Menu
Libération
Récit

En Pologne, le nouveau ministre de l'Education compare «l'idéologie LGBT» au nazisme

LGBT +dossier
Ancien avocat et membre député du parti ultra-conservateur Droit et justice, Przemyslaw Czarnek est désormais en mesure de réécrire les programmes scolaires, ce qui inquiète la communauté éducative.
par Nelly Didelot
publié le 2 octobre 2020 à 15h51

Wiktor, Dominink, Zuzia, Michal. Leurs prénoms s'étalent en lettres rouges sur les murs gris et massifs du ministère de l'Education polonais depuis la nuit du 29 septembre. Ils avaient tous moins de 18 ans, et ils se sont suicidés après des moqueries et des attaques incessantes sur leur orientation sexuelle.

Mais pour Dariusz Piontkowski, le ministre de l'Education en partance, les dégradations du bâtiment sont plus inquiétantes que les histoires qu'elles racontent. A ses yeux, le ministère a été «profané par des barbares», aux pratiques comparables à celles des talibans. Sur le fond du sujet, il n'a pas dit un mot. Son successeur, désigné au cours d'un remaniement ministériel le 30 septembre, adoptera-t-il une position plus humaine ?

«Châtiments corporels»

Przemyslaw Czarnek, 43 ans et député du parti Droit et justice (PiS, ultra-conservateur) depuis 2019, n'est pas un grand spécialiste des questions éducatives. Sa principale contribution dans le domaine s'est pour l'instant résumée à un article universitaire publié il y a dix ans. Il y affirme qu'il est «parfois nécessaire d'avoir recours aux châtiments corporels» contre les enfants, parce qu'il «vaut mieux pleurer pendant l'enfance qu'à l'âge adulte».

Le nouveau ministre doit sa petite notoriété à de multiples attaques contre la communauté LGBT. Même dans un parti qui a fait de la rhétorique homophobe sa marque de fabrique, ses propos détonnent. Pour Przemyslaw Czarnek, «il ne fait aucun doute que l'idéologie LGBT fait suite au néo-marxisme et découle des mêmes racines que le nazisme». Ses représentants «putrides, dépravés et totalement amoraux» menacent les familles polonaises. Quant au mariage gay, il ne ferait naître que des «calculs rénaux».

Cet ancien avocat est désormais en mesure de mener la refonte des programmes, pour les rendre compatibles avec sa vision nationaliste et catholique rigoriste. Plusieurs enseignants interrogés par le quotidien critique Gazeta Wyborcza s'inquiètent de perdre bientôt toute autonomie pédagogique. «Nous enseignons certaines valeurs fondamentales aux jeunes, comme le respect de la dignité humaine, et puis un homme qui les nie devient ministre de l'Education. Dans une telle situation, comment construire quoi que ce soit avec des élèves ?» interroge l'un d'eux. Il rappelle que Czarnek affirmait en juin : «Il est temps de nous défendre contre l'idéologie LGBT et d'arrêter d'écouter ces idioties sur l'égalité et les droits de l'homme. Ces gens ne sont pas égaux aux gens normaux.»

A lire aussi En Pologne, le PiS fait de la communauté LGBT sa nouvelle bête noire

Fin des études de genre

Cette déclaration lui a valu le déclenchement d'une procédure disciplinaire de l'université catholique de Lublin, où il donne des cours de droit constitutionnel. Mais Czarnek étant également en charge de l'Enseignement supérieur, la procédure devrait être enterrée sous peu. Ses premières intentions concernant les universités sont par ailleurs claires. Il souhaite voir les études de genre – jugées incompatibles avec la culture et les traditions polonaises – disparaître des cursus. Pour Barbara Nowacka, une élue d'opposition spécialiste des questions d'enseignement interrogée par Reuters, «il faut s'attendre à des modifications du tronc des enseignements et à une restriction de l'autonomie des universités».

Bart Staszewski, un activiste qui a déjà poursuivi Czarnek en justice après ses propos sur la Gay Pride de Lublin, s'inquiète, de son côté plus, pour les élèves que pour les professeurs. «Cet homme s'oppose même aux ateliers anti-discrimination dans les écoles. Il va rendre la vie des jeunes LGBT encore plus dure, alors que le taux de suicide chez les adolescents LGBT est plus haut que jamais.»

A lire aussi Margot ou le brutal retour en arrière de la Pologne

D'après une étude de 2016, 69,4% des jeunes polonais LGBT ont des pensées suicidaires, contre 11,9% des autres ados. Le 28 septembre encore, une collégienne de 12 ans a mis fin à ses jours à Kozienice, dans le centre de la Pologne. Plusieurs de ses camarades et de ses enseignants affirment qu'elle était harcelée à cause de son orientation sexuelle. Pour le ministère de l'Education, il n'y a pas eu de harcèlement et l'histoire est sans fondement.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique