« Un adolescent à New York », plongée dans les jeunes années de l’artiste culte africain américain Jean-Michel Basquiat

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Premier peintre africain américain reconnu par le monde de l’art, Jean-Michel Basquiat revit dans un documentaire intime réalisé par une de ses proches, Sara Driver. Elle a confié à Komitid comment elle avait connu l'artiste, mort d'une overdose en 1988.

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Jean-Michel Basquiat a été le premier artiste africain américain reconnu par le monde de l'art - Bobby Grossman / Le Pacte

Comme la plupart de ses ami.e.s, elle l’appelait « Jean ». Sara Driver, réalisatrice et collaboratrice de longue date de Jim Jarmusch a fréquenté l’artiste Jean-Michel Basquiat lorsqu’il a commencé à approcher le milieu artistique underground new-yorkais au sortir de l’adolescence. Komitid l’a rencontrée pour évoquer le documentaire qu’elle a réalisé sur les jeunes années de l’artiste fait de souvenirs et de témoignages. Plongée dans le New York chaotique et électrisant du tout début des années 80.

1977. New York est une ville à l’abandon, sale, pauvre et proche du chaos social, c’est à ce moment-là que Jean-Michel Basquiat et ses potes Al Diaz et Shannon Dawson commencent à signer leurs graffitis par la « trademark » qu’ils ont inventée, SAMO diminutif de « Same old shit » (« Même vieille merde »). Et c’est là, profitant d’une hype ultra-rapide sur ces tags signés SAMO que Jean-Michel Basquiat commence à fréquenter les cercles artistiques du sud de Manhattan, il faut dire que le trio n’exerçait son art que dans la proximité directe des galeries d’art et des lieux festifs. Le sens du marketing déjà.

« Je faisais partie de la scène « downtown » de New York à la fin des années 70 et Jean avait à peine 18 ans », précise la réalisatrice Sara Driver. « On ne savait pas encore qu’il était SAMO ! Je n’avais jamais pensé à faire un film sur lui. Mon amie Alexis Adler l’a hébergé en 1979-80, Jean a peint le miroir de sa chambre, sa porte de salle de bains et même son réfrigérateur. En 2012, il y a eu une tempête à New York en novembre 2012 qui a inondé toute une partie du Lower East Side. Alexis a été terrifiée car elle s’est souvenue que les œuvres de Jean étaient dans le coffre d’une banque de ce quartier. Et c’est là qu’elle a redécouvert de nombreuses photos de l’époque ».

« Les rues étaient vides et il les a remplies de fleurs »

Le documentaire parvient à saisir avec force, via des images inédites et des témoignages de ses ami-e-s de l’époque, à la fois la croyance de Basquiat en son destin d’artiste, mais aussi ses inspirations, sa ligne politique mais également la façon dont la ville de New York elle-même a pu  enfanté cet électron libre qui va révolutionner le monde de l’art. Sara Driver raconte : « Un film sur Basquiat s’appelait The Radiant Child. Le titre dit tout, il était rayonnant ! Ce n’était pas un artiste de graffitis mais un poète de rue. Les rues étaient vides et il les a remplies de fleurs. Il dormait n’importe où. Nous étions comme un gang, tout le monde se soutenait. L’idée du film c’est aussi de faire un portrait de la ville de New York pendant cette période très particulière de bascule entre les années 70 et les années 80 sachant qu’on ne peut pas évoquer le travail d’un artiste, et particulièrement celui de Basquiat sans évoquer l’univers qui l’a vu et fait grandir, son environnement, les personnes qu’il fréquentait. Cela m’a pris quatre ans pour faire le film et pour le financer, avec une petite équipe et une caméra. C’était une façon merveilleuse de faire un film ».

L’énergie du désespoir

Le film permet de renouer avec l’énergie du désespoir qui anime la ville, ses lieux d’exposition et de fête, comme le Mudd Club ou le Club 57. L’herbe, la coke, le squat font partie du quotidien de Basquiat comme l’art urbain, celui qui envahit les rues grâce à lui et à Keith Haring, parallèlement à l’émergence d’une scène hip-hop. « Je pense qu’il n’a jamais arrêté de travailler », se souvient Sara Driver. «  Il squattait chez les gens, peignait les murs quelques jours et repartait. Il ne pouvait s’empêcher d’écrire, de dessiner dès qu’il avait un papier et un crayon. Certains ont tout de suite compris qu’il était un grand artiste. J’ai découvert la façon dont il posait les mots sur le papier, c’était un poète de 18 ans qui savait exactement ce qu’il faisait. Cela a été une révélation pour moi, de voir tout ce qu’il inventait juste par le biais d’un mot écrit sur une feuille, de la façon dont il jouait avec cela ».

Influencé par la profondeur et la liberté des textes de William Burroughs, l’écrivain adulé par la contre-culture, Basquiat est aussi fasciné par l’intelligence du marketing à la Andy Warhol, le maître du pop art, qu’il rencontrera en 1980 alors qu’il est déjà une (petite) star du New York underground. Comme ses idoles dans une ville qui font de l’interdisciplinarité leur richesse créative, il va multiplier les supports d’expression mêlant une ligne poético-politique dure et un sens aigu du business : collages, ligne de vêtements peints (Man Made), musique, danse, etc.

« Je pense qu’il était bisexuel mais il n’a jamais évoqué cela »

À 20 ans, il est l’une des étoiles montantes de l’art, il est respecté, et on ne compte plus le nombre de ses conquêtes, essentiellement féminines mais pas que, comme l’affirme Sara Driver : « Je pense qu’il était bisexuel mais il n’a jamais évoqué cela. L’époque était à la découverte et à l’expérimentation sexuelle. Il aimait beaucoup les filles mais était très ouvert à d’autres directions ! C’était encore un adolescent et il était extrêmement difficile de mettre une étiquette sur les gens à cette époque-là ! ». En 1981, fin de cette période de jeunesse traitée par le documentaire, tout est en place pour faire de Basquiat un artiste qui va compter, un des pionniers de l’art urbain underground. Il deviendra quelques années plus tard le premier peintre africain américain reconnu par le monde de l’art. L’artiste prolifique mourra d’une overdose d’héroïne en 1988, en pleine ascension, laissant derrière lui un grand nombre d’œuvres, un peu partout dans le monde et surtout dans sa ville. Selon Sara Driver, « il y a toujours des rumeurs sur des œuvres qui seraient encore disséminées dans New York, j’ai des ami.e.s qui ont des petites pièces d’art qu’il leur a offert mais qui n’ont jamais été authentifiées et qui ne le seront probablement jamais. Les archives découvertes chez Alexis, elles, sont aujourd’hui exposées à travers le monde ».

Son art, à la croisée des influences qui ont nourri cette décade (1978-1988) reste unique par sa façon de mixer une prise de parole politique radicale, une esthétique art brut et un imaginaire sans borne. Pour Sara Driver, « son art est toujours d’actualité notamment quand il évoque les violences policières, et ces peintures sont toujours aussi énergisantes, vibrantes. Ce film, ces témoignages et ces images, c’est ma façon à moi de lui rendre hommage ».

 

Basquiat, un adolescent à New York
Réalisation : Sara Driver – 1h18
Documentaire en salles le 18 décembre 2018