LGBTQ

Parents sociaux, parents sans droit

« Lorsqu’un bébé naît d’une coparentalité et que ses parents biologiques sont en couple, il aura donc trois ou quatre papas et mamans. Le problème, c’est que seuls les parents biologiques sont reconnus par la loi. »
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Gabriel a trois ans. Il a deux papas et deux mamans. Ses parents biologiques, Magali et Jean-Christophe, se sont rencontrés il y a un peu plus de huit ans, avec le désir commun d’élever un enfant, sans partager une vie de couple. Car si pour devenir parents les couples homosexuels peuvent avoir recours à la gestation pour autrui (GPA), à la procréation médicalement assistée (PMA) ou encore à l'insémination artificielle avec sperme de donneur, certains préfèrent se tourner vers la coparentalité.

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Une situation familiale, où une mère lesbienne et un père gay conçoivent un enfant, souvent par insémination artisanale et l’élèvent ensemble, sans pour autant vivre sous le même toit. Lorsqu’un bébé naît d’une coparentalité et que ses parents biologiques sont en couple, il aura donc trois ou quatre papas et mamans. Le problème, c’est que seuls les parents biologiques sont reconnus par la loi. Même si le second parent, aussi appelé « parent social » a le même engagement que le géniteur, il ne détient absolument aucun droit sur son enfant. Un vide juridique, qui soulève un sérieux problème au sein de ces familles.

« Pour que la seconde maman puisse avoir un lien de parenté, il faut que je me dédise de ma paternité. Chose que je ne souhaite absolument pas faire » – Bruno

À Paris, Magali et Jean-Christophe auront passé près de trois ans à attendre l’arrivée de Gabriel. Ce petit garçon, Magali l’élève en banlieue parisienne avec sa compagne Anne-Charlotte. Chaque semaine, Gabriel jongle entre le foyer de ses deux mamans et de son papa Jean-Christophe, qui s’est récemment séparé de son compagnon David, également considéré comme l’un des coparents. « On a été quatre pendant très longtemps. Même si je ne suis plus avec mon compagnon, il restera le second papa », confie Jean-Christophe. Si David peut compter sur la bienveillance de son ex pour continuer de voir Gabriel, Jean-Christophe pourrait parfaitement l’interdire de voir le petit. « D’un point de vue légal, il n’y aurait aucun élément qui pourrait remettre en question mon choix », souligne l’intéressé.

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De son côté, Anne-Charlotte se considère comme l’une des mamans de Gabriel, mais pas comme l’un des coparents. Pour cette future mère, pas question d’élever son bébé en copa. « C’est un schéma qui ne me convient pas, je ne voulais pas d’un enfant qui soit trimballé entre deux foyers. Je suis donc allée faire une insémination artificielle en Belgique avec un donneur anonyme et je vais accoucher d’un petit garçon l’été prochain. » Ici, les choses sont claires, Magali et Anne-Charlotte seront les deux seuls parents du bébé. Les deux femmes ont pour projet de se marier. Magali entamera par la suite des démarches d’adoption, qui lui permettront de devenir le deuxième parent légal du nourrisson. Un processus, qui peut encore être refusé et qui prendra entre six mois et un an, à compter de la naissance de l’enfant.

Depuis le passage de la loi sur le mariage pour tous en 2013, il est en effet possible d’adopter l’enfant de son conjoint ou de sa conjointe en situation d’homoparentalité. La loi a également permis qu’en cas de séparation d’un couple non marié, le parent social puisse garder des liens avec l’enfant, comme des droits de visite, ou d’hébergement. Mais en tant que second parent, il reste difficile voire impossible de faire valoir ses droits sans supprimer l’autorité parentale d’un des deux géniteurs, pour devenir à son tour le parent légal.

Et même si le futur nourrisson et Gabriel n’ont pas de liens de sang, Magali et Anne-Charlotte espèrent les voir grandir comme des frères, tout en laissant une place à Jean-Christophe dans la vie de ce bébé. « Avec son accord, on fera en sorte qu’il ait un lien avec ce nouvel enfant », précise Anne-Charlotte. De son côté, Jean-Christophe n’omet pas le fait que le petit pourrait rapidement le considérer comme un père. « Ce qui sera probablement le cas, c’est que ce deuxième enfant reproduise ce que fait Gabriel avec ses papas, en nous appelant à son tour papa. Si Anne-Charlotte l’autorise, je ne l’en empêcherai pas. Mais je reste entièrement d’accord sur le fait que ne pas avoir de père dans une famille, ne représente pas un manque. »

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« J’ai connu des coparentalités qui ne se sont pas faites à cause de ça. Dans l’esprit du futur papa en l’occurence, la mère sociale ne comptait pas. Elle comptait pour rendre service, mais pas en tant que parent » – Marie-Claude Picardat, coprésidente de l'APGL

À Paris, Bruno est papa de deux petites filles avec un couple de femmes, Laura et Laurence. Chaque maman est la mère biologique d’une des deux fillettes. Un schéma fréquent en coparentalité, qui permet d’équilibrer la configuration familiale.

Pour ces familles homoparentales, il est nécessaire de prévenir la crèche, l’école ou encore l’hôpital, que le second parent est en droit de récupérer l’enfant. « Laurence était là au moment où il a fallu couper le cordon ombilical de notre première fille, auprès de Laura. À l’hôpital, elle avait dû se faire passer pour un membre proche de la famille pour pouvoir nous accompagner », explique Bruno. Le manque de reconnaissance de la mère sociale pose un vrai problème pour ce père. « Pour que la seconde maman puisse avoir un lien de parenté, il faut que je me dédise de ma paternité. Chose que je ne souhaite absolument pas faire. » Un vide juridique, loin d’être rassurant. « Si la maman biologique et moi-même décédons dans un accident de voiture, la maman "sociale" n’a aucune possibilité de prendre l’enfant sous son aile. J’aimerais vraiment que le coparent social soit reconnu. Qu’il soit tuteur, au besoin. Même pour les enfants, c’est beaucoup plus rassurant. »

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Sur la Côte d’Azur, Olivier a une petite fille d’un an et demi en coparentalité. Pour son compagnon, la place de parent social ne lui permet pas pleinement de se sentir père. « La petite l’appelle daddy. Mon compagnon était un peu sécurisé grâce au contrat de coparentalité que l’on avait rédigé [charte de coparentalité permettant de fixer des règles au sein de la futur famille, ndlr] car on y parlait de partenaires. Mais juridiquement il n’a aucune protection. Même s’il agit comme, il ne se considère pas vraiment comme étant le père. »

Pour faire valoir les droits de ses familles, des organismes comme l’APGL, association des parents et futurs parents gays et lesbiens, luttent continuellement auprès du gouvernement. Comme l’explique Marie-Claude Picardat, coprésidente de l’association en question, « Il y a peu de solutions pour les homos, du moins pas autant que pour les hétéros. La question du parent social pose donc un sérieux problème. J’ai connu des coparentalités qui ne se sont pas faites à cause de ça. Dans l’esprit du futur papa en l’occurence, la mère sociale ne comptait pas. Elle comptait pour rendre service, mais pas en tant que parent ». Même si la loi pour le mariage pour tous a été adoptée, « l’état a pris des précautions », souligne la co-présidente. « Par l’article 6-1 du Code civil, le gouvernement empêche que le mariage ne donne les mêmes droits aux homos, qu’aux hétéros. Et ce, notamment, en matière de filiation » poursuit l’intéressée. Pour répondre à ses inégalités, l’APGL demande donc à ouvrir les mêmes droits à tous les couples homosexuels ou hétérosexuels, mariés ou non, ainsi que la reconnaissance des pluri-parentalités. Une avancée, qui permettrait à l’enfant d’être adopté par ses parents sociaux, en gardant sa filiation avec ses parents biologiques.

En France, d'après une estimation de l'APGL, près de 200 000 enfants seraient élevés dans une famille homoparentale. Malgré le discours des antis, les différentes études scientifiques montrent bien que cela n’a pas d’impact sur leur développement. « Deux pères ou deux mères peuvent être aussi différents et complémentaires qu’un père et une mère. Même s’ils sont deux hommes ou deux femmes, ils ont leur propre personnalité, leurs propres envies et compétences, leurs propres qualités et défauts, leur propre histoire personnelle et familiale. C’est tout cela qui amène les parents à être les parents qu’ils sont, bien plus que leur orientation sexuelle », souligne Olivier Vecho, maître de conférences en psychologie à l'Université Paris Nanterre. En France, les discussions au sujet de la coparentalité peinent encore à avancer. « Les familles homoparentales gagnent progressivement en reconnaissance, mais au prix d’une lutte importante et d’évolution juridique voire légale, par à-coups », poursuit Olivier Vecho.

Prochaine étape pour ces familles homoparentales : le projet de révision des lois de bioéthique, qui prévoit notamment d’étendre la PMA aux couples de femmes et femmes seules. Pour Marie-Claude Picardat, même si la PMA est autorisée à toutes les femmes, il est indispensable de revoir la question de la filiation, pour que la « mère d’intention » qui n’a donc pas porté l’enfant, puisse elle aussi être reconnue comme parent. « Nous l’avons répété, il suffirait que soit retiré l’article 6-1 du code civil et que la possibilité soit donnée à ces groupes de femmes d’établir la filiation au même titre que les hétéros », souligne la coprésidente. Comme le rappellent les membres de l’APGL, le combat est encore loin d’être achevé.

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