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Homophobie de rue : "On peut se marier mais on ne peut pas se promener main dans la main !"

Homophobie de rue : "On peut se marier mais on ne peut pas se promener main dans la main !"

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Insultes, coups : ces dernières semaines, les cas rapportés d'agressions homophobes se multiplient dans les grandes villes, notamment à Paris. Gays ou lesbiennes, nos témoins décrivent une même réalité vécue dans leur quotidien : marcher dehors, tout simplement, main dans la main, reste aujourd'hui une épreuve du feu pour les couples homosexuels.

Trois agressions homophobes en trois jours dans deux grandes villes de France. Ce lundi 8 octobre, vers 19h30, un couple de jeunes femmes assises sur un banc public, place de la République à Paris, a été agressé par un individu. Après les insultes, l'une d'elle a reçu un coup de poing au visage. Le week-end précédent, deux couples gays ont été également attaqués physiquement à Paris et à Lyon. Le premier, samedi, dans le nord de la capitale, qui avait déjà été le théâtre de deux agressions dans le mois, le second dans le centre de Lyon.

"On a été insultés par un groupe de jeunes qui ont commencé par nous dire 'Salut les filles' puis 'sale PD' relate à Marianne Simon, l'une des victimes lyonnaises, âgé de 28 ans. Je suis allé les voir pour leur demander des explications, sans en obtenir. Au moment où j'ai voulu appeler la policel'un d'entre eux s'est approché de moi et m'a mis un énorme coup de poing sur les cervicales". A Paris, le couple agressé a carrément été roué de coups pour s'être embrassé dans la rue. Des événements qui mettent en lumière une réalité concrète, toute simple, vécue par les couples homosexuels aujourd’hui encore en France : ils ne peuvent pas se balader l'esprit tranquille.

Une homophobie de rue qui semble gangréner l'espace. Parisien vivant dans le 11e arrondissement, limitrophe des quartiers où les agressions récentes se sont produites, Vincent, 35 ans, témoigne de ce sentiment d'insécurité qui ne va pas s'atténuant : "J'ai l'impression que les agressions se rapprochent de mon cercle de proches. Ces derniers temps, je vois des photos de victimes que je connais plus ou moins". Et à chaque fois que surgit sur les réseaux sociaux l'image de l'une de ces "gueules cassées", le même sentiment qui revient : "Je me demande forcément si ça ne va pas m'arriver un jour ou l'autre…". "Deux de mes amies ont été rouées de coups à la sortie du métro il y a quelques semaines, témoigne Hannah, 23 ans. Depuis que j'ai fait mon coming-out, il y a deux ans, je n'avais jamais entendu autant d'histoires d'agressions de personnes que je connais".

"Si jamais on veut s'embrasser dehors, on regarde bien à deux fois autour de nous pour s'assurer que personne ne nous surveille"

Cinq ans après l'obtention par les homosexuels du droit à se marier, le constat que fait Basile, 25 ans, est amer : "C'était une avancée indéniable, la promesse d'être intégrés dans la société comme n'importe quel couple. Maiscinq ans plus tard, on ne peut que constater qu'on est encore loin du compte et que d'accord, on peut se marier, mais on ne peut même pas se promener main dans la main dans la rue !". Agressé l'an dernier place de l'Hôtel de ville à Paris, ce chargé de communication de 25 ans explique que le traumatisme l'a vacciné contre toute nouvelle tentative : "Nous n'en avions déjà pas vraiment l'habitude mais à présent, c'est devenu hors de question. Il est impensable pour nous d'avoir un geste d'affection dans la rue et si jamais on veut s'embrasser, on regarde bien à deux fois autour de nous pour s'assurer que personne ne nous surveille".

Nul besoin, d'ailleurs, d'avoir déjà subi une agression pour intégrer ces réflexes. A des degrés divers, tous les témoins gays ou lesbiennes que nous avons interrogés nous ont expliqué faire attention au comportement qu'ils adoptent quand ils sortent de chez eux. Quand un baiser peut dégénérer en passage à tabac, qu'une main tenue peut attirer un coup de poing, chaque geste pèse. "Quand je me balade avec un garçon développe Vincent, on fait gaffe à notre niveau de proximité en fonction du quartier où nous nous trouvons. Particulièrement la nuit, parce que l'on sait que c'est plus risqué". "C'est même une vigilance par morceau de rue, poursuit Jean, 30 ans, qui vit dans le 20e arrondissement de la capitale. Je tiens mon copain par la main sur 50 mètres puis, parce que je sais qu'on va passer devant un bar 'sensible" ou qu'on aperçoit un groupe de mecs qui arrive, c'est un réflexe, le premier alerté lâche la main de l'autre".

Des schémas similaires au harcèlement de rue

Une description qui ressemble à un autre phénomène dont les médias se sont beaucoup fait l'écho ces derniers temps : le harcèlement de rue. Jean confirme avoir été frappé de la similarité des schémas alors décrits avec sa propre expérience : "Quand on se fait traiter de 'PD' dans la rue, c'est souvent par les mêmes bandes de mecs qui pensent pouvoir s’approprier l'espace public et sifflent ou insultent les femmes". Or, l'ère du temps n'est plus à aller chercher refuge dans des quartiers dits gays pour se sentir en sécurité. "Nous sortons beaucoup dans le quatuor des 10e 11e 19e et 20e arrondissements", relève Merwan, 26 ans et qui habite le quartier Belleville à Paris. "Si des homophobes ont envie de 'casser du PD', il n'y a plus besoin d'aller chercher dans le Marais".

En parallèle, tous accusent un climat général rendu plus irrespirable depuis le débat sur le mariage pour tous en 2013. Lequel aurait libéré une parole homophobe à laquelle certains n'hésitent pas à joindre les actes. Un paradoxe que Vincent explique ainsi : "Plus nous aurons de visibilité médiatique, plus ceux que ça dérange vont se lâcher dans la rue sur des gens sans défense, des cibles beaucoup plus faciles que les personnes qu'ils aperçoivent à la télévision". Il y a deux semaines, Hannah l'a encore vécu dans un bar à Paris : "Un homme est arrivé, s'est calé dans l'embrasure de la porte, a mis ses mains sur ses hanches et a empêché les filles d'entrer ou de sortir, se souvient la jeune lesbienne. Quand la barmaid lui a demandé de sortir, il lui a jeté une boulette de papier au visage. Il a passé le reste de la soirée sur le trottoir d'en face à attendre que les clientes sortent pour pouvoir leur hurler qu'il allait les rééduquer".

Leur routine de survie en milieu potentiellement hostile, les gays et lesbiennes s'y sont tellement habitués que bien souvent, ils n'en prennent conscience qu'en observant leurs amis hétéros. "Ce n'est pas normal qu'on ait intégré cette menace dans nos sorties", souffle Vincent, rejoint par Merwan : "J'envie la simplicité avec laquelle les couples hétéros peuvent se démontrer leur affection en public. On voit tout de suite qu'eux ne se posent aucune question, alors que je sais que je dois tout calculer".

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne