Pride queer Belgique
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Société

Avec la jeunesse queer belge qui ne se reconnaît pas dans la Belgian Pride

« Ce qui est frustrant, c’est que la Belgian Pride, qui est un évènement très médiatisé, ne soit pas utilisé comme levier pour faire bouger les choses. »
Charlotte Verbruggen
Brussels, BE

Il y a un mois et demi, mon réveil sonne, on est le 21 mai, au lendemain de la Belgian Pride. J’ouvre Instagram et là, un torrent de stories de personnes hautes en paillettes en train de danser et chanter sous des drapeaux arc-en-ciel m’ensevelit. Suis-je bien face à des images de personnes présentes à la Pride made in Belgium ou alors est-ce que Coachella a été délocalisé à Bruxelles et personne ne m’a prévenu ? 

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Dans le même temps, plusieurs posts appelant à une repolitisation de la Pride ont fleuri sur les réseaux sociaux. Notamment sur les comptes de Front Q et de L’Union Syndicale Étudiante. C’est vrai que cette année, on était bien loin des Prides nées dans les années 70 aux États-Unis où l’ambiance était plus aux émeutes et aux cris qu’aux paillettes et aux concerts. 

Si personne ne peut nier ce changement d’ambiance, comment la jeunesse queer bruxelloise l’a-t-elle vécu ? Je suis partie à la rencontre de personnes de la communauté LGBTQIA+ pour avoir leurs impressions à froid au sujet de la tournure qu’a pris l'évènement au fil du temps. Avec le recul, que pensent-elles de la Pride telle qu’elle s’est déroulée cette année et estiment-elles que sa repolitisation est une nécessité ? 

Juliette (21 ans) : « On n’est pas un festival »

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« L’accaparement de ce genre d’évènement par des personnes cisgenres hétéro, c’est vraiment un fléau », explique Juliette, les sourcils froncés au-dessus de ses yeux noisette surmontés d’un trait de liner aussi assuré qu’elle. « C’est bien de célébrer la diversité mais il y a encore tellement de  choses qui ne vont pas à côté, comme le fait que je me fasse encore insulter tous les jours. Beaucoup trop de gens vont à la Pride en se disant que c’est gratuit, qu’ils vont s’amuser et que le dress code c’est paillettes. Alors oui, ça peut avoir des airs de débauche, mais c’est notre débauche à nous [les personnes queers, NDLR]. » 

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Juliette lutte au quotidien en tant que femme queer et féministe et se positionne plutôt contre la célébration en règle générale car elle considère qu’il faut continuer la lutte. Elle rappelle également, non sans cacher son agacement, que ce n’est pas parce qu’une personne porte un drapeau arc-en-ciel et fait un selfie à la Pride qu’elle est un·e allié·e de choix pour la communauté. « Ce que je souhaite au-delà d’une grande fête, ce sont des actions concrètes. Ce qu’on veut ce sont des droits, la fin des thérapies de conversions et qu’il n’y ait plus d’agressions homophobes ! » Elle finit par avouer qu’elle n’aime pas vraiment la Pride car celle-ci n’est pas assez politique à ses yeux. Cette Pride, qui est censée être un lieu safe et respectueux, ne l’est pas à 100%, selon Juliette, « par exemple, les personnes qui défilent en rigolant pour fêter leur EVG/EVJF, il faut arrêter. C’est un problème qu’il n’y aurait pas si la Pride était plus politique. Là, les gens viennent comme à un festival mais on n’est pas un festival ! »

Zoé (22 ans) : « Peu importe la forme, notre présence est politique »

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« Tout le monde est le·a bienvenu·e à la Pride de base, et c’est très bien comme ça même si d’un autre côté, force est de constater qu’on est en fait entouré de personnes hétéro et que c’est pas normal qu’on soit une minorité à notre propre évènement », analyse Zoé, du haut de son mètre 75. La jeune femme à la chevelure flamboyante participait déjà à la Pride il y a trois ans et pour elle, c’est toujours la même chose : « La Pride, telle qu’elle est, n’est pas un évènement hyper revendicatif. » Si elle est consciente de cet aspect apolitique, c’est le sourire aux lèvres qu’elle affirme s’être amusée, même si l’évènement est loin d’une Pride des années 70 : « De mon côté, j’aime bien faire la fête et j’ai adoré qu’il y ait une scène sur laquelle des artistes issu·es de la communauté ont pu performer. » Quoi qu’il arrive, pour Zoé, la présence des personnes queers dans l’espace public est politique : « Peu importe la forme, se rassembler a de l’importance ». Cependant, elle estime aussi que « ce qui est frustrant, c’est que la Belgian Pride, qui est un évènement très médiatisé, ne soit pas utilisé comme levier pour faire bouger les choses. » Selon elle, il faudrait que deux évènements cohabitent, « une Pride pour la célébration et une manifestation pour les revendications ». 

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Cette année, comme d’habitude, on a vu de nombreux partis politiques et Zoé avoue ressentir un certain malaise vis-à-vis de leur présence : « Ça fait bizarre de voir tous les partis invités à l’évènement. Par exemple, la secrétaire d’État Sarah Schlitz est même montée sur scène et comme je l’aime bien ça ne m’a pas dérangée mais si c’était quelqu’un de la N-VA, c’est sûr que je n’aurais pas le même avis. » 

Victoria (23 ans) : « La Pride véhicule des clichés »

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C’est avec un  sourire rayonnant que Victoria me retrouve pour une discussion post-pride autour d’un lunch. Elle confie que cette année, la Pride était une première pour elle parce qu’il lui a fallu du temps avant d’assumer sa transidentité. C’est cependant un goût amer que cette première fois lui a laissé : « Même si le nom a changé, je trouve que c’est encore très connoté Gay Pride et axé sur les hommes cis homo bourgeois qui ont, à mon sens, pas mal de privilèges malgré tout. La Pride n’est pas plus inclusive qu’avant de mon point de vue. » Victoria pointe aussi du doigt la récupération de l'évènement par les partis politiques. Pour elle, il faudrait au moins faire un tri parmi ceux-ci, « peut-être sous forme d’invitation ». 

Elle regrette également de ne pas avoir trouvé la safe place qu’elle espérait : « J’ai subi des micro-agressions à la Pride mais je ne sais pas si elles venaient précisément de personnes cis het, je ne leur ai pas fait d’interrogatoire », ajoute-t-elle ironiquement. La déception est, quant à elle, palpable concernant l’aspect plus festif que revendicatif de la Pride : « C’est d’ailleurs pour ça aussi que je n’avais pas fait de Pride avant, c’est parce que je n’aime pas ce côté festif qui, d’une certaine manière, véhicule des clichés sur la communauté comme celui selon lequel iels sont géniaux mais juste pour faire la fête. » À côté de ça, Victoria tient à nuancer : « C’est vrai que je suis pour le fait de mettre des paillettes sur des choses difficiles pour véhiculer des messages, comme le prouve mon militantisme. Le problème pour moi, c’est qu’à la Pride il n’y pas de messages autre que : “Il faut se battre”. Super, mais on fait quoi après ? »

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Pour Victoria, comme Zoé, il faudrait qu’il y ait un juste milieu entre ce qu’était la Pride de base, donc des émeutes, et ce qu’elle est à l’heure actuelle. Pour elle, aujourd’hui, on est d’avantage proche « d’un carnaval », où les gens prennent plein de photos, « ce qui peut même être hyper dangereux parce que des personnes qui ne sont pas encore out pourraient se retrouver dessus et être mises en danger ». Victoria finit par expliquer, une pointe de colère dans la voix, qu’elle ne s’est pas reconnue dans l'évènement : « C’est pas ça ma Pride. Je lutte toute l’année et là, je me retrouve dans un évènement qui rassemble plus de 100 000 personnes mais où on fait juste la fête, ça me parle pas du tout. »

Ana (28 ans) : « Ma Pride rêvée, elle tourne autour des mouvements citoyens »

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Ana a récemment fini son master en Études de genre et milite au quotidien. D’entrée, elle explique que de base, elle adore la Pride : croiser plein de gens qu’elle connait dans les rues et sentir que la communauté occupe l’espace. « Avec la Pride, on voit un peu plus l’étendue de la communauté queer, dit-elle, ce qui est rare parce qu’on a peu d’espace dédié. Par exemple, il y a un seul bar lesbien dans tout Bruxelles. La Pride, c’est un peu le moment où d’un coup on est partout et ça c’est super agréable. » Mais cette année, Ana n’est pas restée longtemps dans la parade et a préféré rejoindre des ami·es dans des lieux plus alternatifs parce que « l’ambiance carnaval » l’a rebutée. Elle n’y a retrouvé aucune forme de lutte mais tient à nuancer : « J’aimerais dire que la joie peut être un acte de résistance et que ce n’est pas dépolitiser entièrement une lutte d’accepter que vivre des moments joyeux entre personnes marginalisées nous renforce. » Elle n’est pas pro Belgian Pride pour autant et avoue avoir plus d’espoir de changement dans les initiatives de personnes extérieures comme par exemple la Pride VNR de 2021. « En fait, honnêtement, ma Pride rêvée, aujourd’hui, elle va plus tourner autour des mouvements citoyens et pas autour d’un groupe qui va organiser un grand évènement médiatique une fois dans l’année. »

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« J’ai l’impression que pour organiser un truc collaboratif qui mettrait à 100% la communauté en avant, il faudrait se défaire de ce côté institutionnel. » Ana juge également hypocrite la présence de certaines personnes qui représentent les institutions : « Pas sûr que si je leur mettais un micro sous le nez elles sauraient me citer les revendications des personnes queers. C’est surtout une occasion pour les institutions de s’acheter une bonne image. » 

Ana tient tout de même à préciser que sa première Pride était magique et qu’elle est encore une fois consciente que ça reste un évènement nécessaire pour les personnes qui vivent tout juste leurs identités « car elles voient qu’elles ne sont  pas seules et ça, ça a été génial pour moi la première fois. » Mais ces quelques points positifs ne rendent évidemment pas l’évènement irréprochable et Ana remet en question son organisation : « Il faudrait peut-être que ce soit plus collaboratif et moins hiérarchique, qu’il y ait une assemblée générale ouverte à tout le monde. » 

Ilyana* (26 ans) : « Le côté instagrammable a pris le dessus »

Les personnes avec lesquelles j’ai pu discuter ont été nombreuses à mentionner la Pride VNR de 2021, une manifestation de personnes queer qui se voulait politique et radicale. J’ai donc cherché à entrer en contact avec l’organisation. Après de nombreuses recherches, c’est finalement Ilyana, une des co-organisateur·ices de l’évènement, qui a accepté de répondre à mes questions. 

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Photo de profil Facebook de la Pride VNR

« Cette année, la volonté de refaire une Pride VNR est un peu tombée à l’eau. Avec la sortie du confinement, tout le monde a repris sa vie, a moins de temps pour militer et les lieux communautaires ont pu être réinvestis », raconte Ilyana entre deux explications au sujet de la fatigue militante qu’elle traverse depuis plusieurs semaines. Pour elle, si une seconde édition n’a pas eu lieu, c’est aussi parce que pour le moment, il y a d’autres urgences, comme le fait de trouver des lieux de rassemblement ou sortir de la précarité.

Ilyana explique que si la Pride VNR a vu le jour, c’est parce que l’envie de se retrouver était très forte : « Ça avait énormément de sens parce qu’on avait un réel besoin de retrouver du lien entre nous, une grande envie de communauté à cause du confinement et du fait qu’on soit tou·tes isolé·es. » Si l'évènement est né, c’était donc, avant tout, dans l’idée de se retrouver tout en se réappropriant la Pride, un évènement qui n’avait plus beaucoup de sens selon Ilyana. Elle explique, la voix pleine d’exaspération, être également fatiguée par la mode du militantisme. Ilyana vide son sac à propos de cet activisme de surface qui, pour elle, se limite aux réseaux sociaux : « Deux-trois photos et après, c’est fini. J’ai l’impression que c’est ce qui est arrivé à la Pride. C’est joli visuellement mais creux en termes de revendications. » 

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Ce qui a aussi été un coup dur pour l’organisation, d’après elle, c’est de se rendre compte qu’iels n’avaient pas été entendu·es : « On a demandé une Pride plus politique mais c’est toujours une sorte de foire, une grande kermesse. » Ilyana ajoute aussi qu’elle aimerait quand même que la Pride VNR revienne un jour, même si elle est, personnellement, de moins en moins convaincue par l’impact qu’ont les manifestations notamment à cause du côté instagrammable qui prend le dessus. Ilyanna pencherait plus pour une militance via des ateliers ou des lieux de retrouvailles communautaires mais c’est avec une pointe de fatalité qu’elle avoue avoir conscience que ces rassemblements seraient « moins glamour et donc moins médiatisables. »

Sandra (la vingtaine*) : « Il y a bien la volonté de faire une Pride politique »

En tant qu’interne à la RainbowHouse au moment de l’organisation de la Belgian Pride, Sandra a assisté au processus organisationnel de l’événement. La RainbowHouse s’occupe de faire le relais entre les revendications des personnes LGBTQIA+, avec qui elle est en contact, et la Belgian Pride. Sandra a constaté qu’en interne, pour les personnes les plus investies et engagées au sein de l’organisation de la Pride, « l’idée était d’en faire un évènement plus politique et inclusif même si dans les faits ça n’a pas vraiment été le cas. » Elle ajoute néanmoins que le fait que des courants politiques soient présents en tant que partis est quelque chose qui est en discussion et qui devrait changer d’ici quelques années : « Il y a bien la volonté de faire une Pride politique, mais sans les politiques. » 

En discutant avec des personnes queers seniors, Sandra s’est aussi rendue compte qu’à l’origine l’implication des politiques était en fait une bonne nouvelle « car ça montrait leur intérêt pour la cause et c’était une forme de victoire. » Aujourd’hui, les ambitions ont changé et face à la récupération de l'évènement par la classe politique, la présence des partis est remise en question.  

*Ces informations ont été modifiées afin de garantir l’anonymat des personnes interviewées. 

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