TÉLÉVISION - Si les noms de Paloma, Nicky Doll et La Grande Dame ne sont plus un mystère pour vous, comme pour les pratiques du « shade », du « tucking » ou du « dip » : félicitations. Pour les autres, pas de panique. Il reste fort à parier que ce glossaire arrive d’un moment à l’autre jusqu’à vos oreilles, au regard de l’exposition médiatique qu’a connue la scène drag française en 2022.
Les excellentes audiences de Drag Race France, adaptation hexagonale de la plus célèbre des compétitions de drag queens RuPaul’s Drag Race, peuvent en témoigner. Elles ont poussé la direction de France Télévisions à envisager désormais pour la saison 2 une diffusion en « prime time », non plus en rediffusion et en deuxième partie de soirée, comme ce fut le cas chaque samedi soir après Fort Boyard pour la première saison.
Ses compétitrices et leurs consœurs françaises ne se cantonnent plus aux bars gays, elles ont envahi les plateaux, comme celui de Mask Singer sur TF1 ou de Laurent Ruquier dans On est en direct. On les a vues faire le show sur la pelouse de la Défense Arena lors d’une grande finale de rugby, dans des publicités (comme pour Uber ou Aspercreme), des documentaires (Minima et les Drags) et même au cinéma dans Trois nuits par semaine, première comédie romantique à plonger, en France, dans la culture drag.
Derrière les paillettes et leurs hauts talons, les drag queens n’apportent pas seulement leur lot de vannes, elles tiennent un discours politique, pouvant mettre en lumière les discriminations dont sont victimes les LGBT + ou nous amener à réfléchir sur les questions de genre.
2023 s’annonce chargée
De la présence de Lolita Banana dans le jeu vidéo Just Dance FR à la nomination aux César de Romain Eck (Cookie Kunty), en passant par la co-animation par Nicky Doll d’une nouvelle émission sur France 2 (avec Stéphane Bern) et la deuxième saison de Drag Race France… Tout laisse à croire que les médias vont continuer d’en parler en 2023.
Et c’est super, mais « n’oublions pas que beaucoup d’entre elles galèrent et que c’est un art très compliqué pour en vivre », nous souffle Minima Gesté, star de la scène parisienne. Depuis qu’elle a commencé en 2016, ses revenus ont grimpé, au point d’avoir fait du drag son métier à temps plein. C’est rare. « En France, les drag les plus connues sont encore loin des budgets de la scène américaine », ajoute Catherine Pine O’Noir, autre nom incontournable de la capitale.
Les costumes, le maquillage, les transports ou la réservation d’un lieu… Les frais peuvent être faramineux, contrairement aux cachets que les queens perçoivent, quand elles en perçoivent un. Diamanda Callas, membre de la troupe du Cabaret de Madame Arthur, nous rappelle, elle, que « les drag peinent à obtenir un statut administratif clair ».
La précarité, un vrai sujet
Ni vraiment artiste du spectacle vivant, ni salariée des bars ou clubs, ni mannequin, « les artistes drag doivent jongler avec les statuts, modifier des déclarations et cela se fait souvent à perte pour les artistes, explique-t-elle. Les compensations financières sont basses, tronquées par l’Urssaf, tartinées de tickets boissons et autres avantages en nature qui n’aident pas à payer le loyer. »
La précarité du milieu a été, en partie, mise en lumière dans le film de Florent Gouëlou, dont le héros vit dans un foyer pour jeunes travailleurs. Ce n’est pas suffisant, estime Catherine Pine O’Noir, selon qui « plus on en entendra parler, plus les gens comprendront qu’il faut payer les drag queens à la hauteur de leur travail ».
Aux médias, selon Minima Gesté, de diversifier les profils interrogés, car « ce sont souvent les drag queens les plus visibles dans le grand public qui sont aussi les plus interviewées ». « Il faut donner plus de place et plus la parole à celles qui triment », insiste-t-elle. Aux médias aussi, de raconter autre chose que l’avant-après ou la transformation d’une drag queen, continue Diamanda Callas. « C’est toujours un peu pervers et sensationnaliste », estime-t-elle.
La médiatisation pose aussi la question de la représentation. « Globalement, on est encore très sur ‘la jolie’ drag queen », regrette Catherine Pine O’Noir, qui rêve de voir un casting de Drag Race aussi divers que la scène qu’elle connaît avec « des grandes, des petites, des grosses, des minces et des drag kings ».
Où sont les drag kings ?
Dans sa première saison, la téléréalité comptait au casting une femme trans, La Briochée. Aux États-Unis, il aura fallu attendre treize saisons. Et dans Trois nuits par semaine, l’actrice cisgenre Holy Fatma campe une drag queen. C’est une réalité. Seulement, à l’heure d’aujourd’hui, « les hommes cisgenres blancs tirent encore le gros de la couverture », reconnaît Catherine Pine O’Noir.
La scène drag ne se limite pas aux seules queens. Les kings existent, comme l’a illustré l’apparition de trois d’entre eux (Chica Délice, Jésus et Judas la vidange) dans le deuxième épisode de Drag Race France. Catherine Pine O’Noir attend « une explosion », mais ça ne sera peut-être pas pour tout de suite, nous dit Minima Gesté. Contrairement aux queens qui, selon elle, ont basculé dans le camp dit « entertainment », la scène king, par son exploration de l’intime, du genre et de la masculinité ou ses revendications, se prêterait moins à une percée dans le grand public.
Du moins, pour le moment. « À mon sens, il est nécessaire de montrer une véritable diversité dans les artistes. C’est comme ça que nous obtiendrons une belle diversité de performances », analyse Diamanda Callas, qui rappelle que le drag, « c’est pour tout le monde ». « Les femmes cis ou trans peuvent faire du drag queen, king, queer ou autre, et que les hommes cis ou trans peuvent aussi faire du king, du queer, du queen, estime la chanteuse. On s’attache beaucoup à ces notions. Les médias devraient les détendre au maximum. »
Comme elle, nos deux autres queens reconnaissent que l’année 2022 a été un tournant incroyable. La « mainstreamisation » du drag ne leur fait pas peur, mais elle doit bénéficier à toute la scène au complet, « comme nous, on l’entend », revendique Minima Gesté. Et sans délaisser les petits drag shows des bars paumés, de Paris et partout ailleurs en France, conclut Catherine Pine O’Noir. Can I Get An Amen ?
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