Je m’appelle Grégory Merly, j’ai 35 ans, originaire de Picardie, en couple avec mon cher et tendre depuis 7 ans et heureux papa de deux petits garçons nés en juin 2019. Je pourrais m’arrêter là dans les présentations. La plupart des gens se contentent d’en rester là.
Mais très vite, dans mon cas, au quotidien, je me suis aperçu que ce n’était pas suffisant et qu’il me fallait ajouter immanquablement que “mes deux enfants sont issus d’une GPA, faite aux Etats-Unis”, parce que sinon on m’envoie deux yeux ronds, encore plus grands que ceux que me font mes bébés quand ils se réveillent pour leur biberon.
C’est peu dire si l’homoparentalité est un mystère et interroge tout le monde. Nous vivons dans un pays où il n’est pas évident que chacun puisse devenir parent. C’est triste mais c’est comme ça. C’est le privilège de certains, qui ne sont pourtant ni mieux ni moins bien que nous.
Voici les questions que l’on me pose le plus souvent.
“Et alors, vous avez toujours voulu avoir des enfants?”
Intérieurement: “Bah non cocotte, quand j’étais ado j’étais plutôt branché potes et volley-ball, quand j’étais étudiant je voulais réussir mes études, quand j’ai commencé ma vie pro j’ai travaillé le nez dans le guidon et, maintenant que j’ai une famille depuis 7 ans, il nous est venu, au fil de l’eau, que notre famille serait encore plus belle si elle avait des enfants.”
Réponse officielle: “Oui, depuis toujours, ça a toujours été, c’est comme ça.”
Dans le rôle du papa gay que je me fabrique au cours du temps, je me rends bien compte que je dois justifier d’une envie irrépressible d’enfants, bien supérieure à la moyenne, au-delà du raisonnable, parce que pourquoi un couple gay ferait-il des enfants sinon? Aux États-Unis, vouloir des enfants c’est une vertu, ne pas en vouloir dirait quelque chose de nous, ça montrerait une inadaptation sociale.
Je ne me sens ni du côté américain, ni du côté français, je récuse l’idée que famille et enfant(s) aillent de soi et que la seule norme valable chez les hétéros soit d’avoir deux enfants, parce qu’il est bien connu que si vous n’en avez qu’un c’est qu’il y a dû y avoir un problème quelque part et que si vous en avez plus que deux, c’est que vous êtes certainement quand même un peu catho. Que ce choix ontologique d’avoir des enfants soit fait hors de toute pression sociale serait, à mes yeux, au plus grand bénéfice des parents et des enfants eux-mêmes.
“Et donc la maman vit aux Etats-Unis?”
“Non, la femme porteuse est bien américaine mais il n’y a pas de maman.” Au théâtre, il y aurait une belle didascalie insérée dans le dialogue avec marqué (Prenant un air circonspect).
Pourquoi la mère porteuse n’est pas la vraie mère des enfants? En premier lieu, parce qu’elle n’en a absolument pas envie, il ne manquerait plus que ça qu’elle se retrouve, au bout d’une grossesse pour autrui, avec un bébé qui n’est pas à elle entre les bras.
Ensuite, parce qu’elle n’a aucun gène en commun avec l’enfant, car le gamète femelle est issu du don d’une autre femme, un don anonyme le plus souvent. Il n’y a pas de maman et c’est pas grave, on ne compte plus les études qui disent que les enfants issus de GPA sont parfaitement équilibrés et “au moins aussi heureux que ceux qui évoluent dans d’autres modèles familiaux”.
Ces enfants parlent d’ailleurs pour eux-mêmes: dans certains pays comme Israël où la pratique est courante depuis plus longtemps, ces enfants prennent le micro et parlent de leur famille avec fierté; en France, c’est 200 à 300 bébés qui naissent d’une GPA chaque année depuis les années 2010.
Il y aura bientôt un nombre significatif d’enfants en âge de parler, assez pour qu’on évacue pour de bon la question de leur conception. Je ne crois pas aux “mamans” et aux “papas”, je crois très fort aux “parents”. Les “mamans” sont une construction sociale, on attend d’elles qu’elles accouchent dans la douleur, qu’elles allaitent pendant deux ans, qu’elles prennent un congé parental encore plus long, qu’elles adorent chaque seconde cette nouvelle vie de maternité, sans se plaindre des changements immenses et des sacrifices personnels que les bébés leur imposent.
Sans ça, une femme n’est pas une bonne maman. Alors non, chez nous il n’y a pas de maman, il n’y a pas de femme démissionnaire et assignée à 100% à son enfant, il y a juste deux parents à part égale, qui apporteront tous les soins et tout l’amour dont leurs enfants ont besoin.
“Et c’est légal aux Etats-Unis?”
“Parfaitement légal!”
Le cadre légal est assez complet et couvre toutes les éventualités de la grossesse. Il sécurise la mère porteuse, il sécurise les parents. Il permet de vérifier que la femme porteuse a déjà eu des enfants, qu’elle a un revenu principal et qu’elle est prête psychologiquement. Ces critères sont évalués, sans quoi les femmes candidates ne pourront aller plus loin.
Plus tard, pendant la grossesse, ces règles permettent de ne pas improviser, ni bricoler des solutions en cas de pépin. Et le bénéfice principal de cette loi, c’est que nous avons eu, à la naissance de nos enfants, deux beaux certificats de naissance comportant chacun le nom des deux papas.
C’est ce document que l’on peine à faire retranscrire en France. Je regrette énormément que la GPA ne soit pas encore légalisée en France, je ne souhaite à personne de vivre une grossesse à distance, séparée par un océan. Plus largement, je déplore que les femmes seules et lesbiennes doivent encore se faire inséminer en Belgique et en Espagne, que l’on doive accompagner ses proches dans la fin de vie en Suisse et que les gays n’aient pas d’autres choix que de consacrer une vie d‘économies à aller aux US s’ils optent pour une GPA.
Illégal en France ne veut pas dire immoral, la France a très largement montré ses conservatismes en matière de droits LGBT, cela ne voulait pas dire qu’il était immoral de penser que l’on méritait le mariage pour tous avant 2012, quand d’autres pays l’avaient permis depuis plus de 10 ans.
“Vous savez, s’ils pleurent, c’est parce qu’il leur manque une maman...”
J’ai peu de certitudes dans la vie mais cette phrase est à coup sûr d’une immense méprise. Mes bébés ne pleureront pas plus, ni plus fort, n’auront pas plus de raisons d’être dépressifs ou en colère, ils se sentiront discriminés seulement si la société autour n’arrive pas à se faire à la diversité des familles.
Ce n’est pas seulement le regard des familles hétéro-normées qu’il faut changer, c’est aussi celui du corps médical. J’en ai fait la douloureuse expérience en PMI: cette dame, puéricultrice, qui m’explique que je dois verbaliser et expliquer à mes enfants nouveaux-nés qu’ils sont privés de maman, elle qui me tend un article sur le sentiment d’abandon...
Une fois pour toutes, il n’y a pas d’abandon, il n’y a pas de sentiment d’abandon, il ne peut y avoir d’enfant plus désiré qu’un enfant issu de GPA, parce que la difficulté est telle, qu’il faut une envie et une volonté à toute épreuve pour en arriver au bout.
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