître comme un éparpillement du mouvement LGBT+ ?
Je ne parlerais pas d’un éparpillement, mais plutôt d’un foisonnement et d’un enrichissement du militantisme LGBT+. Au fond, la question qui se pose est : sans la Pride radicale et celle des banlieues, est-ce que le mouvement LGBT+ traditionnel, incarné par l’Inter-LGBT, représente vraiment toutes les personnes qui constituent le mouvement homo ? Non. Utiliser le terme d’éparpillement, cela impliquerait l’existence d’un mouvement unifié que des subjectivités queers, racisées, trans ou non binaires viendraient fragmenter.
Je pense qu’il faut prendre les choses dans l’autre sens : le problème est que le mouvement LGBT+ traditionnel ne prend pas suffisamment en compte la diversité et les rapports sociaux qui traversent la communauté LGBT+. La Pride radicale et la Pride des banlieues répondent à une volonté de représenter davantage les groupes minoritaires au sein de la communauté. Il s’agit de mouvements d’ouverture et de diversification marqués par une radicalisation des revendications. Ces dernières pointent la nécessité d’une critique antiraciste et anticapitaliste au sein des luttes LGBT+ et d’un décentrement du sujet homo porté par les organisations plus institutionnelles, à savoir un homme blanc, cisgenre [dont le genre correspond au sexe assigné à sa naissance] et de classe moyenne supérieure.
Cette diversification des luttes et des revendications est-elle nouvelle ?
Dès les années 1970, des groupes homos ancrés à l’extrême gauche ont adopté des positions radicales en prenant en compte les questions liées à la classe ou à la décolonisation. C’est le cas notamment du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR). Ce n’est donc pas nouveau. En revanche, la visibilisation actuelle des personnes queers, racisées, transgenres, mais aussi des lesbiennes, est le signe que ces groupes minoritaires deviennent audibles et portent des revendications en leur nom propre. Ces personnes ont toujours fait partie du mouvement LGBT+. La différence, depuis quelques années, est que le discours politique qu’elles portent est entendu.
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