« J’avais 25 ans quand j’ai accouché de mon premier enfant, une petite fille. A 16 ans, mon aîné est venu me voir et m’a dit : “Il faut qu’on parle, je voudrais te dire que je suis un garçon, et qu’à partir d’aujourd’hui, il faut m’appeler Louis.” Je suis restée abasourdie. Je lui ai demandé pourquoi. Il a dit “je suis un garçon dans un corps de fille”. J’ai répondu “je t’aime comme tu es”, et je me suis mise à pleurer. »
L’histoire d’Elodie avec la transidentité a commencé comme ça, un soir de novembre. « Après, on n’est pas allé plus loin dans la discussion. Depuis un certain temps, il n’allait pas bien du tout. Je l’ai senti libéré. On n’en a pas reparlé pendant trois mois. » Quand la transidentité se dévoile dans la famille, une tempête d’inconnues l’accompagne, et pour certains un désert de mots. On cherche le moyen d’aider, de ne pas braquer la personne en face, de comprendre, d’interroger sans offusquer, de s’intéresser sans brusquer. De trouver parfois, tout simplement, quelque chose à répondre.
Le sentiment d’être né dans la mauvaise enveloppe
Pour Elodie, ces trois mois commencent par plusieurs nuits de pleurs. Elle lit tout ce qu’elle peut trouver sur ce sentiment d’être né dans la mauvaise enveloppe, décrit par son enfant, dont elle n’a aucune idée. Elle s’effondre, panique, angoisse pour la vie sociale de son fils. « Je me disais : il ne sera jamais heureux, il ne sera jamais dans le bon corps. »
« En tant que parent, on déconstruit quelque chose, on doit construire autre chose, mais on ne sait pas quoi, on n’a plus les cases garçon ou fille, on n’a rien de rassurant », Elisa Bligny
Mais elle garde ses tracas pour elle. A part les yeux bouffis par les larmes et les nuits sans sommeil, dans la maison familiale, le sujet semble clos. Enfin, presque. « J’ai fait machine arrière », reconnaît-elle. « Pour moi, c’était impossible de l’appeler Louis. Chaque erreur conduisait à une crise. Je ne pensais qu’à ça, je ne parlais que de ça avec mon mari, son beau-père. Pendant trois mois, j’ai arrêté de “genrer” [mettre au féminin ou au masculin] tout ce que je disais. Nous avons cinq enfants et je n’ai plus utilisé pour aucun d’eux de formule au féminin ou au masculin », raconte Elodie. La maman comprend vite que cette rencontre avec la transidentité va lui demander de bousculer toutes ses croyances.
« Tu te dis que ton amour et ton abnégation pour ton enfant sont plus forts que tout, que ça ne changera rien. Mais, au fond de toi, ce n’est pas ce que tu ressens. Je m’excluais de ma propre vie, je ne voyais plus personne, ne parlais plus à mes amis, je ne savais pas à qui ni comment en parler. Je crois qu’au fond, j’espérais que ça allait passer », reprend Elodie. Nombreuses sont les familles qui témoignent avoir manqué de ressources pour accueillir leur enfant lorsqu’il s’est présenté comme personne transmasculine, transféminine, ou non binaire (ne se reconnaissant dans aucun des deux genres). Notamment parce que, dans ces moments-là, on n’a plus de repères. « On est vraiment perdu quand on cherche à aider son enfant transgenre », résume Elisa Bligny, mère d’Amé et autrice de Mon ado change de genre (La Boîte à pandore, 2020). Dans cet ouvrage, elle entame son premier chapitre par ces mots : « A vous parents comme aux autres membres de la famille, aux amis, aux copains, à ceux qui veulent comprendre… Je veux d’abord vous rassurer : il faut laisser le droit à la réflexion et à l’hésitation. » Elle confie : « En tant que parent, on déconstruit quelque chose, on doit construire autre chose, mais on ne sait pas quoi construire, on n’a plus les cases garçon ou fille, on n’a rien de rassurant. »
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