POLITIQUE - "On nous avait assuré que c'était un fantasme et que ça n'arriverait jamais". L'amendement adopté ce mardi 12 février visant à faire porter les mentions "parent 1 et parent 2" et non plus "père et mère" dans les formulaires scolaires a été accueilli par une pluie de commentaires railleurs et/ou indignés chez les adversaires du mariage pour tous. Certains pointant avec ironie ou amertume qu'ils avaient mis en garde contre cette "dérive" lors de l'adoption de la loi Taubira.
La majorité LREM a donc décidé d'imposer cette formulation pour, selon la députée Valérie Petit (LREM), "ancrer dans la législation la diversité familiale des enfants dans les formulaires administratifs soumis à l'école", consécutive notamment à l'ouverture du mariage et de la parentalité aux couples homosexuels.
Si la Manif pour tous s'est empressée de dénoncer une "bêtise idéologique" consistant à "nier la réalité de la filiation", elle a également relayé les commentaires revanchards de journalistes et élus conservateurs rappelant que la disparition des termes "père" et "mère" avait été dénoncée dès 2012 lors des débats sur le projet de loi instaurant le mariage pour tous.
Journalistes et internautes ont même déterré un article de fact-checking de Libération daté de novembre 2012 dans lequel le quotidien de gauche raillait "la droite [qui] part en live" en annonçant la disparition des termes "père" et "mère".
Quand la droite fantasmait le code civil
Une posture revancharde qui part un peu vite en besogne. En 2012, les chefs de file de l'opposition au projet de loi mariage pour tous (beaucoup s'y sont ralliés aujourd'hui) s'étaient en effet indignés que l'ouverture du droit à l'adoption par les couples homosexuels puisse se traduire par la disparition des termes "père" et "mère". Si certains, comme Marine Le Pen, évoquaient déjà les formulaires scolaires, l'argument visait surtout le code civil, qui se retrouvait sensiblement réécrit par la loi Taubira.
"Pour régler quelques dizaines de milliers de cas, le gouvernement, sans aucune concertation, est en train de rayer du code civil le terme de père et de mère pour le remplacer par parent A et parent B", s'indignait notamment le chef de file de l'UMP de l'époque, Jean-François Copé.
Or comme le précisait bien Libération en 2012, rien dans la loi Taubira ne prévoyait l'inscription du vocable "'parent 1 et 2" dans le code civil, le texte se contentant de préciser que, lorsque cela s'avérait nécessaire, les mots "père" et "mère" étaient remplacés par le mot "parents", et les mots "mari et femme" par le mot "époux". Le texte de loi ne prévoyait par ailleurs aucune obligation administrative visant à inscrire cette terminologie numérotée dans des formulaires.
En 2012, cette qualification renvoyait donc bien à un "fantasme", exploité d'ailleurs comme un argument politique à l'intérieur et en dehors de l'hémicycle pour mobiliser les adversaires du mariage pour tous. À l'époque, cet argument fallacieux n'était d'ailleurs pas le plus outrancier, certains députés de l'opposition de droite et d'extrême droite n'hésitant pas à mettre en garde contre un projet de loi ouvrant la voie à la création d'"enfants Playmobil" ou à la transformation de la France en "Las Vegas du mariage gay" (voir ci-dessous notre vidéo de l'époque). Une apocalypse civilisationnelle que l'on attend toujours.
La "hiérarchie" parentale, un débat en cours
Six ans plus tard, le "fantasme" tant redouté du "parent 1 et 2" est néanmoins en passe de se réaliser. Mais là encore, rien dans la loi Taubira n'oblige les députés de la majorité à se prononcer sur cette question. Le gouvernement actuel s'y est d'ailleurs opposé (en vain) en rappelant que les questions de formulation de l'administration scolaire ne relèvent pas du domaine de la loi.
"On a des familles qui se retrouvent face à des cases figées dans des modèles sociaux et familiaux un peu dépassés. Aujourd'hui, personne ne devrait se sentir exclus par des schémas de pensée un peu arriérés. Pour nous, cet article est une mesure d'égalité sociale", a plaidé dans l'hémicycle la députée Jennifer de Temmerman (LREM) pour justifier cet amendement.
Problème: cet amendement offre une solution peu satisfaisante au débat sur la qualification de la diversité des structures familiales (à l'école comme ailleurs), et ce y compris chez les partisans d'une égalité entre toutes les familles. Essentiellement parce que cette qualification induit de fait une hiérarchie entre les responsables légaux des enfants, hiérarchie contraire à l'ambition égalitaire portée par l'amendement voté mardi.
"Moi même j'ai dû faire remplir des formulaires avec écrit parent 1, parent 2. Et les couples père-mère me disaient: 'Et moi je mets quoi? C'est qui le parent1? Moi je ne suis pas plus important que l'autre.' Donc la situation se pose dans les deux cas", a plaidé dans l'hémicycle la députée LREM Agnès Thill, ancienne directrice d'école primaire et très engagée contre la PMA (ce qui lui vaut d'ailleurs des inimitiés au sein de son propre parti).
Pour les administrations, la difficulté à trouver une formulation adéquate se double parfois de contraintes techniques (manque de place, nécessité de préciser le genre des parents). Le très sérieux Institut national des statistiques et des études économiques (Insee) a dû répondre aux critiques des associations LGBTQ en raison d'un formulaire de recensement demandant aux couples homoparentaux de se déclarer comme père ou mère "quel que soit leur sexe".
"Il n'existe pas de solutions satisfaisantes. Nous avions le choix entre père et mère ou parent 1, parent 2. Or, beaucoup de parents ne souhaitent pas être désignés ainsi. De plus, parent 1 et parent 2 introduit une hiérarchisation. Qui mettre en numéro 1? En numéro 2? Nous avons donc choisi père et mère", s'est expliqué le responsable des enquêtes de recensement à l'Insee Lionel Espinasse dans Le Parisien.
Mettre la Manif pour tous et les pro-mariage gay d'accord
Pour l'Association de défense des familles homoparentales (ADFH), l'initiative des députés LREM est certes louable mais elle ne constitue pas une réponse satisfaisante. "Moi, j'entends les arguments des uns et des autres qui disent qu'ils ne veulent pas 'dégenrer' la parentalité", plaide son président et cofondateur Alexandre Urwicz en rappelant que son association a depuis longtemps proposé une option alternative susceptible de satisfaire tout le monde.
Sur sa page Facebook et sur Twitter, l'ADFH préconise de laisser le choix à chacun des deux parents de remplir une case où l'on peut cocher "père" ou mère", voire d'y adjoindre une troisième case pour les "titulaires de l'autorité parentale". Une formule qui "n'introduit pas de hiérarchie parentale et qui n'enlève aucun titre à personne".
De fait, cette présentation permettrait de mettre tout le monde d'accord, y compris la Manif pour tous et les partisans d'une reconnaissance de toutes les familles. "Nous sommes pour l'égalité des droits, pas pour enlever des droits aux autres", rappelle Alexandre Urwicz. Une troisième voie qui pourrait trouver des partisans lors de l'examen du projet de loi par le Sénat.
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