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Perpignan: un professeur victime d'insultes et d'actes homophobes dénonce l'inaction de l'Éducation nationale

Photo d'illustration.

Photo d'illustration. - FRANK PERRY / AFP

Depuis qu'une de ses collègues a dévoilé contre sa volonté son orientation sexuelle en 2014, ce professeur demande que des sanctions soient prises au niveau de sa hiérarchie, sans succès jusqu'à présent.

"Huit ans de promesses non tenues." Professeur au lycée Jean-Lurçat à Perpignan, Pierre (le prénom a été modifié) pointe l'inaction de sa hiérarchie alors qu'il subit des injures et des actes homophobes depuis que l'une de ses collègues a dévoilé son orientation sexuelle sans son consentement, a appris BFMTV.com ce mardi, confirmant une information de France Bleu Roussillon.

Le cauchemar de Pierre débute en 2014. Une enseignante d'espagnol, avec qui il a une classe en commun, apprend aux élèves l'homosexualité de son collègue, le traitant de "pédé" à plusieurs reprises. Certains lycéens, choqués, rapportent ces propos à une autre professeure, qui prévient Pierre à son tour.

Insultes, lettres de menaces, voiture et casier vandalisés plusieurs fois... Alors que l'information circule sur les réseaux sociaux et entre les élèves, les actes homophobes se multiplient dans le lycée à l'encontre du professeur. La nièce de Pierre, scolarisée dans un autre établissement de Perpignan, se voit même demander si elle est bien de la famille du "prof pédé de Lurçat".

"Ça devenait de la survie en milieu hostile", confie Pierre auprès de BFMTV.com ce mardi.

L'enseignante continue d'exercer dans le même lycée

Il finit par interpeller le directeur de son lycée concernant les insultes dont il fait l'objet, mais sans retour concret, il adresse lui-même un signalement au rectorat de l'Académie de Montpellier, deux ans plus tard. Il découvre qu'aucun des actes homophobes n'avait été remonté par sa hiérarchie.

"On mène un combat à la fois contre cette professeure, mais aussi contre cette administration inerte, qui n'a jamais su protéger mon client", explique Me Camille Manya, son avocate, contactée par BFMTV.com. À tel point que l'enseignante en question continue d'exercer dans le même établissement que Pierre.

"On continue de lui confier des générations d'élèves", désespère ce dernier.

En tout et pour tout, l'enseignante ne reçoit qu'une "lettre de recadrage", en 2017, dans laquelle on lui demande "d'adopter à l'avenir un positionnement conforme à [ses] obligations de professeure".

Pourtant, la justice a reconnu que les faits étaient avérés: en première instance au civil, la professeure qui avait insulté Pierre a été condamnée à lui verser 4000 euros de dommages et intérêts, une peine confirmée en appel. Mais du côté du rectorat, une réponse se fait toujours attendre.

"Le silence profite aux agresseurs"

"Les années passent, et l'administration campe toujours sur ses positions", déplore Pierre. À cela s'ajoute que, depuis 2014, le dossier est passé entre les mains de trois directeurs d'établissement, trois recteurs et deux inspecteurs différents. Chaque fois, Pierre a le sentiment de devoir réexpliquer ce dont il est victime et d'en apporter les preuves. "Pendant ce temps, le silence et la lenteur profitent aux agresseurs", déclare-t-il.

En juillet 2020, un nouvel événement porte le coup de massue: une réunion de rentrée se transforme en "pugilat" pour l'enseignant, qui se voit reprocher d'avoir judiciarisé son affaire, rapporte son avocate.

"Ce qui est gravissime, dans ce dossier, c'est la réaction de l'Éducation nationale. Comment a-t-on pu laisser faire ça? Aujourd'hui, on a le sentiment que certains cadres de la fonction publique se taisent pour ne pas faire de vague", s'indigne Me Camille Manya.

La Défenseure des droits rend un rapport accablant

Pour tenter de faire bouger les lignes, Pierre saisit également la Défenseure des droits. Après un an d'enquête, cette dernière publie un rapport accablant en juillet dernier, confirmant le harcèlement moral auquel l'enseignant a été exposé et soulignant que la protection apportée n'est pas suffisante, alors qu'aucune procédure disciplinaire à l'encontre de la professeure d'espagnol n'a été engagée.

Sollicité par nos confrères de France Bleu, le rectorat répond que "la situation évoquée est suivie avec grande attention par le service des ressources humaines de l'académie qui accompagne l'enseignant dans la prise en compte de la situation de harcèlement qu'il a dénoncée en 2014".

"Ces propos s'écartent de la réalité. On est dans un discours complètement édulcoré. Je n'ai jamais été protégé sur mon lieu de travail", commente Pierre ce mardi, parlant d'"incurie" et de "maltraitance administrative".

"Ils ont banalisé l'homophobie au lycée"

Si Pierre se dit déterminé à poursuivre ce combat, il ne cache cependant pas un profond sentiment d'isolement au sein de son établissement, alors qu'il est confronté tous les jours à ses agresseurs et que certains de ses collègues lui ont tourné le dos: "J'ai gardé espoir pendant longtemps, j'avais confiance en mon administration, dont je pensais partager les valeurs. Mais ils ont banalisé l'homophobie au lycée."

"J'ai toujours saisi les problèmes à bras le corps, mais je ne suis pas indemne. J'ai développé plusieurs pathologies à la suite de ça", ajoute l'enseignant, qui déplore un manque d'accompagnement sur le plan médical.

Aujourd'hui, Pierre avoue ne plus rien attendre de l'administration, mais espère pouvoir retrouver un environnement de travail serein, "loin de tout préjudice". Son avocate et lui ont attaqué l'État en justice pour qu'il puisse être indemnisé après ce qu'ils dénoncent comme des manquements de l'Éducation nationale.

"Je plains les jeunes qui font face à ce genre d'attaque alors qu'ils sont en pleine construction identitaire. J'ai décidé de parler pour tous ces 'invisibles'", conclut le professeur de Perpignan.

Elisa Fernandez