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coupleRacisme, belle-famille et communication : les défis des couples mixtes

Par Hugo Wintrebert le 28/09/2020
Couples mixtes

Dans le couple s’expriment tous les débats qui traversent la société. Et c’est d’autant plus vrai pour les unions entre deux personnes de nationalités, de religions ou de cultures différentes. Malgré l’amour, les préjugés restent nombreux, autant que les défis à relever.

Depuis un an environ, les emojis offrent de pouvoir choisir parmi des couples très variés, combinaisons de différents genres et de différentes couleurs de peau. Signe des temps qui changent, le couple mixte s’affiche, et se fait surtout de plus en plus fréquent. Et c'est tant mieux.

Le couple mixte désigne souvent l’union de deux personnes de nationalités différentes, mais aussi de religions ou de cultures distinctes. L’Insee a réalisé en 2018 l’une des trop rares études sur le sujet dans le cadre d’une enquête sur les couples de même sexe vivant ensemble (150 000 hommes et 116 000 femmes). Au sein de ces ménages, 12 % des hommes et 8% des femmes sont immigré·es. La moitié de ces hommes vivent avec un Français, et 42% de ces femmes avec une Française (des proportions un peu plus importantes que chez les hétéros).

À l’heure actuelle, il y a plusieurs questions auxquelles on n’a malheureusement pas de réponses, estime néanmoins la sociologue Gaëlle Meslay, autrice d’une thèse sur l’appropriation du mariage par les couples de même sexe. On ne peut pas savoir si les couples mixtes homosexuels sont en augmentation. Le chiffre est, en soi, difficile à estimer.” En particulier en ce qui concerne la religion ou la culture des conjoints.

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Homos ou hétéros, les couples mixtes rencontrent souvent les mêmes difficultés. À commencer par la communication. José, 42 ans, et Olivier, un an de moins, se sont rencontrés il y a douze ans, dans un bar à Lisbonne. Le premier est Mexicain et ne parle pas français ; le second, Français, ne parle pas espagnol. Forcément, les débuts ont été un peu compliqués. “On parlait un peu anglais, mais pas très bien, se rappelle José. Ce n’est pas facile, mais quand on ressent quelque chose de spécial pour la personne, on va au-delà de ça.”

Dépendance affective et économique

Et quand on n’habite pas le même pays ? Devoir immigrer par amour peut constituer un moment délicat. L’un des membres du couple se trouve déraciné, loin de sa famille et de ses amis. “Les premiers mois après mon arrivée à Mexico ont été difficiles, raconte Olivier. Notamment à cause de la stagnation de mon niveau de langue. Je me disais que c’était fou d’être en couple à plusieurs milliers de kilomètres de ma Normandie avec, qui plus est, un homme qui ne parlait pas ma langue. Professionnellement, j’ai dû repartir de zéro.”

Ces disparités peuvent être la cause de ruptures d’équilibre au sein d’un couple. La sociologue Manuela Salcedo, autrice d’une thèse sur les couples de nationalités différentes et les politiques migratoires, note des différences d’âge et de revenus importantes. “Le Français gagne souvent plus d’argent, ce qui place la personne étrangère en situation de dépendance affective et économique”, détaille-t-elle. Elle a aussi remarqué l’importante proportion de couples qui se marient ou se pacsent pour simplifier leur situation administrative. Mais avec la législation contre les mariages blanc et gris, les démarches peuvent virer au cauchemar kafkaïen.

Belle famille

Le passage le plus délicat est souvent la rencontre avec la belle famille, événement parfois vécu comme un second coming out. La plupart du temps, ça se passe bien. À la rigueur, c’est un peu gênant, voire difficile à passer, mais il y a aussi des réactions terribles. Abdou, 27 ans, né de parents béninois, ayant toujours vécu en France, se souvient d’un épisode traumatisant :

“Au bout de sept mois de relation, mon copain de l’époque souhaitait me présenter à sa famille. Quand on est arrivés chez sa mère, elle m’a regardé, totalement ébahie. Elle a emmené son fils dans un coin. Sans aucune discrétion elle lui a dit : « Mais tu ne m’avais pas dit que ton copain était... Enfin tu vois... Un peu de couleur quoi... Tu aurais dû me prévenir, je me serais préparée. » Mon copain s’est emporté en lui demandant ce que ça changeait, se souvient-il. Tout ça m’a vraiment blessé. Le reste du séjour fut très embarrassant. Sa mère m’a demandé : « Et donc tu manges de tout ? comme nous ici ? » Je sentais que je n’étais pas le bienvenu. J’ai préféré écourter le séjour.”

Les réflexions blessantes et les regards inquisiteurs peuvent venir de la famille, mais aussi des amis. En relation avec un Français blanc, Tiên, 28 ans, était souvent renvoyé à son origine vietnamienne. “Quand on sortait en boîte avec mon mec, je n’aimais pas le regard de ses amis. Je ne me sentais pas à ma place. Ils ne m’accordaient aucune importance, se rappelle-t-il. Dans leur imaginaire, un homo asiatique, ça n’existe pas. Ou alors on dit que c’est un Thaïlandais qui s’est trouvé un vieux Blanc pour avoir des papiers. J’avais le droit à tous les stéréotypes que doit supporter un Asiatique lorsqu’il traîne avec des Blancs. J’étais forcément un mec passif, un gringalet avec une petite bite. Ça ne volait pas très haut.

Racisme dans le couple

L’autre membre du couple peut aussi être confronté au racisme subi par son partenaire. Jérôme, 45 ans, a eu plusieurs relations avec des Chinois. Il se souvient des “ni hao” (“bonjour”) moqueurs lancés dans le métro. “En soirée gay, les autres nous jetaient des regards suspicieux, se rappelle-t-il. J’ai eu des réflexions du type : « Qu’est-ce que tu fous avec lui, tu pourrais avoir mieux." Il y a toujours l’idée que l’Asiatique est une sous-catégorie.”

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Les travers s’expriment aussi à l’intérieur du couple. Même si l’on pense être bienveillant, on risque toujours de ramener son partenaire à ses origines. “Quand j’étais avec un Chinois, je parlais beaucoup de la Chine. C’est une de mes passions, indique Jérôme. Mais c’était également un point d’accroche. Dès que je voyais une affiche dans la rue qui renvoyait à la Chine, je la montrais à mon copain. Pareil à la télévision. Je me vantais d’acheter des bouquins d’auteurs chinois, etc. C’est pour essayer de plaire, mais la personne en face doit se demander pourquoi on ne la résume qu’à ça.”

Les stéréotypes ont la vie dure

Cette crainte de la fétichisation de la différence peut amener un partenaire à douter. Abdou s’est plusieurs fois demandé si ses ex-copains n’étaient pas seulement attirés par sa couleur de peau. “Le Noir est forcément viril, avec un sexe de taille avantageuse. Je me demandais s’ils s’intéressaient à moi parce que je suis sympathique, intéressant, ou parce qu’ils voulaient cocher une case. Est-ce qu’ils m’aimaient pour les bonnes raisons ?” 

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Malgré tous ces obstacles, la différence est aussi une force. Depuis quatre mois, Romain, 26 ans, est en couple avec Ankiet, un Américain d’origine indienne de 32 ans. Il n’élude pas les difficultés de son couple : la communication, la distance, le rapport avec la famille, les compromis entre deux modes de vie... Mais il retient surtout la richesse de ces unions. “Je pense que le couple mixte apporte davantage qu’un autre couple. On est forcément tous les deux plus ouverts, estime-t-il. Je ne dis pas qu’un couple « normal » n’est pas bien. Mais, dans ma situation, chacun a plus à apprendre de l’autre. Chaque couple mixte est une preuve que l’amour est une des rares choses communes à l’humanité.

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