3 questions à Gaëlle des OUT'rageantEs, co-créatrice du jeu de société « À Jeu Égal »

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« L'enjeu n'est pas de gagner, mais d'ouvrir la discussion, de montrer quelles difficultés les personnes LGBT+ peuvent rencontrer. »

Le jeu de société "A jeu égal - OUT'rageantes

En créant À Jeu Égal, l’association OUT’rageantEs basée à Niort, veut aborder différemment les questions de discriminations qui touchent les personnes LGBT+. Grâce à ce jeu de plateau aux allures de bon vieux Monopoly, les militantes ouvrent le débat et décloisonnent les idées reçues pour une meilleure compréhension des questions qui touchent les personnes LGBT+… Explications avec Gaëlle qui milite à l’association OUT’rageantEs.

Komitid : Pourquoi avoir créé ce jeu ?

Gaëlle : On intervient en milieu scolaire depuis notre création en 2013. On tournait un peu en rond avec les mêmes outils, alors on s’est dit qu’on avait besoin de quelque chose de nouveau. Comme on intervient avec des jeunes aussi en dehors des lycées, qu’on a aussi des familles qui viennent nous voir, on a réfléchi à un jeu. À Jeu Égal, c’est un jeu de société sur la base du Monopoly, où on répond à des questions et où on gagne des petits cubes. Chaque côté du plateau a une couleur : une représente la vie familiale, une représente la vie professionnelle, une représente la vie quotidienne, et une représente la santé.

L’idée est d’avoir les quatre cubes des quatre couleurs à la fin du jeu, même si l’enjeu n’est pas de gagner, mais d’ouvrir la discussion sur les différentes thématiques qu’on aborde. Les personnes qui jouent au jeu incarnent un personnage LGBT. Elles ont des cartes sur la biographie de leur personnage, qui peut être un gay, une lesbienne, qui peut être trans, agenre… Il y a un côté jeu de rôle où des personnes non concernées incarnent des personnages LGBT+, se mettent dans leur peau et voient toutes les discriminations qu’elles peuvent subir au quotidien dans ces différents temps. C’est un jeu qui est adaptable en fonction des publics, de par leurs connaissances des sujets et de leur âge.

On a essayé que ce soit un spectre assez large avec des personnages qui vivent en province ou dans des villes plus grandes, avec des projets familiaux ou non, des projets de PMA, de GPA… afin que toutes les questions en rapport avec les problématiques LGBT du moment puissent être abordées. L’idée est de montrer quelles difficultés elles peuvent rencontrer : pour une personne trans, ça peut être retire un colis à la poste, ça peut être l’inscription à la faculté. Des cas très pratiques qui font partie du quotidien des personnes LGBT+.

Quels retours avez-vous eu autour de À Jeu Égal ?

Aujourd’hui, le jeu est encore en prototype. On doit le roder, voir si on doit l’améliorer et l’ajuster. Par exemple, la notion de « cisgenre » est encore très compliquée pour beaucoup, même si pour nous c’est primordial de le mentionner. Sur l’expérience qu’on a depuis 6-8 mois, on a déjà des retours hypers positifs de personnes concernées, qui le trouvent super, parce que pour elles et eux c’est un outil qui parle de leur quotidien. Les personnes non concernées sont surprises de voir des choses auxquelles elles ne pensaient pas du tout, c’est aussi plutôt positif. On peut expliquer des choses sur la PMA et la GPA par exemple, alors qu’il y a des contre-vérités et des fake news qui circulent.

« Les personnes non concernées sont surprises de voir des choses auxquelles elles ne pensaient pas du tout »

Ce qui est intéressant c’est que le but n’est pas de gagner, alors parfois on a des débats qui durent plusieurs minutes sur un sujet. On travaille beaucoup avec le Planning Familial qui a de bons retours et qui veut le faire tourner sur leur plateforme une fois qu’il sera réellement édité. Le seul inconvénient, c’est qu’il faut une personne qui soit en capacité de l’animer à chaque fois, ça reste un outil d’animation. On ne le trouvera chez Joué Club pour jouer en famille le soir, ce n’est pas un jeu autonome. Ce serait bien que des partenaires institutionnels puissent s’en saisir, comme l’Éducation nationale par exemple. On a rencontré le directeur académique des Deux-Sèvres, ainsi que la référente des infirmières du rectorat pour leur présenter le jeu.

Quand on est sollicitées dans des établissements par des professeurs ou des infirmières, c’est principalement sur les questions d’homophobie ou de transphobie. On n’aborde pas le jeu de but en blanc, on prend d’abord la température pour voir le niveau de stéréotypes et de préjugés dans la classe. On préfère ne pas se fier à ce que les adultes nous ont dit, mais plutôt aux retours des jeunes eux-mêmes.

« À Jeu égal »

Justement, vous intervenez dans les écoles, comment percevez-vous les dernières annonces en matière de lutte contre les discriminations en milieu scolaire ?

Pour la lutte contre les LGBTphobies à l’école, on a des effets d’annonce de l’Éducation nationale, comme récemment avec un nouveau plan, mais il ne se passe rien de plus. Je travaille dans un lycée depuis 12 ans. On fait des plans de communication avec des petits films, des petits courts métrages qu’on voit tous les ans. Pour des enseignants qui n’ont pas les outils nécessaires, ça peut être intéressant. Malgré tout, un enseignant mal à l’aise avec le sujet et qui a l’impression qu’il n’est pas concerné, peut avoir du mal avec ce genre de choses.

« Le militantisme, ce n’est pas des plans avec des grandes annonces et des affiches, c’est quand un jeune dit “pédé”, aller lui parler, engager le dialogue. »

Pour moi, ça manque aussi de ressources humaines, de personnes comme nous dans les associations, qui maitrisent le sujet. Aujourd’hui j’ai repris un lycéen qui venait de dire « oh les pédés ». Il ne voyait pas du tout où était le problème, c’était comme s’il disait « connard » ! Il ne comprenait pas pourquoi je l’interpellais.

Le militantisme, ce n’est pas des plans avec des grandes annonces et des affiches, c’est quand un jeune dit « pédé », aller lui parler, engager le dialogue. C’est des petits trucs qu’on essaie de faire à notre niveau. On est de plus en plus sollicitées par des infirmières, par des chefs d’établissements sur des questions de transphobie. Aujourd’hui, les questions d’homophobie existent toujours mais c’est vrai qu’on a plus de jeunes trans qui en parlent et là on sent le désert complet au niveau des connaissances. C’est un vide intersidéral. Les personnes de l’Éducation nationale sont démunies pour répondre à ces questions.

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