Pourquoi l'expo de l'artiste gay Karol Radziszewski à Bucarest marque une étape importante

Publié le

L'artiste Karol Radziszewski documente l'histoire des personnes LGBT+ dans les ex pays de l'Est. Son exposition en Roumanie marque un tournant dans ce pays encore marqué par l'homophobie.

Vue de l'exposition au Mnac de Bucarest, avec photos de lieux prises en Roumanie entre 1973 et 1985.

L’exposition qui s’est tenue récemment au MNAC (musée national d’art contemporain) de Bucarest, en Roumanie, est issue du travail remarquable que l’artiste de Varsovie Karol Radziszewski, mène depuis plus de 15 ans. En 2005, lors de sa première exposition, Fagg, il s’interrogeait sur sa propre identité d’homosexuel.

Au cours des années suivantes, il mène un parcours combinant pratique artistique, recherche de traces et interrogation de la masculinité. Il rassemble, il collecte, il numérise, il voyage, il rencontre. Il crée et édite DIK Fagazine, seul magazine artistique queer des pays d’Europe centrale et de l’Est. 

Le 15 novembre 2015, son projet devient QAI, Queer Archives Institut. La date n’est pas choisie par hasard, c’est celle de l’anniversaire de la terrible opération Hyacinthe, menée par la police polonaise en 1985 : arrestations massives, emprisonnements, confessions forcées, aboutissant au fichage d’environ 11000 homosexuels. Et pourtant l’homosexualité était dépénalisée en Pologne depuis 1932. 

QAI est un projet de pratique artistique fondée sur la recherche, la présentation, l’analyse et l’interprétation de documents et archives de ce qu’on appelle encore les anciens pays du bloc de l’est. Il s’appuie d’abord, en Pologne même, sur le travail de Ryszard Kiesel, qui au cours de ses voyages dans les années 80-90, a pris des notes, des photos et a constitué une sorte de guide de voyages, resté à l’état de manuscrit, des lieux de drague, de rencontres. Kiesel a également crée le premier magazine gay Filo, dans lequel ont été publiés les premiers conseils de prévention sur le sida. 

Culture queer de l’Europe de l’Est

QAI se déploie dans différents pays, avec ce même objectif : faire connaître la culture queer des pays de l’Europe de l’Est et stimuler sur place le travail de recherche de traces. Les matériaux archivistiques transnationaux présentés sont des sources d’histoire et des déclencheurs de sens, de sons. Ils ouvrent d’autres perspectives, et permettent d’échapper à la tentation de narrations nationalistes.

La première exposition s’est tenue à Sao Paulo en 2016, puis les années suivantes à Minsk, Kiev, Zagreb et dans d’autres villes, dont Paris où le 3 février 2017 Karol présentait QAI et un hors série de Dik fagazine à l’occasion de la conférence « Homosexualité et Communisme ». 

La dernière a donc eu lieu dans la capitale roumaine, au MNAC, Musée National d’art Contemporain, et était organisée avec Valentina Iancu, historienne de l’art. En entrant dans l’exposition, le regard est happé par ce mur entier tapissé du montage reproduit à l’infini que Ryszard Kiesel avait réalisé pour parler prévention du sida dans Filo. En utilisant les emballages de chewing gum (vendus alors en Pologne) où Donald Duck décline les lettres de l’alphabet, il avait ainsi composé le sigle AIDS. 

Histoire ignorée

Le public découvrait ensuite cette histoire ignorée : le numéro de DIK fagazine consacré à la Roumanie, une partie du guide de Ryszard Kiesel sur les lieux de rencontre homos à Bucarest, et des documents rassemblés par Adrian Newell Paun qui, pour éviter la répression, avait pu partir à San Francisco.

Un guide gay de l’Europe de l’Est par Ryszard Kiesel  et présenté à l’exposition de Karol Radziszewski

La collection de magazines gays de Pologne, Roumanie, Biélorussie entre autres, s’accompagnait de lettres de lecteurs, en anglais, roumain, français adressées à Adrian Paun. On pense alors à celles reçues en France aussi lors de la création des premiers groupes, des premiers journaux gays et lesbiens, lettres souvent poignantes. On pouvait également voir quelques rares magazines lesbiens, Furia Pierwsza de Pologne, Pandora de Lliubjana, Identitati première revue lesbienne roumaine, un article de Lesbia sur les archives de Moscou. Des films d’entretiens réalisés par Karol Radziszewski complétaient les documents, permettaient de suivre le parcours de ces premiers activistes et archiveurs. 

Il est extrêmement important qu’une telle exposition ait pu se tenir dans une institution importante comme le MNAC en Roumanie où l’homosexualité n’est décriminalisée que depuis 2001, et où l’homophobie est encore particulièrement virulente et violente. Dans le texte introductif au livre QAI/RO (bilingue roumain/anglais) qui vient de paraître, Valentina Iancu, historienne de l’art, contextualise et souligne combien l’histoire LGBT roumaine est celle d’une « violente absence ».

Les activistes roumain.e.s, précise-t-elle, doivent en même temps, apprendre et faire l’histoire dans un contexte où iels doivent toujours et encore se battre pour le droit à l’existence. Dans un tel contexte où certains prétendent encore que l’homosexualité est une invention de l’Ouest, organiser cette exposition qui a permis de présenter au public pour la première fois de tels documents visibilisant la richesse et la complexité de cette histoire était un défi, brillamment réussi.

Affiche de l’exposition de Karol Radziszewski au Mnac de Bucarest, en Roumanie