mariageLe mariage pour tous est-il menacé aux Etats-Unis ?

Par Nicolas Scheffer le 30/10/2020
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La nomination d'Amy Coney Barrett à la Cour Suprême fait craindre le pire pour les droits des personnes LGBT+. Des unions ont été célébrées dans la précipitation, de peur d'être bientôt interdites. Mais le mariage des couples de même sexe est-il vraiment menacé ?

Depuis l'arrivée d'Amy Coney Barrett à la Cour suprême, de nombreux couples LGBT+ craignent de ne plus avoir le droit de se marier. La nouvelle juge à la Cour suprême, nommée par Donald Trump, a définitivement fait basculer la plus haute instance juridique des États-Unis sous pavillon conservateur.

Les couples de même sexe qui ont des envies de mariage sont donc inquiets. Certains ont même précipité leur union, de peur que la Cour suprême ne revienne sur ses positions. Dans le Missouri, le pasteur Tori Jameson a organisé une série de mariages de couple de même sexe avant la confirmation de la magistrate. "Je n'aurais jamais imaginé qu'il se passe autant de choses ces quatre dernières années, alors je n'ose pas penser à ce qu'il peut se passer les quatre suivantes", dit-il à la chaîne NBC news.

En quatre jours, avec d'autres pasteurs, Tori Jameson a marié 14 couples. Parmi eux, Macklan King et Silas, un couple non-binaire fiancé depuis 2018. Les amoureux "ne voulaient pas se presser" mais la nomination d'Amy Coney Barrett les a fait changer d'avis. "Nous voulions être certains de pouvoir faire entendre nos droits avant que le mariage pour tous ne soit remis en cause", indique Macklan King.

"Une forme de protestation"

Pour mettre en œuvre ces mariages le plus rapidement possible, le pasteur organise les cérémonies, les photographes, les pâtisseries et même la décoration. Ces mariages mis en place au plus vite sont "une forme de protestation, mais aussi une manière de célébrer l'amour queer", indique-t-il.

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"J'ai été vraiment en colère lors de la confirmation d'Amy Coney Barrett par le Sénat. Elle est dangereuse pour les personnes LGBTQ, elle a été très claire sur sa volonté de revenir sur nos droits", insiste le pasteur. Au coeur des inquiétudes, la décision Odergefell vs Hodges, qui permet depuis 2015 que le Mariage pour tous soit reconnu au niveau fédéral et non de chaque État. Deux juges conservateurs ont déjà appelé à revenir sur cette jurisprudence.

"Ma famille pourrait-elle devenir illégale à nouveau ?"

"Nos craintes sont fondées. Nous sommes inquiets de ce qu'il pourrait advenir de notre droit à nous marier ou à avoir une famille", a déclaré Jim Obergefell, le plaignant à l'origine de la jurisprudence à USA Today. "Je ne pense pas que le risque (de remettre en cause le mariage, ndlr) soit pour demain ou après-demain, mais ils essaient tout ce qu'ils peuvent. Ils tentent d'écorner nos droits. Ma famille pourrait-elle devenir de nouveau illégale ?", demande Kara Swisher dans une chronique au New York Times.

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Amy Coney Barrett a été très claire sur ses positions à propos du mariage. "Ceux qui veulent le mariage pour tous ont le droit de manifester pour que les États légifèrent dessus, mais ce n'est pas à la Cour de le mettre en oeuvre", jugeait-elle lors d'un cours à l'université de Jacksonville en 2016.

D'ailleurs, la magistrate ultra-catholique a écrit une lettre aux évêques où elle définit le mariage comme "un engagement indissoluble d'un homme et d'une femme". Pourtant, un sondage du Public religion research institute, révèle que 70% des Américains sont favorables aux mariages de couples de même sexe, indique NBC news.

Renverser toute une jurisprudence

Gardons raison, appelle Anthony Castet, spécialiste des droits civiques des Américains LGBTQ+, contacté par TÊTU. "Une fois confirmés à la Cour suprême, certains juges conservateurs mesurent le poids de leur responsabilité et affirment toute leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif", insiste le maître de conférences.

Il cite notamment  l'arrêt Bostock v. Clayton County où contrairement aux souhaits de Trump, la Cour suprême a interdit la discrimination des personnes LGBT+ au travail. Neil Gorsuch, pourtant nommé par Trump, a fait pencher la balance en faveur de la protection contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et le genre dans le domaine du travail. "Les juges savent que leurs décisions ont un impact important sur la vie quotidienne des Américains. Revenir sur la jurisprudence récente aurait des conséquences désastreuses, ce qui irait à contre-courant de l’histoire, et ça, les magistrats le savent".

Un entourage hostile aux personnes LGBT+

Les convictions personnelles de la nouvelle juge à la Cour suprême font toutefois craindre le pire. La mère de sept enfant fait partie d'une communauté chrétienne connue pour ses positions hostiles aux personnes LGBT+. En 2018, son dirigeant a indiqué que si l'un de ses membres étaient homo, il serait remercié. Cette communauté condamne également le sexe en dehors du mariage, rappelle NBC news.

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Associated Press a dévoilé qu'Amy Coney Barrett a également fait partie du conseil d'administration d'une école qui refusait d'inscrire des enfants de parents homos. L'école a également franchement découragé aux professeurs LGBT+ d'y enseigner. Mais la magistrate s'est défendue de prendre en compte ses croyances personnelles lorsqu'elle devra juger. "Amy Coney Barrett peut manifester ses convictions religieuses, comme le faisait d'ailleurs Antonin Scalia, sans pour autant vouloir démanteler les droits qui protègent les personnes LGBTQ+. D'ailleurs, lors de son audition devant le Sénat, elle s'est positionnée contre toute forme de discrimination : 'comme le racisme, je pense que la discrimination est odieuse', a-t-elle affirmé", poursuit Anthony Castet.

D'ailleurs, la candidate de Trump s'était excusée après avoir utilisé le terme de "préférence sexuelle" plutôt que "d'orientation" pendant son audition. L'amorce d'une ouverture ?

 

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