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Société

Apparemment, Tinder ne propose que des plans à trois aux filles queers

Entre les mecs qui trafiquent leurs profils et les couples hétéros venus pimenter leur vie sexuelle, l’appli de dating réserve une bonne dose de sueurs froides et de fétichisation.
Tinder plans à trois pour les queers
©Joe Raedle / AFP

Où rencontrer des filles lesbiennes ? Il y a bien des soirées, comme la légendaire Wet for me, pilotée par les Barbi(e)turix. Quelques bars et boîtes dans le Marais. Mais par timidité, manque de thune ou de temps, beaucoup de filles queers se connectent plutôt aux applis. C’est un moyen facile d’entrer en contact avec des filles lesbiennes, qu’on ne rencontre pas forcément au boulot ou dans ses cercles de potes hétéros. Exit Hornet ou Grindr, qui n’existent que pour les mecs queers. On se retrouve sur Okcupid (un peu), et sur Tinder (beaucoup). Sur le papier, tout est à la carte : on peut cocher le(s) genre(s) qu’on recherche, indiquer son périmètre géographique et la machine se lance.

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Mais voilà, l’algorithme de Tinder a ses failles. Et pas juste un petit bug de temps en temps. Très souvent, l’appli présente des profils de mecs hétéros. Cette semaine, Ornella, 24 ans, a
même reçu une « pépite ». Tinder lui a suggéré un match avec Julien, un « gentleman qui recherche fille ou groupe de filles, lesbiennes, hétéros ou bies, jolies et dans l’idéal grandes ». Une proposition libertine, symptomatique du grand marché aux meufs queers que représente Tinder. La légende dit que les gars hétéros qui apparaissent s’inscriraient comme femmes pour apparaître dans les suggestions des femmes bies ou lesbiennes. Du côté de Tinder, on botte en touche sur les raisons qui expliqueraient cette apparente prévalence. L’algorithme a semble-t-il ses mystères.

Mais ce qui frappe d’abord les filles queers qui sont sur l’appli, c’est l’abondance de couples hétéros à la recherche d’une expérience avec une fille. « Sans plaisanter, 1/3 des réponses que je recevais venaient de nanas qui m'annonçaient cash qu'elles avaient un mec, qu'ils étaient super amoureux l'un de l'autre mais qu'ils voulaient essayer avec une nana », raconte Camille, 26 ans, qui a pas mal fréquenté l’appli avant de rencontrer sa copine.

Pour les couples hétéros, Tinder est un eldorado. Entre 20 et 30 ans, ils ne se voient pas forcément traîner sur des sites libertins ou des clubs échangistes. Ni placer au beau milieu d’un apéro qu’ils cherchent une fille pour faire l’amour à trois. Sur Tinder, par contre, ils peuvent être explicites. « C’est de la consommation, du one shot. On y va pour des rencontres très majoritairement sexuelles et décomplexées », observe Pascal Lardellier, chercheur spécialiste des usages du numérique.

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« Je dois t’avouer que je suis en couple, et que je recrute pour mon copain, et pas moi seule… Tu veux voir sa photo ? »

Les couples ont un fonctionnement bien rodé pour faire leur ronde amoureuse. Le plus souvent, ils se créent un profil à deux et publient des photos de l’un et de l’autre. Parfois à visage découvert – mais très souvent c’est semi-anonyme : on voit leurs corps – un torse par ci, une poitrine par là, mais pas leurs têtes. Certains se la jouent vraiment discrets et utilisent des images d’illustrations très suggestives, façon film érotique RTL9. Dans ce cas, la demande est assez claire. « Ça m’arrive de temps en temps de tomber sur ça quand je ne fais pas gaffe et que je ne regarde pas les descriptions », raconte Héloïse, 24 ans, qui fréquente actuellement l’appli. « En général, la première photo, c’est une nana seule. Ils ne sont pas couillons, on tombe dans le panneau », poursuit-elle avec humour.

À ce mode transparent de séduction, s’ajoutent des méthodes moins réglos, où la fille joue les rabatteuses à filles queers. « La pire situation, c’est quand j’étais déjà en longue discussion avec une nana, et tout d’un coup, une fois qu’on avait bien fait connaissance, elle me disait : “Je dois t’avouer que je suis en couple, et que je recrute pour mon copain, et pas moi seule… Tu veux voir sa photo ?“ », raconte Camille. Parfois, l’annonce se fait aussi plus en douceur. À 21 ans, Audrey* est allée sur Tinder à la recherche d’une relation durable. « Les filles avec qui j’ai matché qui étaient en couple ne l’avaient pas du tout précisé dans leur bio, et me l’ont dit au bout d’un jour de discussion, raconte-t-elle. Je n’ai pas de problème avec les personnes qui recherchent ça, chacun son truc. Mais je trouve simplement qu’il est plus honnête et correct de le préciser dès le départ. » Comme Audrey et Camille, beaucoup se sentent un peu flouées en découvrant l'arnaque. Et choisissent, selon l’humeur, la pédagogie ou le coup de gueule.

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Il faut dire que certaines filles ne réalisent pas vraiment que leur démarche peut-être maladroite, ou s’apparenter à une forme d’instrumentalisation sexuelle. « Il y en a une avec qui ça s’est très mal passé. Elle m’a dit qu’elle voulait “faire un cadeau à son mec“ et elle ne comprenait pas que je râle. J’ai essayé de lui expliquer qu’une fille ce n’était pas un parfum ou une montre, ce n’est pas un produit qu’on offre elle ne comprenait pas en quoi ça m’offensait », raconte Léa*, 20 ans.

Pour couper court à ces propositions, Camille a décidé un jour d’annoncer la couleur sur son profil, en rajoutant une mention : « JE NE SUIS PAS UN JOUET-TEST POUR COUPLES, MERCI ». La méthode, radicale, n’a pas forcément fonctionné. « Certains faisaient mine de ne pas avoir lu et forçaient quand même ». Mais elle a quand même pu faire un peu de tri. D’autres, comme Héloïse, l’acceptent comme faisant partie du jeu. « C’est relativement facile de filtrer, ça ne me gêne pas des masses. Soit je ne réponds pas, soit je dis juste « euh non merci ». Mais Tinder est-il vraiment au courant de cette profusion de propositions de plans à trois ? Des États-Unis, le porte-parole est très clair : « La création d’un compte commun avec un ami ou une autre personne, est contraire aux conditions d’utilisations de l’application ». La compagnie renvoie ainsi à la responsabilité des utilisatrices, qui peuvent « signaler le viol des conditions d’utilisation » en cliquant sur le profil. Elle peut alors le bannir.

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« Là où ça coince, c’est que ça ne nourrit pas nos fantasmes à nous, ça ne nous correspond pas. C’est la transposition d’une pornographie qui n’a pas évolué » – Gouinette Parle trop

Au-delà de leur présence massive sur Tinder, les propositions de plans à trois sont souvent reliées à une imagerie très hétérosexuelle des femmes lesbiennes, héritée des codes du porno mainstream. C’était d’ailleurs le premier mot recherché en 2018 sur les sites de streaming. « Les filles pensent faire plaisir à leur copain en réalisant un fantasme alors que ça participe juste à la sexualisation des filles LBT », estime Léa. Devenue mascotte de l’Instagram lesbien, Gouinette Parle trop voit dans cette tendance la mutation 2.0 d’un vieux phénomène : « Pour les plus vieilles d’entre nous qui ont connu le Pulp et les clubs de nanas, ça existait déjà à ce moment-là. Des couples hétéros venaient faire leur marché chez les filles. »

Mais avec Tinder, le fantasme du triolisme est plus facile d’accès. De la discussion au lit au changement de paramétrage sur l’appli, il n’y a qu’un petit pas qu’il n’est pas trop compliqué de franchir . « Là où ça coince, c’est que ça ne nourrit pas nos fantasmes à nous, ça ne nous correspond pas. C’est la transposition d’une pornographie qui n’a pas évolué », remarque Gouinette.

On y trouve des annonces comme celle-ci : « Couple joueur recherche meuf détente pour s’amuser au lit », qui tend à considérer les filles queers comme des accessoires sexuels pour pimenter la vie de couple. Et en même temps, on trouve très peu de propositions ouvertes à des partenaires masculins, ou dérivant un peu des normes hommes/femmes traditionnelles. Ce qui est recherché souvent, ce n’est pas vraiment la fille butch ou androgyne, mais la fille qui incarne un fantasme de féminité, dans des normes sexistes et hétérocentrées. Un vieil imaginaire sexuel, qui ne parle pas forcément aux femmes queers.

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Or souvent, les couples n’hésitent pas à proposer des plans à trois à des filles qui indiquent explicitement sur leur profil qu’elles recherchent des partenaires femmes. Dans ce cas précis, ils font mine de ne pas comprendre leurs désirs – ou passent au-dessus, sans doute à cause de représentations faussées sur les sexualités queers. « Les hétéros ont tendance à penser que les LGBTQI+ ont une sexualité hyperexubérante et cheloue et qu'on est capable de tout et n'importe quoi. Nos sentiments sont complètement balayés », lance Camille avec colère. Ils pourraient pourtant gagner du temps, et éviter de blesser inutilement des meufs queers, seulement à la recherche de relations sérieuses avec des filles, par exemple. « Dans l’absolu, je comprends leur démarche. C’est juste que ça ne m’intéresse pas et je préférerais que ça soit des couples de meufs qui me proposent ça », dit Héloïse, placide.

« Il y a une image figée de la fille queer qui est disponible, dont le corps est à disposition », regrette Gouinette. Si des femmes queers peuvent effectivement avoir une approche sex-positive, et être ouverte à un grand nombre d’expériences, ce n’est pas forcément toujours le cas – et ça ne signifie pas forcément qu’un plan à trois dans ces conditions les excite. Ce n’est pas parce qu’une meuf est bie qu’elle fantasme sur cette configuration, ni qu’elle se sent flattée par la proposition. Léa résume l’affaire avec une métaphore culinaire : « Ce n’est pas parce qu’on aime la raclette et le Nutella, qu’on aime la raclette au Nutella. »

Faudrait-il créer des profils « couple » sur Tinder pour officialiser la démarche ? Rendre invisible ce type de propositions ? Du côté du siège, on se dit « à l’écoute des remontées des utilisatrices », mais on refuse de commenter les nouvelles fonctionnalités qui pourraient être apportées. Tinder pourrait prendre exemple sur Okcupid, son concurrent américain, bien davantage gay-friendly. Depuis 2011, soit près de 10 ans, le site de rencontre propose un mode « incognito » qui permet de se rendre invisible auprès des personnes hétéros de son réseau. Un fonctionnement alternatif, qui pourrait permettre aux femmes lesbiennes de vraiment choisir à qui elles apparaissent. Et se sentir alors plus libres d’exprimer leurs désirs.

*Le prénom a été modifié.

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