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Les Indiens d’Amérique avaient-ils 5 genres différents et acceptaient-ils le mariage gay ?

LGBT +dossier
Plusieurs articles font l'éloge de l'ouverture d'esprit des sociétés natives américaines sur la question du genre. Les anthropologues préconisent de faire attention à l'anachronisme consistant à interpréter avec des concepts modernes occidentaux (morale, genre, homosexualité) des réalités ethnographiques.
par Olivier Monod
publié le 16 janvier 2019 à 12h20

Question posée par Anne Libeer le 26/12/2018

Bonjour,

Nous avons reformulé votre question, qui était: «Un de mes amis Facebook a partagé une publication qui contient un texte et une photo sans citer l'origine. Je voudrais savoir d'où vient cette information et si elle est correcte.»

Parmi les affirmations de ce post Facebook, on trouve, entre autres : «Avant d'être colonisés par les Chrétiens (qui leur ont imposé leur vision binaire du genre), les Indiens d'Amérique n'avaient non pas deux genres, mais entre 3 et 5 ! Et ce, sans préjugés, car les gens n'étaient pas jugés sur leur sexualité, mais sur la façon dont ils aidaient la tribu et contribuaient au bien-être de leurs proches. Ils étaient jugés par leurs qualités et compétences. Il y avait selon eux les genres : féminin, masculin, deux-esprits féminin, deux-esprits masculin et transgenre.» Ou encore : «Ils ont célébré des mariages gays pendant des centaines d'années !»

Nous avons soumis ce texte à Laurence Hérault, professeur d'anthropologie à Aix-Marseille Université. «Au regard des sources, ce texte est assez simpliste et abusivement généralisateur. On ne peut parler d'une seule conception des personnes transgenres dans une Amérique du Nord qui comportaient plusieurs centaines de sociétés différentes au moment de la colonisation. En outre, attention aux anachronismes: difficile de célébrer des «mariages gays» quand la notion de gay ou d'homosexualité était conceptualisée de façon très différente de la nôtre dans ces sociétés», réagit-elle.

Nous avons retrouvé un article du site Positivr qui peut être la source du post Facebook dont vous nous parlez. Lui-même s'appuie sur une publication en anglais de Indian Country Today. Cette dernière est bien plus longue et plus complète que les versions françaises.

L'article précise ainsi que le terme «Deux Esprits» était un terme Ojibwe adopté en 1989 par les personnes LGBT natives américaines pour se définir eux-mêmes. Il s'agissait d'un «moyen de s'extraire d'une culture [occidentale] qui met l'accent sur la sexualité plutôt que sur la spiritualité et de se reconnecter avec leurs tribus», précise Indian Country Today. Il s'agit donc bien d'une réappropriation et d'une généralisation a posteriori d'un concept qui recouvrait diverses réalités selon qu'il s'appelait Nádleehí chez les Navajos, Winkté chez les Lakota, Hemaneh chez les Cheyennes…

Quel était ce concept ? «Le partage des tâches était très polarisé entre les sexes dans les tribus d'Indiens d'Amérique. Mais il existait des personnes qui adoptaient les attributs vestimentaires et aussi certains comportements de l'autre sexe, suivant des modalités qui variaient considérablement selon les groupes. Ces individus avaient un rôle de médiateurs entre les sexes. Ce rôle était toujours rituel, qu'il soit ponctuel ou plus permanent», éclaire Emmanuel Desveaux, directeur d'études à l'EHESS.

Ainsi, à l’instar des vestales ou des moines, ces personnes, souvent des hommes mais parfois aussi des femmes, consacrait leur vie, parfois temporairement, à cette fonction spirituelle de la société. Les premiers colons ont donc en effet été confrontés à des femmes guerrières ou à des hommes gardiens du foyer. Dire que les Indiens d’Amérique reconnaissaient 5 genres apparaît comme une réinterprétation avec des concepts modernes d’une réalité anthropologique. Mais ces sociétés faisaient une place à des personnes souhaitant vivre selon les normes du sexe qui n’était pas le leur. Ils avaient tendance à considérer ces personnes possédant «deux esprits» avec respect, ce qui apparaît en décalage avec nos sociétés modernes.

Ainsi, Russell Means, acteur (le dernier des Mohicans) et cofondateur du Mouvement pour les Indiens d'Amérique, affirmait : «Dans ma culture, nous avons des personnes qui s'habillent à moitié comme des hommes et à moitié comme des femmes. Nous les appelons Winkte. Il s'agit d'une position honorable, si vous êtes Winkte, vous êtes un être spécial et, au sein de ma nation et des peuples des plaines, nous vous considérons comme un éducateur pour les enfants et nous sommes fiers de qui vous êtes.» Cette citation est reprise dans l'article de Indian Country Today et se retrouve dans le livre Les enfants d'Harvey Milk de Andrew Reynolds, professeur de sciences politiques.

La question du mariage gay est encore un peu différente. Elle implique là encore deux notions : le mariage et l’homosexualité qui n’étaient pas nécessairement définis comme telles par les tribus autochtones.

Ceci dit, Il existait des couples réunissant un «two spirit» et un individu de son sexe biologique. De là à parler de mariage gay…

Cordialement

Edit du 5 février 2019 : modification de la citation de Laurence Hérault à sa demande.

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