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Bernard Bousset. Originaire de Dax dans son appartement dans le Marais au dessus du bar dont il est le propriétaire. Le 8 decembre 2021.
EDOUARD CAUPEIL POUR « LE MONDE »

Les 40 ans de l’abrogation du délit d’homosexualité en France, le 4 août 1982 : « Je vais vous raconter ma vie de pédé »

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Publié le 04 août 2022 à 12h07, modifié le 05 août 2022 à 13h08 (republication de l’article du 17 janvier 2022 à 02h23)

Temps de Lecture 15 min. Read in English

Sur la sonnette, deux lettres : « BB ». Il faut écouter attentivement Bernard Bousset dérouler sa vie « bien remplie » pour comprendre le pied de nez très personnel contenu dans le choix de ces deux initiales. Simple, chaleureux, l’ancien patron de bar se cale au fond d’un des canapés de son appartement de la rue des Archives, à Paris, juste au-dessus du bar gay qu’il possède depuis 1996. « Quand il m’arrive de raconter aux jeunes que je suis passé au tribunal uniquement parce que j’ai couché, à 23 ans, avec un garçon qui en avait 18, ils me regardent comme si j’étais un dinosaure, raconte-t-il sans chichis. Ils me disent : “Mais c’est pas possible, t’as 100 ans ?” » Non, Bernard Bousset n’en a que 80, mais il a grandi loin de Paris, « à une époque où… » Il ajuste ses lunettes rondes et lisse ses cheveux gris : « Vous avez le temps ? Je vais vous raconter ma vie de pédé. »

Il naît au début de la guerre, à Dax, d’un père landais directeur d’hôtel et d’une mère basque, qu’il perd à l’âge de 12 ans. D’elle, il garde en mémoire son vélo, ses chaussures compensées en liège (ce matériau des temps de guerre), la coiffure haut perchée des élégantes de l’époque… Elle s’inquiète de sa fragilité, le gâte et le bichonne. « Elle me trouvait un peu pâle, et je me souviens qu’elle me mettait du rose aux joues avant d’aller au cinéma. » Deuil de sa mère. Chagrin à l’infini.

Lire aussi notre archive (1982) : Article réservé à nos abonnés Le dernier mot

Son père voyage trop pour s’occuper de lui et de son frère aîné, qui vient d’intégrer le séminaire. Bernard ne peut pas vivre seul à Villa Solitude, la maison familiale proche de la sous-préfecture. Les franciscains de l’école Jeanne-d’Arc de Dax acceptent de l’accueillir en dehors des heures de cours et malgré l’absence d’internat : « Par charité chrétienne, et parce que mon père faisait des chèques. » L’enfant suit la messe avec les curés dès l’aube, dîne avec eux, passe les week-ends seul en leur compagnie.

« Et c’est là qu’un jour, bah, comme on dit aujourd’hui, j’ai été violé. Lorsque mon père est venu me chercher pour les vacances, je lui ai dit : “Papa, il y a un curé, il vient la nuit dans ma cellule, il me touche, il me tripote, dans la bouche et tout” Je ne savais pas ce que c’était, je comprenais seulement que ce n’était pas naturel. En réponse, vlan, vlan, j’ai reçu deux gifles. » Double peine. « J’étais forcément un menteur, ou même un coupable. Je ne lui ai jamais pardonné. Je ne suis pas allé à son enterrement. »

« On ne parlait pas de ça »

Bernard Bousset entre dans l’adolescence au milieu des années 1950, celles du conformisme étouffant, où la morale tente de mettre un couvercle sur l’extravagance des mœurs. « Je ne savais pas ce qu’était l’homosexualité, ni même la sexualité, d’ailleurs. J’ignorais comment on faisait les enfants. La première fois où j’ai vu la télévision, c’était pour le couronnement de la reine d’Angleterre, en 1953, mais, de toute façon, on ne parlait pas de ça. J’avais conscience d’être différent, mais je ne comprenais pas. Je ne pouvais me confier à personne, puisque même mon père m’avait giflé. Les gens comme moi étaient lâchés au milieu des fauves. Ça été le début d’un calvaire qui a duré jusqu’à mes 21 ans. »

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