Catherine Florian, de Violette and Co : « J'espère que l’esprit qu’on a créé puisse perdurer d’une manière ou d’une autre »

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Violette and Co, la première librairie lesbienne et féministe de Paris ferme définitivement ses portes le 12 février en raison du départ à la retraite de ses deux co-gérantes. Komitid a rencontré Catherine Florian, l’une d’entre elles pour faire un retour sur 18 ans d’existence d'un lieu unique.

Christine Lemoine (à gauche) et Catherine Florian (à droite) - Tiphaine Dubuard / Komitid

Ouverte en 2004 dans le 11èmearrondissement de la capitale, la librairie Violette and Co, à la fois féministe et LGBTQI+ – ce qui « n’allait pas de soi à l’époque » – est devenue , « une évidence avec les années » pour Catherine Florian, sa cogérante avec Christine Lemoine. Nous l’avons rencontrée à quelques jours de la fermeture et elle a ouvert pour Komitid sa boîte à souvenirs.

Evolution de la société et du monde de l’édition

En 18 ans d’existence de la librairie, la société et le monde de l’édition ont tous deux beaucoup évolués. Selon Catherine Florian, « Aujourd’hui, le féminisme est presque devenu un argument de vente, avec des éditeurs généralistes qui s’en emparent », ce qui était loin d’être le cas il y encore quelques années.

En plus des publications féministes, celles relatives à la transidentité se sont largement enrichies, notamment du côté des essais dont le nombre a augmenté ces dernières années. Pourtant, il existe toujours selon la libraire « un gap » entre d’un côté, la société où les personnes LGBTQI+ sont de plus en plus acceptées et les publications. C’est particulièrement le cas pour la littérature lesbienne « où il n’y a pas grand-chose » selon Catherine. Le lesbianisme étant l’angle mort des publications contemporaines. A ce jour, il n’existe toujours aucun livre de référence sur l’histoire des lesbiennes.

Au-delà de l’offre, le public a lui aussi changé depuis 2004. En plus d’un public LGBTQI+, s’est ajoutée une clientèle de quartier qui s’est retrouvée dans la librairie, notamment dans son offre jeunesse et littérature.

Dans cette librairie, se sont croisées des jeunes femmes « à la recherche d’un livre féministe pour leur copain, leur père ou leur frère », des hommes qui « s’intéressaient au féminisme » et des jeunes personnes queer à la recherche d’un lieu « où [elles] se sentaient bien ». «  On s’est rendu compte qu’il y en a qui étaient à peine nées quand on s’est créé, certaines ont toujours connu Violette and Co » ajoute la cofondatrice, émue.

 

« On est très contentes et assez fières du travail accompli »

Des rencontres marquantes

A la question : Y a-t-il eu des rencontres qui vous ont marquées ?, Catherine nous répond que « c’est délicat de choisir, on a reçu tellement de gens ».

Mais tout de même, elle évoque, les yeux rieurs, la rencontre en 2019 avec la cinéaste Chantal Akerman qui avait une « présence non présence ». La réalisatrice qui avait perdu sa mère peu avant, n’avait en effet pas pu faire le déplacement et était en visioconférence. C’était « très touchant », et en même temps « rocambolesque ». « Elle mangeait des pâtes devant nous ». « On était comme dans un de ses films ».

Sur un registre plus personnel, elle se rappelle de ses rencontres avec la chanteuse Anne Sylvestre. « Elle était pour moi une femme tellement importante, jamais je n’aurais pensé échanger avec elle dans ce cadre-là ».

D’autres rencontres suivront. Céline Sciamma et Virginie Despentes dont elle avait senti la « générosité envers le public », Judith Butler qui « avait presque bloquée la rue » tellement les personnes venues la voir étaient nombreuses… « On est très contentes et assez fières du travail accompli », déclare la co-gérante, estimant que la librairie « avait vraiment sa place ».

Un espoir de relève

Alors que peut-on leur souhaiter, une fois la librairie fermée ? «  J’espère que l’esprit qu’on a créé puisse perdurer d’une manière ou d’une autre », nous répond Catherine, considérant que cela est d’autant plus nécessaire alors que « beaucoup de choses font peur quand on écoute certain·e·s candidat·e·s à la présidentielle ».

Une proposition de reprise est sur la table. « On en saura plus très prochainement », nous assure la libraire. Et si cela ne peut pas se faire, elle considère avoir « planté une graine » et espère que d’autres projets « vont apparaître ».

Mais la retraite ne signifie pas pour autant le retrait « dans une campagne lointaine », ironise Catherine. Christine Lemoine, la deuxième co-gérante, nous a déjà annoncé la parution prochaine de FEM, aux éditions Hystériques et AssociéEs, livre où l’on pourra notamment retrouver plusieurs de ses traductions de la militante américaine Joan Nestle. A défaut de la retrouver en tant que libraire, on la retrouvera en librairie.