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LGBTQI+« Je ne prends pas les pédés » : les LGBT au placard dans les VTC

Par Youen Tanguy le 28/02/2019
Paris : Un couple gay frappé par un chauffeur de VTC

[PREMIUM] Les personnes LGBT sont régulièrement victimes de discriminations de la part des conducteur.rice.s de véhicules de transport avec chauffeur (VTC). C’est ce que nous ont notamment raconté Loïc, Guillaume ou encore Laura. Nous avons interrogé plusieurs plateformes pour savoir ce qu’elles faisaient pour lutter contre ces comportements.

Loïc n’en revient toujours pas. En décembre dernier, le jeune homme de 20 ans commande un VTC (véhicule de transport avec chauffeur) via une application. On lui annonce alors un temps d’attente de 25 minutes. Pas très réjouissant, mais a priori rien d’anormal. C’est une fois le conducteur face à lui que la situation prend une tournure homophobe. « Il m’a dit que j’avais l’air ‘plus gay’ que sur ma photo de profil. Je n’ai pas su quoi répondre sur le coup, alors j’ai ri bêtement. Il a rétorqué 'je prends pas les pédés' avant de partir en trombe. Je suis resté abasourdi. »

L’histoire de Loïc en rappelle des dizaines d’autres, parfois plus choquantes encore. Ces derniers mois, nous avons publié plusieurs articles sur le site TÊTU concernant des violences commises par des chauffeurs VTC. Un étudiant de 23 ans s’est fait renverser une bouteille d’alcool sur lui en septembre dernier et un couple d’hommes a été violemment frappé en octobre.

« Je vais devoir vous demander de sortir »

TÊTU a recueilli d’autres témoignages similaires, dont celui de Maximilien. Il y a quelques semaines, à Paris toujours, le chauffeur qu'il avait sollicité via l'application "Marcel" n’a pas supporté de le voir embrasser son compagnon. « Si vous continuez, je vais devoir vous demander de sortir. » Pour éviter que la situation ne se tende davantage, les deux hommes ont préféré partir d’eux-mêmes. Maximilien a, dans la foulée, déposé une main courante et contacté l’application « Marcel » pour signaler ce cas.

Jointe par TÊTU, l'entreprise assure que « ce type de comportement est évidemment totalement contraire aux valeurs que nous portons (…) mais que le risque zéro n’existe pas ». Il nous certifie que le cas du jeune homme de 20 ans a été « pris très au sérieux ». « Nous avons interrogé Maximilien et le chauffeur pour obtenir leurs versions respectives de l’événement (…) et rappelé à l’ordre le chauffeur en spécifiant que la plateforme mettrait fin à sa collaboration avec lui en cas de nouvel acte de ce type. » Une version confirmée par Maximilien.

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Moqueries et questions gênantes

Les femmes sont loin d’être épargnées, notamment les lesbiennes. Laura*, 20 ans, a subi les affres d’un chauffeur il y a quelques mois dans la capitale. « Il m’a posé des questions super insistantes du genre : ‘Comment tu sais que tu es lesbienne ? T’as déjà testé avec un mec ? Tu devrais essayer quand même…’».

Léon, un jeune homme trans’ de 20 ans, a lui aussi dû supporter les remarques, pour le moins désobligeantes, d’un conducteur. « Il a passé 15 minutes à me poser des questions plutôt bizarres, en me demandant si j’étais bien un homme, sans cacher son fou rire. Il a recommencé à la fin du trajet ! C’était un peu trop pour moi. J'ai commencé à faire mine d'ouvrir ma braguette en lui demandant s'il voulait vérifier. »

La politique « zéro tolérance »

Nous avons contacté d’autres plateformes telles que Uber, Txfy, Kapten (ex-Chauffeur Privé), qui condamnent évidemment unanimement les comportements homophobes, racistes, sexistes ou encore antisémites. Uber semble tout de même avoir une longueur d’avance sur ses concurrentes.

Elle est en effet la seule application, à notre connaissance, a suspendre automatiquement, et à titre préventif, le compte d’un.e conducteur.rice ou d’un.e client.e « en cas d’incident lié à une agression physique, sexuelle, ou à des propos discriminatoires ». Une « procédure interne d’information et d’évaluation des faits » est alors lancée pour faire la lumière sur l'événement en question.

Un "test" obligatoire ?

Mais justement, que font ces applications pour éviter de se retrouver dans de telles situations ? « Nous formons nos chauffeurs au respect de la clientèle et de leur vie privée. Même si nous insistons sur l’importance de la relation client, nous leur conseillons également de ne pas engager de conversation sur le sexe, la religion et la politique », assure Kapten.

« Nous réfléchissons au renforcement de la sensibilisation des chauffeurs sur tous les sujets de lutte contre la discrimination et de respect des clients, avec par exemple la création d'un module de e-learning spécifique », lance de son côté Marcel. Txfy nous a simplement indiqué « faire tout son possible pour encourager ses chauffeurs (…) à se comporter de manière respectueuse en toutes circonstances ».

Maximilien souhaiterait qu'un "test" ou un "questionnaire" soit rendu obligatoire au moment du recrutement pour « avoir une meilleure idée de qui est l’homme derrière le chauffeur ».

L’importance de se sentir « en sécurité »

Lui et plusieurs autres témoins ont insisté sur l’importance de se sentir en sécurité lors d’une course avec un VTC. Car on ne le sait que trop bien, l’espace public peut être synonyme de danger pour les personnes LGBT+, notamment la nuit.

De ce point de vue, les VTC sont justement censés être un lieu 'safe'. C'est par exemple le moyen de transport privilégié des drag-queens, souvent réticentes à prendre les transports en commun. Mais ça ne se passe pas toujours bien. Guillaume (alias Poulette), 41 ans, s’est vu annuler ses courses à deux reprises après que les chauffeurs, passant devant lui en voiture, l’ont vu en tenue de drag-queen.

« C’est non seulement humiliant, mais aussi dangereux, dénonce-t-il auprès de TÊTU. On est quand même très exposé quand on se retrouve ainsi, planté sur le trottoir. » Il se veut toutefois positif, assurant que les VTC « restent globalement la meilleure solution pour se déplacer » lorsqu’on est une drag-queen.

« C’est comme retourner au placard »

Aujourd’hui, le comportement de ces client.e.s humilié.e.s ou violenté.e.s a évolué. Maximilien est désormais plus prudent : « Je suis plus réticent à embrasser un garçon dans un VTC. Ça n’est juste pas agréable. Je n’ai pas envie de me demander si j’ai le droit de le faire ou comment ça va être perçu. C’est fou et triste que l’on en arrive là en France ».

Laura préfère, elle aussi, se faire discrète : « J’ai pris plusieurs fois des VTC avec mon ex et, à chaque fois, c’était un retour au placard. On avait peur de se tenir la main, et que ça se passe mal ». Et d’ajouter : « Soit le chauffeur sera homophobe, soit il sera juste curieux et en fera un sujet tout court… Je n’ai pas forcément envie qu’on me pose des questions tout le temps ».

Preuve que le sujet est sensible pour les plateformes VTC, trois d’entre elles nous ont recontacté à plusieurs reprises pour savoir quand l’article allait être publié. 

Crédit photo : Shutterstock.