Les cultures LGBTI+ en danger ?

Publié le

La gestion technocratique déplorable de cette crise laisse des pans entiers de la vie communautaires à l'arrêt. Et c'est gravissime.

La Mutinerie, rue Saint-Martin, le 16 mars 2020, premier jour du confinement - Christophe Martet pour Komitid

En un an, l’épidémie de Covid-19 a déjà tué près de 100 000 personnes en France et plus de 2,7 millions dans le monde. Pour toutes celles et ceux qui ont perdu un·e proche, il faudra bien qu’un jour, les politiques rendent des comptes car beaucoup de morts auraient pu être évitées.

Si je suis inquiet aujourd’hui, c’est aussi parce que je crains que non seulement l’épidémie impacte durablement nos vies, mais aussi notre sexualité, la visibilité et les cultures LGBTI+.

J’écoutais hier une émission de France Culture sur les archives LGBT+, et le maître mot des intervenant·es (dont Sam Bourcier, Antoine Idier, Michèle Larrouy) était se battre pour ne pas disparaître, lutter contre l’invisibilité.

Il s’agit bien de cela en effet. Depuis un an, tout a changé dans nos vies. Dans les rues, plus de défilés festifs et militants, puisque les Marches des fiertés n’ont pu avoir lieu dans la plupart des métropoles. La vie des associations, en particulier conviviales, a elle aussi été bouleversée par l’épidémie qui dure. Mais cela vaut aussi pour l’accueil et le soutien aux personnes LGBTI+ les plus en difficultés. Je pense en particulier au travail de l’ARDHIS* auprès des demandeur·euses d’asile LGBTI+, devenu beaucoup plus compliqué.

Mais cette pandémie a aussi affecté tout le tissu des lieux de sociabilité et de convivialité que sont les bars, les sex-clubs, les centres LGBTI+, les clubs, les soirées de la scène ballroom. Ainsi, pour n’en citer qu’un, je pense à la Mutinerie, à Paris mais il en existe beaucoup d’autres partout en France. C’est bien plus qu’un bar, c’est un lieu de mobilisation, de solidarité, de résistance. D’ailleurs, les premières semaines de la pandémie, c’est depuis la Mutinerie que s’est organisé un réseau d’aide aux personnes trans précaires.

La gestion technocratique déplorable de cette crise a laissé des pans entiers de la vie communautaire se refermer. Pour les plus jeunes des personnes LGBTI+, mais aussi pour celles et ceux qui en raison de leur environnement familial ou territorial peuvent goûter à une forme de liberté dans ces lieux communautaires, leur fermeture est gravissime.

Au-delà, c’est aussi notre imaginaire qui en souffre. Tous les films, les pièces, les créations, les performances d’artistes queer et LGBTI+ qui n’ont pas été montrées, ce sont autant d’occasions de s’émouvoir, de réfléchir, de s’émanciper, de débattre aussi qui sont perdues. Et contrairement à ce que dit Emmanuel Macron sur le temps gagné, ces moments-là ne reviendront plus. Je cite en conclusion ces mots forts de David Simard sur le site du collectif Du côté de la science : « Vivre avec le virus, ce n’est pas vivre. Se contenter d’attendre pendant de longs mois la vaccination de dizaines de millions de personnes, c’est faire le choix du temps interminable qui mine la vie dans toutes ses dimensions et qui compte les morts. Le “ temps gagné ” n’est pas celui de la vie. »

*Christophe Martet est bénévole à l’ARDHIS