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coming outOn a rencontré Artem, le jeune gay russe du film "Coming-out"

Par Marion Chatelin le 30/04/2019
Coming-out

[PREMIUM] Pour son documentaire, Denis Parrot a rassemblé des témoignages précieux : ceux de jeunes LGBT+ filmant leur coming-out à leurs proches. Des vidéos bouleversantes qui nous font vivre au plus près le basculement aussi bien intime que social qu'est ce moment charnière. TÊTU a eu le plaisir de rencontrer l'un des protagonistes, un jeune exilé russe, Artem Kolesov.

Sa mère l’a décrit comme « un pêcheur », « un dépravé », qui s’est laissé aller aux tentations les plus impures. Quelqu’un qui ne peut pas être « comme ça ». Surtout, qui « ne doit pas être comme ça ». Mais, en face de nous, pourtant, on ne voit rien d'autre qu'un jeune homme, de tout juste 25 ans. La poignée de main est timide. Fraîchement rasé, les Converse bien lacées, dont la couleur s’accorde parfaitement avec ses yeux hazel. Artem a le regard profond. Presque envoûtant. Installé dans un fauteuil du bar de son hôtel dans le 10e arrondissement de Paris, il nous parle de son coming-out. « J’aime ma mère », dit-il calmement au détour d’une phrase.

Artem revient de loin. C’est un rescapé. Aujourd’hui, celle qui l’a élevé dans la foi chrétienne la plus stricte, et inscrit à ses premiers cours de violon - il avait seulement six ans - le considère comme mort. « C’est plus facile à gérer pour elle comme ça, plutôt que de me savoir en vie et homosexuel. » Silence. Le temps d’encaisser ces mots. Et puis la vie nous rattrape. Il faut dire qu’une fois sa timidité évaporée, son désir de vivre est contagieux. 

Gueule d’ange

On remarque tout de suite une bague argentée à l’annulaire gauche. Artem nous confie s’être marié à Los Angeles à un Américain d’origine mexicaine. À l’évocation de son mari, ses yeux s’écarquillent. Un large sourire se dessine sur son visage. « Je ne pensais pas dire ça un jour, mais je n’aurais pas pu rêver avoir un meilleur mari. » 

On a rencontré Artem, le jeune gay russe du film "Coming-out"
Edouardo (à gauche), Artem (à droite) le jour de leur mariage. Crédit photo : Artem Kolesov

Mais tout n’a pas été aussi simple pour lui. Et si cette gueule d’ange apparait dans « Coming-out » le documentaire de Denis Parrot, c’est grâce à une vidéo qu’il a publiée sur sa chaîne YouTube il y a deux ans. Elle totalise aujourd’hui 145.000 vues. De la découverte de son attirance pour les personnes de même sexe - il avait cinq ans - jusqu’à son acceptation, il y raconte sans fard son expérience. D’abord très douloureuse. Ce violoniste professionnel a tenté cinq fois de suicider. « J’en étais arrivé à un point où j’étais dégoûté d’être qui je suis », nous lâche-t-il les mains croisées.

Double peine

Elevé dans une famille chrétienne Pentecôtiste russe à l’est de Moscou, son père - un officier de la marine reconverti chez Gazprom - et sa mère ont toujours été profondément investis dans la paroisse locale.

« À l’époque, je me disais que Dieu préférerait que je sois un homme mort, plutôt qu’en vie. Cela avait du sens dans mon esprit. »

En 2010, il émigre chez son frère au Canada après avoir décroché une bourse pour étudier le violon. Et selon Artem, l’homophobie coule dans ses veines. « Mon frère disait qu’il faudrait mettre tous les gays sur une île et la bombarder. Il répétait sans cesse que si quelqu’un de sa famille était gay, il le tuerait de ses propres mains. » Un jour, il ouvre le journal intime de son petit-frère et comprend qu’il est homosexuel. Un tremblement de terre pour le jeune homme, qui voit s’abattre sur lui une double peine. « La société russe est homophobe. Les gays ne sont jamais représentés de manière positive. À cela s’ajoute l’éducation pentecôtiste. Pour mon frère, je concentre tout ce que ma famille déteste. » Son frère l’inscrit en 'thérapie de conversion'. Mais Artem fera en sorte de ne jamais aller « se faire soigner ». 

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« Vivre en étant moi-même »

Le jeune homme, féru d’histoire, travaille sur lui-même. Sur sa foi - il est désormais agnostique - son rapport à son orientation sexuelle, mais aussi sur son histoire familiale. En 2015, il émigre à Chicago pour le violon, encore et toujours. Il s’accepte de plus en plus et décide de faire son coming-out à sa mère en 2017. Une conversation téléphonique qui a duré quatre heures. La découverte de son homosexualité, ses tentatives de suicide, sa lutte permanente contre la personne qu'il est... Artem lui explique tout.

Deux semaines plus tard, sa mère le rappelle. « J’ai tout de suite senti la frustration dans sa voix. Elle me disait que j’irai en enfer. C’était totalement contre-productif. Alors je lui ai dit de ne plus me contacter tant qu’elle ne sera pas prête à m’écouter. » Cela fait désormais deux ans qu’Artem n’a plus aucun contact avec sa famille.

« C’était en train d’affecter ma santé mentale. C’est l’une des meilleures décisions que j’aie pu prendre dans ma vie. »

Son sourire semble mêler la joie d’avoir fait ce qu’il fallait, à la tristesse du vide laissé par sa famille, qu'il doit combler. Mais aujourd’hui, Artem est sûr d’avoir été en accord avec ses convictions. « J’aurais pu ne pas faire mon coming-out mais je ne veux pas cacher ce que je suis. Je ne me sens pas à l'aise avec l'idée de mentir à ma famille. La vie est courte et je veux la vivre en étant moi-même. »

Militant au grand coeur 

Un jour, Artem apprend qu’un adolescent russe âgé de 17 ans s’est fait arrêter, et a atterri dans les geôles russes. La raison ? Il a rejoint un groupe de soutien en ligne pour les jeunes LGBT+. Un « électrochoc » pour le violoniste, qui décide de parler. « J’étais tellement frustré de ce que peuvent imaginer les gens sur le fait d’être LGBT+ ! Je me suis dit que ça pourrait être une bonne vidéo d’éducation. Montrer que cela ne change rien à notre vie. Je suis toujours moi, Artem. »

Sa vidéo cartonne. Et Artem reçoit des messages de jeunes LGBT+ de partout à travers le monde. Des russes, aussi. « Certains me demandent comment ils peuvent s’échapper. D’autres me disent que leurs parents abusent d’eux. Toutes et tous se sentent impuissant.e.s », soupire-t-il. Alors il les renvoie vers des « contacts sûrs » au sein d’associations comme le Russian LGBT Network. D’autres - il nous parle longuement d’un jeune homme brésilien - ont des pensées suicidaires. « Je lui ai répondu qu’il ne pouvait pas le faire avant d’avoir assisté à mon mariage. On blaguait beaucoup là-dessus, ça lui remontait le moral », explique-t-il.

Le jeune homme brésilien n’est pas présent le jour de son mariage avec Eduardo. Mais Artem reçoit un message. « Il m’a écrit pour me dire qu’il était présent mentalement. Que son esprit était avec nous. Ça m’a énormément touché », explique-t-il. Pour la première fois, ses yeux s’embuent de larmes.

Une vie surréaliste

Aujourd’hui, Artem vit une vie paisible. Il habite avec son mari - et leur chien ! - à Los Angeles. Le couple a des projets. À la question de savoir si, rétrospectivement, il aurait cru cela possible, il répond du tac au tac :

« C’est surréel. Aujourd’hui, je promène mon chien et mes voisins me demandent comment va mon mari. C’est tellement banal, et pour moi si important. Je voudrais que tous les LGBT du monde puissent avoir cette expérience. »

Bénévole dans une association d’aide aux réfugiés LGBT+, Artem se considère aujourd’hui comme un « privilégié ». Celui qui ne s’est jamais défini comme un activiste, repense souvent à ce que lui disaient ses professeurs de violon en Russie pour qu’il améliore son jeu : « Il faut que tu sortes des sentiers battus ». La phrase était prémonitoire.

Crédit photo : Marion Chatelin / TÊTU.