LGBTphobieParis : plusieurs agressions sur un lieu de cruising gay

Par Nicolas Scheffer le 13/08/2020
Paris

INFO TÊTU - Trois jeunes s'en sont pris à des hommes dans le jardin des Tuileries de Paris, dans la nuit du samedi 8 août. La police a refusé de prendre en compte le caractère homophobe de la plainte.

À Paris, les Tuileries, haut lieu de cruising de la capitale, ont été le théâtre d'une série d'agressions à caractère homophobe, dans la soirée du samedi 8 août. Après un dîner au restaurant, Frédéric décide de se rendre dans le jardin parisien. Là-bas, il y croise un jeune homme avec qui il sympathise. Les deux échangent quelques mots en anglais, au milieu de l'allée centrale. Frédéric pense être au milieu d'un plan drague, sans avoir la moindre idée qu'il vient de tomber dans un guet-apens.

"Il avait un visage d'ange mais au fond c'est un monstre", témoigne-t-il auprès de TÊTU. Derrière, lui Frédéric entend un cri. Lorsqu'il se retourne pour voir ce qu'il se passe, le garçon avec qui il pensait flirter lui assène un coup au visage, puis plusieurs. L'homme qui criait derrière lui le frappe également. Un troisième complice se tient également en retrait. Sous les coups qui pleuvent, Frédéric s'évanouit.

Quatre jours d'ITT

Quand il reprend connaissance, sa chemise est couverte de son sang. Il fouille ses poches et remarque qu'on lui a dérobé son portefeuille. Son téléphone est bien là mais il a été cassé pendant le passage à tabac. Frédéric, lui, est complètement sonné et demande à un passant de l'aider à retrouver ses lunettes.

La police arrive sur place et les pompiers emmènent la victime à l'hôpital Cochin où les médecins lui suturent son arcade sourcilière amochée. Il reçoit quatre jours d'interruption totale de travail (ITT). Après trois heures à l'hôpital, il se rend au commissariat pour déposer plainte.

Il reçoit quatre jours d'interruption totale de travail (ITT).
Les blessures de Frédéric lui vaudront quatre jours d'interruption totale de travail.

Ils voulaient "casser du pédé"

Dans l'intervalle, les policiers ont retrouvé les trois agresseurs présumés. Pour Frédéric, "Ils étaient restés dans le coin pour casser du pédé". Une théorie que partage son avocate Me Christine Courrégé, "Ils ne sont pas venus ici par hasard". Les trois hommes, originaires de Lettonie, ont été interpelés alors qu'ils s'en prenaient à une deuxième personne ainsi qu'une troisième qui s'est interposée.

Le lundi, les policiers organisent une confrontation entre les suspects et les victimes. "Ils sont très hostiles. Je ne me sentais pas en sécurité, alors même que j'étais dans un commissariat !", raconte Frédéric. Son avocate décrit une situation "surréaliste". "Les agresseurs ricanaient, ils étaient menaçants, parlaient entre eux en Russe, alors qu'on ne pouvait pas savoir ce qu'ils disaient", détaille Me Christine Courrégé. Par ailleurs, ils étaient une dizaine dans une salle d'une vingtaine de mètres carrés, en contradiction avec le respect des gestes barrières à observer en période de Covid-19.

"Ce commissariat devrait être exemplaire"

Pour l'avocate, les prévenus auraient dû être entendus séparément. Les policiers auraient également dû faire appel au référent LGBT+ pour examiner la plainte. "Je suis estomaquée de la manière dont ça s'est produit. Le commissariat de Paris centre (où se situe le quartier du Marais, ndlr) devait être exemplaire sur les questions LGBT+", insiste l'avocate qui plaide la négligence plus que de l'homophobie de la part des policiers.

Finalement, après 72 heures de garde à vue, les trois comparses ont été relâchés. Au lieu d'être poursuivi par le parquet en comparution immédiate, comme c'est habituellement le cas pour ce type d'affaire explique l'avocate. L'audience est renvoyée... à janvier 2021. "On ne les reverra jamais", redoute Frédéric, ému.

"La véritable déception, c'est le traitement judiciaire"

Le jeune homme est écoeuré. Six ans plus tôt, il a déjà été victime d'une agression similaire au même endroit. "Je me suis blindé contre mes agresseurs, mais je ne m'attendais pas à ce que ça se passe aussi mal dans un commissariat", déplore-t-il. Le maire de Paris centre (qui regroupe les quatre premiers arrondissements de la capitale), Ariel Weil veut assurer de son soutien aux victimes et tient à féliciter les forces de l'ordre qui ont permis l'interpellation des agresseurs.

Mais il regrette un manque d'effectif policier. "On a besoin de plusieurs référents LGBT+ qui puissent se relayer pour intervenir dans ces situations", dit-il auprès de TÊTU. Il regrette que les policiers n'aient pas retenu comme circonstance aggravante l'homophobie de l'agression. "Le lieu et le mode opératoire signent manifestement une démarche homophobe. La victime est clairement identifiée, par ses détracteurs, comme homosexuelle. Mais la véritable déception, c'est le traitement judiciaire qui n'est pas à la hauteur", pointe l'élu.

Une hausse "alarmante" des LGBTphobie

Si les policiers n'ont pas retenu le caractère homophobe de la plainte, c'est au juge de prendre la décision du motif des poursuites. La défense de la victime regrette malgré tout que les forces de l'ordre n'aient pas souhaité utiliser des preuves qui auraient pu inciter les magistrats à prononcer un placement en détention provisoire. Et ce, d'autant plus que l'un des agresseurs est frappé d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

Au premier semestre 2019, 53 plaintes à caractère homophobe ont été déposées dans la capitale, contre 60 en 2018 et 47 en 2017, rapporte Le Parisien. SOS Homophobie a déploré une hausse "alarmante" des actes LGBTphobe sur l'ensemble du territoire. Fin juillet, un couple a été victime d'une agression en plein après-midi dans le XIè arrondissement de Paris. Début juillet, deux bars gay du marais ont été tagués de croix gammées.

"Les policiers interpellateurs et les enquêteurs ont mis en œuvre toutes les diligences requises (les preuves, ndlr) avec sérieux et rapidité, les auteurs ayant été identifiés, interpellés et soumis à décision de justice dans les règles de procédure", a déclaré à TÊTU la préfecture de police.

Mise à jour le 17 août : déclaration de la préfecture de police

 

Crédit photo : Flickr / Carlos ZGZ