Paris : la librairie gay du Marais ne peut plus assumer son loyer

Le propriétaire ayant décidé d’augmenter les mensualités, le bail de l’enseigne Les Mots à la bouche n’est pas renouvelé. Dans les rayons, les chaussures Dr Martens remplaceront les livres !

 Sébastien Grisez est directeur de la librairie Les mots à la bouche (IVe), installée au 6, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie.
Sébastien Grisez est directeur de la librairie Les mots à la bouche (IVe), installée au 6, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie. LP/Philippe Baverel

    En 1999, dans sa chanson « Rive gauche », Alain Souchon dénonçait « les marchands de malappris qui viennent vendre leurs habits en librairie ».

    Vingt ans plus tard, le couplet si bien ciselé n'a pas pris une ride, au contraire ! Parti de Saint-Germain-des-Prés (VIe), le phénomène, dopé par la flambée des prix de l'immobilier, gagne désormais la rive droite. Et plus précisément le Maraisn où la librairie Les Mots à la bouche se voit contrainte de céder la place à l'enseigne de chaussures britannique Dr Martens !

    Seule librairie LGBT de France

    « Connue dans le monde entier comme la seule librairie LGBT (lesbienne, gay, bi, trans) de France », selon la formule de son directeur Sébastien Grisez, Les Mots à la bouche, créée par Jean-Pierre Meyer-Genton, a vu le jour en janvier 1980 rue Simart (XVIIIe). Avant de s'installer au 6, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie (IVe) en 1983, « quand le quartier était encore malfamé, insalubre et les loyers pas chers », rappelle Sébastien Grisez.

    Depuis, l'établissement qui emploie six salariés (dont trois à mi-temps) et revendique « 150 à 250 tickets de caisse par jour », est quasiment devenu une institution, organisant expositions, conférences et signatures avec de nombreux auteurs. Le secret de la longévité de la maison sur un marché du livre pourtant pas si florissant ? « Nous sommes aussi des généralistes qui proposons littérature, sociologie, mode, architecture, photo, cuisine… », explique Sébastien Grisez.

    Un espace de 130 m2 sur deux niveaux

    C'est par un courrier remis par huissier en juin 2019 que le propriétaire de cet espace de 130 m2 sur deux niveaux, a annoncé le non-renouvellement du bail qui vient à échéance le 31 décembre. « Après une augmentation de 15 % il y a neuf ans, le bailleur qui souhaite profiter de la gentrification du quartier, va, selon nos informations, pratiquement tripler le loyer annuel qui doit passer de 51 000 € à 130 000 €. Vu nos marges, ce n'est pas possible », déclare Walter Paluch, patron de la librairie qui a négocié un prolongement du bail jusqu'au 31 mars 2020.

    Contraints de quitter leur adresse historique, les responsables des Mots à la bouche, décidés à poursuivre l'aventure, ont beau se démener, ils ne savent pas, pour l'heure, où ils atterriront au printemps prochain. A tout juste 40 ans, la plus célèbre librairie du Marais, qui pourrait bénéficier d'une aide au déménagement allouée par la Ville, est prête pour un nouveau départ « dans une zone qui ne soit pas dans le viseur des marques de luxe comme la rue des Archives et ses abords », observe Sébastien Grisez.

    Une piste dans le IVe arrondissement

    Plusieurs solutions ont été explorées, dont celles proposées par le maire du IVe, Ariel Weil (PS), qui se dit « très attaché à la poursuite d'activité de cette institution du quartier ». Sébastien Grisez ne cache pas son inquiétude : « Nous étions sur la piste sérieuse d'une librairie du IVe qui cesse son activité, légèrement plus grande et très bien exposée, pour un loyer similaire à celui de notre bail actuel. Mais comme notre proposition n'a, semble-t-il, pas été transmise au propriétaire, cette adresse idéale est en train de nous filer sous le nez… » Un avocat a été mandaté. Tout espoir n'est pas perdu.